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dimanche 21 décembre 2025

LE THÉÂTRE BASQUE PAR ÉTIENNE DECREPT EN 1912 (seconde partie)

LE THÉÂTRE BASQUE EN 1912.


En 1912, le bascophile Etienne Decrept fait une analyse du théâtre Basque.




pays basque autrefois soule theatre pastorale
LE THEÂTRE BASQUE
PYRENOEA 19 AVRIL 1912



Voici ce que rapporta à ce sujet Etienne Decrept, dans l'hebdomadaire Pyrenoea, le 26 avril 1912 :



"Sur le Théâtre Basque. (suite)



Les acteurs occasionnels qui jouent dans les "Pastorales" interprètent de même, lorsqu'un fait scandaleux a sollicité la verve d'un "instituteur", la farce paraphrasant ce fait. Il ne faut non plus voir, en ces plaisanteries fort épicées, rien de commun que le gras parler avec les soties et moralités médiévales — ces aïeules de la Comédie française. La plus humble idée générale est absente de ces compositions rudimentaires et d'ailleurs, assez mal équilibrées.



Tout ce que ce genre peut offrir d'original, est le spectacle appelé "Tobera". Il commence par une cavalcade en grands atours et s'achève soit par une parade à plusieurs personnages, soit par la relation considérablement amplifiée du scandale que chante, en strophes improvisées sur l'heure, un barde joyeusement incorrect. Cela ne manque pas, en somme, d'agrément, et le public y prend un réel plaisir, ce qui n'apparaît pas, en toute évidence, au jeu des Pastorales.



Dans la province de Soule, les bergers ont aussi ce qu'ils appellent "Chikiak".



Ce sont là des dialogues échangés d'un sommet de montagne à l'autre sur ce ton suraigu, presque terrifiant, que seuls possèdent les pasteurs et sabotiers qui travaillent dans les vastes solitudes sylvestres de Larrau et de Ste-Engrâce. Peut-être un directeur d'opéra trouverait-il parmi eux la haute-contre, pour laquelle le chevalier Gluck écrivit le rôle d'Orphée créé par un castrat, et chanté aujourd'hui par une femme, à défaut d'homme incomplet pour tenir l'emploi.



Ces "Chikiak" sont tout simplement ignobles et leur publication ne peut être tentée que dans une édition ad usant medicii.



Tout ce que le théâtre trivial doit à Tabarin, à Mondor et aux bateleurs du Pont-Neuf, tout ce que les Bobèches, les Paillasses hurlaient à s'égosiller sur les tréteaux de la foire, apparaît comme lilial à côté de ces chefs-d'oeuvre d'obscénité burlesque et de scatologie.



C'est une imitation assez atténuée de ces ultra-gaillardises que l'on peut entendre avec accompagnement de trompes et de poêles à frire les soirs de charivari. On peut s'étonner que le peuple basque, si hostile à toute grivoiserie dans la conversation quotidienne, au point qu'il n'existe pas un seul contre graveleux conçu dans sa langue, dégage quelque joie de ces satires priapiques.



Court et rare joie, au reste ; ce gros vin ne l'enivre que par instants largement espacés et il revient rapidement à la légère griserie que lui dispensent ses chansons teintées de mélancolie et ses danses compliquées, difficiles et gracieuses, et qui, elles, sont vraiment de pures eskuariennes.



Tandis que les Pastorales ne se voient que dans les seuls cantons de Mauléon et de Tardets — et c'est encore une preuve de leur exotisme que cette absence de généralisation — les danses, variées avec cependant un caractère de gravité commun qui les apparent, sont honorées dans tout l'Eskual-Herria. Chaque région a la sienne : l'Aurrezku et le Zortziko au delà des Pyrénées ; le Mutchiko, le Laphutar, le Chibandiar, etc., en deçà.




pays basque autrefois soule theatre pastorale
LE THEÂTRE BASQUE
PYRENOEA 19 AVRIL 1912

Quant aux aèdes Persulari — il n'est guère de petite commune qui n'en possède et les meilleurs jouissent d'une enviable popularité. On se souviendra longtemps des Mardo, des Etchehun et des Oxalde dans les régions où retentirent — éphémères hélas ! — leurs improvisations souvent bachiques, mais plus souvent encore de pure courtoise, car il est admirable qu'en ces chants alternés entre deux rudes agriculteurs ou travailleurs manuels, ceux-ci consacrent — quel que soit leur sujet — les premières strophes à des amabilités dignes de parfaits talons rouges. — Certainement, la politesse fut toujours en honneur dans ce beau pays où les inconnus, l'un pour l'autre, et les enfants, même devenus des hommes, quand ils parlent à leurs parents, n'emploient que la troisième personne : Behorré, Belorri ; mot intraduisible qui peut signifier : Votre grâce, Votre Seigneurie, ou toute formule équivalente. Cet usage s'est surtout maintenu intact dans les provinces basques espagnoles.



En résumé, tout ce qui peut, de près ou de loin, se réclamer de l'art théâtral n'a guère eu dans le passé qu'une faible importance chez les "Eskualdunak". "Nous n'avons pas d'imagination", m'affirmait avec orgueil un opulent cacique pour qui la faculté souveraine exaltée par Alfred de Vigny est sans doute une tare, une marque d'infériorité.



