LES JEUX DE PAUME ET LES TRINQUETS EN 1929.
Les jeux de paume ont existé en France, depuis plusieurs siècles.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Bulletin du Musée Basque N° 12, en 1930, sous la plume
d'Albert de Luze :
"Les Jeux de Paume et les Trinquets.
Conférence donnée au Musée Basque le 28 Septembre 1929, avant la partie de démonstration qui mit aux prises le même jour, au vieux Trinquet Saint- André, M. E. Baerlein, champion amateur anglais et Pierre Etchebaster, champion du monde professionnel.
"Ce Jeu a conservé ses chasses, sa grille, son toit de grille et son tambour jusqu'à une époque très récente, comme le prouve une photographie prise en 1883 que possède M. Duhau, dont la famille tient le jeu depuis 73 ans. Cela n'a pas empêché le trinquet d'y être seul pratiqué depuis plus d'un siècle, sans que ses occupants se doutassent qu'ils étaient dans un Jeu de paume. Le témoignage du grand et charmant paumier qu'a été Emile Broquedis est à ce point de vue tout à fait probant. Ne me racontait-il pas lui-même, ce printemps, qu'élevé dans le jeu par son oncle Licou, célèbre joueur de trinquet, il y avait joué toute sa jeunesse sans jamais se demander à quoi pouvaient servir les raies marquées sur le carreau et que ce n'est qu'en arrivant dans le Jeu de Bordeaux, en 1879, qu'il avait compris ce qu'elles signifiaient ?
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TRINQUET ST-ANDRE BAYONNE 1883 BMB N12 1930 |
Il paraît probable que le jeu de trinquet n'a fait son apparition qu'après la Révolution. Jusque là le jeu de paume était réservé à la noblesse et la haute bourgeoisie non pas tant parce que des édits royaux l'avaient interdit au peuple, ce qui n'est pas bien certain, ces édits s'appliquant probablement à la longue paume, mais parce que sa complication était suffisante pour exiger de ses adeptes une certaine culture que n'avait pas le peuple d'autrefois ; que de plus les salles étaient suffisamment fréquentées pour ne pas permettre qu'un autre jeu s'y installât en même temps. Il en fut tout autrement après la tourmente. La noblesse et le jeu de paume n'étaient plus à la mode et les salles devinrent désertes ; c'est alors que le peuple, basque, probablement, les occupa, mais il supprima peu à peu les complications du jeu, les chasses, la grille et les effets imprévus du tambour ; et c'est ainsi, j'imagine, qu'est né le trinquet. Quant au jeu de paume, je parle du jeu dit de "courte paume" ainsi nommé pour le distinguer du jeu de longue paume qui se jouait en plein air et qui se joue encore à Paris au Luxembourg et dans le nord de la France, ou comme l'a défini un vieil auteur, du jeu de paume absolument, il a des origines extrêmement anciennes. Sans remonter au déluge ce qui nous forcerait à rechercher si dans l'arche de Noé il n'y avait pas un Jeu de paume, on trouve en Perse, au IVe siècle de notre ère, un jeu appelé "tchigan" qui se jouait à cheval, en salle fermée, avec des raquettes de quatre pieds de longueur, jeu qu'il ne faut pas confondre avec le polo, et ce nom de tchigan ressemble étrangement à celui de "chicane", jeu de balles du Languedoc. Il y avait le petit tchigan et le grand tchigan c'est-à- dire la courte et la longue paume. Tout porte à croire que le jeu de paume est, comme d'ailleurs beaucoup d'autres jeux de balles ou de cartes originaire de l'Orient et qu'il a été importé en Espagne et en France par l'invasion sarrazine.
