SAINTE-ENGRÂCE EN 1905.
En 1905, la commune de Sainte-Engrâce compte environ 900 habitants.
SAINTE ENGRÂCE - SANTAGRAZI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal La Petite Gironde, dans son édition du 19 septembre 1905, sous
la plume de Gaston Deschamps :
"En montagne.
Sainte-Engrâce, septembre.
Loin des plages où les derniers baigneurs, déjà refroidis par les premiers souffles de l’automne, essaient encore de se figurer qu’ils s’amusent, je suis allé chercher dans la solitude des hautes montagnes le réconfort et le recueillement que l’on est toujours sûr de trouver lorsqu’on prend la peine de gravir les chemins qui montent... Les douleurs semblent s’apaiser, les soucis s’allègent, et le fardeau de la vie devient moins pesant à mesure que l’on s’achemine vers les sommets. La pureté de l’air est si limpide que l’on croit respirer une atmosphère plus subtile que celle dont se contente habituellement le genre humain, éparpillé ou aggloméré dans les plaines, le long des rivières et des fleuves. Le cristal des sources brille au soleil comme un scintillement de pierres précieuses. Les feuilles des arbres, baignées de fraîcheur par la brise qui souffle sur les cimes, ont un éclat délicieux et, pour ainsi dire, une nouveauté permanente. Le vent, descendu des glaciers, est tout imprégné d’un goût de neige, tout embaumé par l’arôme salubre des plantes alpestres qui fleurissent dans le voisinage des moraines. On éprouve ici une sensation que l’on ne trouverait nulle part ailleurs : l’austère plaisir de savourer le silence absolu dans un espace illimité...
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Sainte-Engrâce est un tout petit village, isolé, au penchant des Pyrénées, à mi-côte des hauteurs qui avoisinent le pic d’Anie, entre Mauléon et la frontière d’Espagne. Pour y parvenir, il faut renoncer aux moyens de locomotion dont servent habituellement les touristes en vacances. Une automobile, même si elle était conduite par l'intrépide champion Léon Théry, hésiterait à s’engager dans les sentiers en zigzag qui, de gradin en gradin et de raidillon en raidillon, grimpent aux flancs des montagnes jusqu’à la dernière caserne de la Douane, jusqu’au pont d’Enfer, jusqu’à Sainte Engrâce. Un cheval attelé à un véhicule refuserait de s’aventurer sur les cailloux que le ruissellement de la pluie d’hiver a fait dégringoler des pentes ravinées du pic d’Igounée et du col des Trois-Croix. Une bicyclette aurait tôt fait de "déraper" dans les ornières d’Oyharçabal et d'Uthurruru. II faut donc résoudre à cheminer pédestrement sur la route étroite et raboteuse qui mène à Sainte-Engrâce.
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On est d’ailleurs récompensé de cette peine. Chemin faisant, au gré des caprices de ce sentier fantasque, le regard du spectateur est enchanté par un déroulement de paysages infiniment variés. Au fond de la perspective, l’horizon est terminé par de grands coteaux boisés, que dominent des roches hardiment découpées et tailladées. Les chênes, les sapins, les hêtres s’alignent en longues files de troncs élancés ou se massent en épais moutonnements de verdure sombre, tandis que les pelouses des pâturages, vivement coloriées de tonalités claires, s’étalent en molles ondulations, comme un velours largement déployé. A l’orée des bois, on voit flotter, dans la douce lumière du soleil matinal, une buée vaporeuse qui ressemble à une légère mousseline étendue sur les branches. Çà et là, au milieu des herbages, un troupeau de moutons s'éparpille En menues taches blanches, rapetissées par l’éloignement. Plus loin, de bonnes vaches blondes, au mufle blanc, broutent les plantes odoriférantes par qui sera parfumé le lait que les fermières d’Espelette et de Gastellogagne vendent aux ménagères de Licq-Atherey, de Tardets-Sorholus et de Laguinge. C’est justement aujourd’hui le jour du marché de Tardets. Je rencontre, en montant vers Sainte-Engrâce, une multitude de montagnards qui descendent vers les bourgs de la plaine en poussant devant eux un bétail nombreux, trottinant et capricant. Les gens du pays de Soûle — dont Mauléon est la capitale, et dont Sainte-Engrâce est à peu près le village le plus haut perché — ont l'oeil vif, le visage ouvert, le jarret agile, la langue bien pendue et l'esprit très délié. Sans vouloir déprécier le moins du monde les Basques du Labourd et de la Basse-Navarre, je crois pouvoir dire que les Basques du pays de Soule m’ont semblé particulièrement intelligents, hospitaliers, spirituels. Ils ont des bérets crânement posés sur l'oreille, de petites blouses courtes qui dégagent leur taille svelte, des espadrilles souples et silencieuses, qui donnent à leur démarche hardie une élégante légèreté. Un makila, sorte de bâton armé, dont la poignée en corne cache une pointe acérée, est toujours le complément indispensable du costume et de l’équipement des Basques, aussi bien dans le pays de Soule que dans la Basse-Navarre et le Labourd.
