LA PASTORALE DE ROLAND EN 1928.
La pastorale souletine est une pièce de théâtre en langue Basque et plus particulièrement en souletin.
PERSONNAGES PASTORALE SOULETINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Héritière des théâtres médiévaux, elles est chantée, montée par les habitants d'un même village
sur un thème religieux ou historique.
Cette forme de théâtre déplace les foules du Pays Basque et est considérée comme un
événement majeur par le milieu culturel Basque.
Une pastorale est organisée chaque année par une commune souletine.
Voici ce que rapporta la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, dans son édition
du 27 janvier 1928 :
"La pastorale de Roland.
Un ouvrage de M. Saroïhandy. Les pastorales au point de vue de la linguistique.— A l’abbaye souletine de Sainte-Engrâce. En fouillant nos bibliothèques.
M. J. Saroïhandy, Basque de race et savant linguiste, qui a fait naguère, pendant cinq ans, un cours de langue basque au Collège de France, vient de publier sur la Pastorale de Roland un très important travail qui se distingue par un caractère tout nouveau.
Sans doute les pastorales basques ont déjà été l’objet de nombreuses et intéressantes études ; mais, jusqu’à présent, ceux qui s’en sont occupés se sont placés au seul point de vue de l’histoire littéraire. C’est au point de vue de la linguistique de M. Saroïhandy les considère aujourd’hui, et il a quelque mérite à le faire : car, de temps immémorial, les linguistes basques affectaient de dédaigner ces textes populaires, que d’ailleurs ils ne s’étaient jamais donné la peine de lire, mais auxquels ils reprochaient d’être écrits dans une langue très impure. M. Saroïhandy, en publiant 343 versets de la pastorale de Roland et en les soumettant, avec une rigoureuse méthode scientifique, à l’examen le plus minutieux, a démontré d’une façon péremptoire que ces textes méprisés ont une incontestable valeur et qu’ils peuvent même servir bien souvent à éclairer, à compléter et à corriger des ouvrages de premier ordre, par exemple le monumental Dictionnaire de l’abbé de Askue.
Il va de soi qu’un travail de cette sorte est d’une lecture austère, et ce n’est point ici qu’il conviendrait d’en donner une analyse détaillée. Nous nous contenterons donc de signaler quelques-uns des points qui peuvent intéresser même les profanes.
Et d’abord, à quelle source l’auteur de Roland a-t-il puisé les éléments de sa tragédie ? M. Hérelle avait déjà noté, d’une façon générale, que cette source est la Vita Karoli Magni du faux Turpin. Mais M. Saroïhandy, en se fondant sur de nombreuses particularités relevées par lui dans le texte, est arrivé à une plus grande précision et à un résultat fort curieux. Ce n’est point du texte latin de Turpin que le pastoralier s’est servi : c’est de la traduction espagnole qui a été faite en 1528, par Nicolas de Piamonte, sous le titre de Historia de Carlomagno. Dès lors, ne serait-il pas assez plausible d’admettre, du moins à titre d’hypothèse, que la pastorale a pu être composée à l’abbaye souletine de Sainte-Engrâce ? Car on sait que cette abbaye, fondée par Sanche Ramirez, roi d’Aragon et de Navarre, est restée pendant longtemps tributaire de l’abbaye espagnole de Leyre et, en raison même de sa situation géo graphique, a toujours gardé des relations étroites avec l’Espagne.
Sur la date à laquelle le Roland a pu être composé, M. Saroïnhandy n’a rien trouvé de décisif. Mais le texte même lui a fourni la preuve de divers remaniements auxquels la rédaction a été soumise. Sa conclusion prudente se résume ainsi : "Entre la date des plus anciens manuscrits connus de la pastorale et la date inconnue où elle a été composée, il a pu s’écouler un temps fort long, pendant lequel des changements ont été peu à peu apportés au texte primitif." Il va de soi que ces changements ont dû altérer la langue de la première rédaction, mais pas au point de lui enlever toute valeur linguistique. M. Saroïhandy constate que, malgré la modernisation, la langue des manuscrits actuels conserve beaucoup d’archaïsmes, et qu’on y trouve souvent les formes les plus anciennes employées à côté des formes les plus récentes.