JEU DE PAUME HENDAYE - HENDAIA PAYS BASQUE D'ANTAN |
A l'appui de cette thèse on peut noter que le mot raquette a, d'après Larousse et Littré, une origine arabe "rahat" et que le mot tennis, qui n'a rien d'anglais assurément, car il a été employé d'abord en France pour désigner le jeu de Paume, est une déformation du mot arabe "teneh". Ne trouve-t-on pas d'ailleurs, en suivant l'invasion arabe dans le nord de l'Afrique, l'île de Tennis-Tennesos en Basse-Egypte et la ville de Tenès en Algérie ? On trouve aussi des hiéroglyphes du XIIIe siècle avant notre ère représentant un homme muni d'une raquette et un autre d'un instrument long et incurvé qui servait à jouer au jeu de "chistra", mot qui a certainement pour vous une consonnance bien familière.
Mais pour en revenir à une époque, relativement plus moderne, l'abbé Cochard nous dit, dans un petit livre publié dans la Revue Historique et Archéologique de l'Orléanais, que des ecclésiastiques s'adonnaient à la paume dans les cloîtres, aux XIe et XIIe siècles, (ce qui expliquerait l'existence des toits, des ouverts, et même de la grille) et que plus tard ils utilisaient, pour ce jeu, le parloir de l'Officialité, c'est-à-dire la grande antichambre du tribunal ecclésiastique. L'abbé Cochard cite à ce propos une curieuse anecdote qui me paraît démontrer à quel point le jeu de paume était cher aux seigneurs de l'Eglise :
"Pour Orléans, un acte du XVIe siècle nous apprend que de temps immémorial, le Chevecier du Chapitre qui, le dimanche précédent, avait reçu de l'évêque une lamproie, devait lui offrir, le jour de Pâques, une paire de battoirs et des éteufs neufs, c'est-à-dire des balles, afin que le prélat pût avec ses chanoines se récréer à faire bondir les éteufs dans la salle du prétoire de l'Officialité. Cette redevance du prétoire se retrouve dans plusieurs églises de France. A Saint-Brieuc le vicaire général était tenu au jour de Pâques après complies de bailler des éteufs, savoir à l'évêque cinq et aux chanoines à chacun trois avec des cabarets (palettes) à les frapper. Mais en 1525 cette redevance fut l'objet d'une contestation entre le chapitre et l'évêque Jean de Longueville petit-fils de Dunois. Le 15 avril donc, à l'issue du sermon, l'évêque accompagné du bailli de la Fauconnerie, de Jehan Dupuy, clerc notaire juré et de plusieurs autres notables, s'était transporté derrière l'église cathédrale au lieu du prétoire de l'Officialité afin et en la manière accoutumée et par récréation, de frapper avec une raquette un ou plusieurs éteufs neufs que les chanoines étaient tenus de lui fournir. Là se rencontra Me François Lhuillier, Chêvecier, qui lui présenta deux palettes en façon de bâtonnés et des éteufs neufs. Mais Monseigneur et son bailli déclarèrent qu'ils n'accepteraient ni ne voulaient recevoir les dits bâtonnés pour raquettes parce que celui-ci était tenu de fournir à l'évêque des raquettes et des éteufs neufs."
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JEU DE PAUME EPOQUE LOUIS XIII |
Cette anecdote nous apprend non seulement que la lamproie était un poisson très recherché des gens d'Eglise, mais que c'est au début du XVIe siècle que le battoir recouvert en parchemin a été remplacé par la raquette, et cette date n'avait pas jusqu'ici été bien précisée. Le battoir qui a succédé au gant de cuir est un instrument de jeu dont il n'existe plus actuellement, à ma connaissance, qu'un seul exemplaire et il se trouve précisément, ce qui est assez piquant, au vieux Trinquet de Bayonne où M. Duhau le conserve comme une relique. C'est aussi dans ce petit livre de l'abbé Cochard que nous trouvons la raison assez peu connue, je crois, pour laquelle les ecclésiastiques qui s'adonnent actuellement en pays basque, et avec combien d'ardeur et de succès, aux jeux de balles, n'enlèvent jamais leurs soutanes même par les plus grandes chaleurs. Ce sont, nous dit notre auteur, les Congrès de Sens du XVe siècle qui ont défendu aux prêtres et à tous ceux qui étaient dans les ordres sacrés de jouer à la paume "sans vergogne en chemise ou en déshabillé peu décent".