Il ignore, ce tardigrade, que si le jugement dont il fait grand cas est la saine appréciation du réel, l'imagination est la faculté qui transporte ce réel dans le domaine indéfini du possible. Ces deux forces ne sont pas opposées, mais complémentaires. L'imagination crée, le jugement contrôle. Les grands imaginatifs n'ont-ils pas été en même temps les plus sages des hommes et les meilleurs — j'allais dire les seuls — élaborateurs de progrès ? Où en serions-nous sans les audaces e l'hypothèse ? J'insiste sur un truisme, mais je crois devoir le faire, car ce mépris de l'imagination, malheureusement très sincère, existe à l'état latent ou avoué chez la plupart des Basques. Imaginer et mentir leur semblent anonymes.



J'ai pu me rendre compte de cette perversion mentale récemment encore à Saint-Sébastien dans un cabaret où mon ami, le poète Pepe Artola, ouvre chaque soir le robinet de son abondante fantaisie. "Atozte, jaunak, gezur aditzera" disaient les assistants en faisant cercle autour du jovial conteur. "Venez, Messieurs, entendre des mensonges."



On comprend que, discréditée a priori, par cette étrange conception de l'oeuvre imaginée, la littérature profane basque soit encore si indigente. Ce n'est donc pas seulement parce que la plupart des auteurs étaient prêtres ou religieux qu'on ne peut guère lire en "eskuara" que des traités de morale chrétienne ou des catéchismes, ces ecclésiastiques auraient fort bien pu imiter Fénelon sans faire souffrir leur dignité et si nous n'avons pas de Télémaque basque, c'est indubitablement parce qu'il répugnait aux écrivains des derniers siècles de s'occuper d'un objet si frivole. Déplorable répugnance à laquelle est dû le dépérissement de la langue, après son appauvrissement. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur une carte de l'Euskaria pour constater que la contrée où l'harmonieux et millénaire idiome est encore connu se rétrécit de jour en jour, à la façon de la Peau de chagrin balzacienne.



pays basque autrefois soule theatre pastorale
LE THEÂTRE BASQUE
PYRENOEA 19 AVRIL 1912


Un peuple qui s'en va, disait Elisée Reclus.



Il faudrait peut-être l'arrêter dans sa course à l'abîme en renouvelant ici l'effort si vigoureusement tenté en Provence par Mistral et ses disciples ; mais ces grecs-latins ne dédaignaient pas la fiction et pour parler au peuple ils trouvèrent plus naturel, plus courtois aussi, d'emprunter la forme qui pouvait lui être la plus agréable.


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ECRIVAIN  FREDERIC MISTRAL


Je ne veux point médire des oeuvres édifiantes dues à Joannès d'Etcheberri et à Axular, voire à d'Oihenart et à d'Etchepare ; aussi bien ce sont les seuls monuments de notre littérature et il convient de les respecter, mais je ne peux m'empêcher de croire que la Renaissance romane ne se fût pas produite si, au lieu de Mireille, Calendal, les Iles d'or, etc., le grand porte-lyre de Maillane avait offert à ses compatriotes le Guero, l'Eskuararen hatsapenak (sic) ou les innombrables hagiographies que vous savez.



Il n'est que temps de se mettre à l'ouvrage. Aujourd'hui, comme autrefois, les meilleurs écrivains de langue basque appartiennent au clergé.



pays basque autrefois soule theatre pastorale
LE THEÂTRE BASQUE
PYRENOEA 19 AVRIL 1912


Les abbés Hiriart, Urruty, Abadie, Daranate, Landerrèche possèdent une réelle personnalité et s'ils sont trop avancés dans la carrière — qu'ils me pardonnent l'indiscrétion — pour rien changer à leurs habitudes scripturales, ils ont, du moins, formé des élèves qui peut-être suivront l'exemple d'un jeune curé guipuzcoan, don Domingo de Aguirre et du père jésuite souletin, Lhande, qui ne craignent pas de composer des romans.



On objecte que la peinture des passions surtout de l'Amour — est interdite au prêtre et que la passion est l'essence même du drame. Oui, au théâtre, une pièce où la passion ne circule pas de bout en bout paraît froide et encore que les Calderon et les Lope de Vega y soient passés maîtres, j'incline à penser que l'art théâtral, par son côté objectif, notamment, est dangereux pour un ecclésiastique. Mais le roman peut ne pas être passionnel et il en est de très purs qui sont des merveilles. Exemple : Toute l'oeuvre de Charles Dickens. Il vaut mieux certainement que nos jeunes vicaires ou professeurs imitent ce protestant que leur confrère du XVIIIe siècle, l'abbé Prévost, à qui la littérature française doit un bijou de tendresse, de pitié et d'observation, mais aussi de licence et d'inconsciente perversité. Il n'est, d'ailleurs, pas certain qu'ils réussiraient dans ce genre pour la culture duquel il faut être aussi peu prêtre que l'était l'auteur de Manon Lescaut. On se souvient de sa réponse au Prince de Conti qui, pour le faire rappeler d'exil, lui donna un emploi d'aumônier dans sa maison en s'excusant de ne jamais assister à la messe :


"Cela me convient admirablement, Monseigneur, car je ne la dis jamais."



A suivre...









(Source : Wikipédia et Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)




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