Dans l’ample commentaire (40 pages) qui suit le texte basque, M. Saroïhandy donne d’innombrables renseignements sur la façon dont il a établi le texte d’après cinq manuscrits ; sur les variantes, souvent importantes et instructives, de ces manuscrit s; sur les lois linguistiques qui fournissent la solution de divers problèmes ; sur les formes verbales, sur l’emploi des préfixes, des suffixes, etc. Nous ne le suivrons point dans ces sentiers difficiles et nous signalerons seulement aux curieux deux ou trois petites dissertations sur des sujets moins abrupts.
La versification dramatique des Basques.
GEORGES HERELLE PHOTOGRAPHIE DE LABAT MEDIATHEQUE GRAND-TROYES |
M. Hérelle a déjà étudié dans son ensemble cette versification si remarquable où le vers est amétrique, et dont on retrouve l’équivalent dans la poésie latine et espagnole du moyen âge. Dans cette versification désormais bien connue, M. Saroïhandy s’est attaché spécialement à considérer la nature de la rime. Les pastoraliers se servent indifféremment de rimes pauvres (identité de la seule voyelle finale), de rimes riches (identité de la syllabe finale tout entière), et de rimes trop riches (répétition du même mot à la fin des deux vers). Ils admettent aussi l’assonance, qu’il ne faut pas confondre avec la rime proprement dite et qui la remplace souvent dans les pastorales.
La question de l'orthographe.
Pour les basquisants, cette question a aujourd’hui une importance capitale. Jusqu’à une époque relativement récente, les Basques ont écrit leur langue comme on écrivait l’espagnol, le béarnais ou le français; mais, depuis un demi-siècle environ, un grand effort a été fait pour donner au basque un système orthographique qui lui appartînt en propre et qui fût plus rigoureusement conforme à la prononciation. Que l’orthographe nouvelle ait de nombreux avantages, cela ne fait aucun doute, et il est désirable qu’elle soit adoptée par tout le monde. Mais il ne faut pas abuser des meilleures choses, et il y a des basquisants qui abusent. Certains fanatiques prétendent imposer la nouvelle orthographe même aux textes anciens. C’est à peu près comme si l’on voulait réimprimer les œuvres de Villon, de Rabelais et de Montaigne avec l’orthographe du XXe siècle. M. Saroïhandy n’a pas commis cette erreur, et il a imprimé son texte de Roland avec l’orthographe des manuscrits. Or les manuscrits sont presque toujours des copies exécutées par des paysans ignorants qui faisaient des fautes d’orthographe, et par conséquent, lorsque, dans les manuscrits, un mot est écrit de deux ou de trois manières différentes, il importe d’examiner la diversité de ces leçons, et de choisir ou même de rétablir la leçon correcte, après critique des leçons vicieuses. C’est à peu près comme cela que les érudits traitent les textes grecs et latins des grands auteurs classiques. Quand on accorde à nos vieux textes basques l’honneur d’un pareil traitement, cette révérence peut faire sourire les sceptiques; mais les bonnes méthodes sont bonnes partout, et, toutes les fois qu’on se donne la peine de les employer, on en est abondamment récompensé.
Le travail de M. Saroïhandy se termine par une étude des mots d’origine romane — latins, espagnols, béarnais, français, — qui figurent dans les 343 versets de Roland. L’auteur y fait une analyse très délicate des modifications subies par ces mots lorsqu’ils sont entrés dans la langue basque.
Une voie nouvelle.
Le travail de M. Saroïhandy ouvre aux savants basquisants une voie nouvelle, et il est probable que bientôt les textes des pastorales seront l’objet d’études attentives et patientes. Les matériaux sont à la portée de tout le monde, puisque les manuscrits du répertoire ont tous été recueillis dans des dépôts publics, à la Bibliothèque nationale, à la bibliothèque de Bordeaux, à la bibliothèque de Bayonne et au Musée Basque. A qui reviendra le mérite et le profit d’explorer ce vaste domaine presque entièrement inconnu ? C’est un Allemand, l’illustre Guillaume de Humboldt, qui le premier, en 1801, signala l’existence des pastorales basques. Les Français laisseront-ils encore à des étrangers le soin de dépouiller ces innombrables cahiers et d’en tirer des trésors ?
GUILLAUME DE HUMBOLDT |
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