Après avoir été le jeu des évêques et des prêtres, le jeu de paume devint celui des rois et des nobles. Presque tous les rois de France l'ont pratiqué avec ardeur. Deux d'entre eux y ont même laissé leur vie, Louis le Hutin y ayant pris un refroidissement mortel et Charles VIII s'étant cogné la tête à une porte-basse du château d'Amboise en allant trop précipitamment voir jouer à la paume dans les fossés du château avec sa jeune femme Anne de Bretagne et étant mort quelques heures après. Certains, par contre, y ont trouvé beaucoup d'agrément. Parmi les plus célèbres paumiers on peut citer Henri II qui eût gagné l'Esteuf ou Balle d'argent, c'est-à-dire le championnat de France, si le roi avait pu participer à l'épreuve. François Ier y jouait avec ardeur et fit construire des Jeux dans ses nombreuses résidences — au Louvre, à Saint-Germain et à Fontainebleau. L'abbé Cochard nous apprend qu'il joua aussi dans un autre Jeu de paume assez original :
"Le 3 Décembre 1637 le Roy se mit sur la rivière Loire pour venir à Orléans et envoyèrent Messieurs les Echevins au devant du Roy jusqu'à Gien, dix ou douze bateaux tous couverts de satin où estaient gallenes, chambres, cheminées et autres cabarets en mode de navires et en avait un especial pour le Roy où y avait quatre chambres, galleries et jeu de paume".
C'est certainement là un Jeu unique en son genre, quoique nous sachions que deux ans avant, en 1635, fut construit un vaisseau de 2 000 tonnes, la Belle Française, avec un moulin à vent et un Jeu de paume. Mais la Belle Française ne fut jamais mise à l'eau et dut être démolie.
Henri de Navarre joua très jeune à la paume au château de Pau. Je possède une lettre inédite de Jehanne d'Albret que je dois à l'obligeance de Me Raymond Ritter, avocat à Pau, ordonnant à la cour des comptes de faire reconstruire le jeu de paume de Pau détruit pendant les troubles "afin que, dit-elle, notre très cher et très aimé fils étant sur le lieu puisse prendre et recevoir quelque plaisir comme étant le dit jeu le plus honnête exercice à quoi on puisse passer le temps et le moins scandalleux".
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JEU DE PAUME 16EME SIECLE |
Navarre pratiquait le jeu également à Nérac, à Lectoure, et à Montauban où on le trouve pariant des paniers de balles avec ses adversaires, Ste-Marie, St-Mégrin et Cambronne, et il y joua presque journellement au Louvre pendant sa longue captivité.
Paul Rival nous raconte dans la Folle vie de la Reine Margot, qu'Henri jouait à la paume dès l'aube, le jour de la Saint-Barthélémy, et nous savons que n'ayant pu terminer sa partie ce jour-là il s'empressa de le faire le lendemain. Ceci peut nous paraître un peu choquant, mais que dire de Charles IX qui était dans l'autre Jeu du Louvre ce même matin lorsque ses échevins affolés vinrent lui apprendre que Coligny avait été assassiné, ce qui ne dut guère le surprendre, et se mit à maugréer : "Par la mort-Dieu, ces gens-là ne me laisseront donc jamais tranquille !"
Henri IV fit construire un second Jeu à Fontainebleau à coté de celui de François Ier. On jouait gros jeu à cette époque dans les "tripots" nom donné communément aux salles de paume parce qu'on y "tripuduait" ou en vieux français "tripait" c'est-à-dire sautait ou gambadait, nom qui a passé à d'autres salles de moindre réputation, que quelques-uns d'entre vous connaissent peut-être. On jouait à la paume jusqu'à ses vêtements et c'est sans doute de là que vient l'expression "jouer jusqu'à sa dernière chemise". Mais ces paris étaient licites, des lettres patentes de François Ier, du 9 Novembre 1527, portant que "tout ce qui se jouera au jeu de paume sera payé à celui qui gagnera comme une dette raisonnable et acquise par son travail".
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JEU DE PAUME 1757 GALLICA BNF |
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