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J’ai gravi la montée de Sainte-Engrâce avec deux aimables compagnons de voyage, qui sont précisément natifs du pays de Soule. Pourquoi ne les nommerais-je pas, puisque je désire leur marquer ma reconnaissance, et que, d’ailleurs, je suis sûr d’être agréable, par la mention de leur nom, aux nombreux amis qu’ils ont su se concilier, par leurs mérites et leurs services, sur les cimes et dans les vallées de la terre natale ? Ce sont deux frères : M. Bernard Ahetz, instituteur en retraite à Saint-Jean-de Luz, et M. Joseph Ahetz, instituteur à Saint-Pée-sur-Nivelle. Malgré toutes les polémiques extraordinaires et pénibles dont a retenti, en ces derniers temps, la parlotte des politiciens, je ne fais nulle difficulté de déclarer mon estime et mon attachement pour les instituteurs, ainsi que le plaisir et le profit que je retire, en général, de leur conversation. Je sais ce que je dois à l’école primaire. Et je n’oublierai jamais le temps où, petit écolier en blouse noire, je recueillais les précieuses leçons du bon et vénérable M. Baubeau, qui était instituteur dans ma chère ville natale de Melle (Deux-Sèvres), et qui fut le maître de mon père avant d’être le mien... Je reconnais, d’ailleurs, que nos excellents instituteurs, en ces derniers temps ont été l’objet de certaines suggestions qui, malheureusement venues des parages officiels et autorisées par des mandarins de première classe, auraient pu troubler leur conscience et jeter quelque désordre dans l’esprit de leurs élèves. Mais, si j’en juge d'après ce que je vois, les prédicateurs d’anarchie et d’antipatriotisme ne trouveraient pas ici un terrain favorable à leur propagande. Dans les écoles de ce coin de France, on enseigne l’amour de la patrie, le culte du drapeau, le respect de la liberté, bref tout ce qui constitue l’enseignement national et démocratique de la République française.
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En montant vers Sainte-Engrâce, mes deux compagnons de route me font remarquer l’allure leste et vive des Basques et des Basquaises que nous rencontrons. Celles-ci sont souvent blondes comme des filles du Nord. Elles sont assises gentiment sur des mules alertes, parmi des pannerées de melons jaunes, de poireaux verts et de tomates écarlates. Elles sont fières et braves comme de petites reines, sur ces montures un peu rustiques. Leurs yeux sont riants, aiguisés, doucement malicieux, et leur voix sonne agréablement sous le ciel bleu, dans l’atmosphère vibrante de la montagne, lorsqu’elles saluent d'un bonjour harmonieux le voyageur qui passe...
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Enfin, après une rude montée sur l’étroite corniche qui longe et quelquefois surplombe les effrayants précipices de la Chaïtza, on voit un petit troupeau de maisons blanches, qui se détache en vif relief sur la fraîche couleur des fonds verts : c’est Sainte-Engrâce.
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Il n'y a qu’une auberge en ce canton, fait à souhait pour ceux qui veulent se retirer du monde. Aucune enseigne ne désigne aux yeux ce logis hospitalier. Heureusement, le facteur qui descendait vers Tardets nous a indiqué avec beaucoup d'exactitude la situation de cette unique hôtellerie : c’est un peu avant d'arriver au gave, à gauche d’une forge dont le forgeron, d’ailleurs, ne fait qu’une seule et même personne avec l’aubergiste. Quel brave homme, que cet aubergiste-forgeron! Il nous accueille très cordialement, par une étonnante profusion de mots basques, lancés à plein gosier. Cela, c’est pour ses compatriotes, MM. Bernard et Joseph Ahetz, qui parlent à merveille cette langue difficile. Pour moi et pour mon fils Pierre-Noël, qui m’accompagne, il s’exprime en français avec la même volubilité. Aussitôt après ce discours de bienvenue, il nous introduit dans une chambre blanchie à la chaux, très propre, où la place d'honneur, sur le mur, est occupée par une superbe chromolithographie, bariolée de toutes les couleurs, et représentant les sept présidents qui, depuis 1871, ont occupé la première magistrature de la République. Je ne m'attendais pas à trouver, sur ces hauteurs, M. Thiers avec ses lunettes et son toupet blanc ; le maréchal de Mac-Mahon, en grand uniforme ; Jules Grévy et ses favoris ; M. Félix Faure, M. Carnot, M. Casimir-Perier, M. Loubet... Quoi qu’il en soit, notre attention est attirée par une table engageante, où la "garbure", chef-d’œuvre habituel des cordons bleus du pays basque, fume dans une soupière de porcelaine. Lorsqu’on a fait une vingtaine de kilomètres en montagne, on a le droit d’être sensible à ce spectacle appétissant.
PRESIDENTS REPUBLIQUE FRANCAISE |
Après dîner, mes compagnons m’emmènent chez leurs amis de Sainte-Engrâce. Notre première visite est pour un respectable instituteur, qui, après avoir éduqué, de nombreuses générations, a pris sa retraite pour vivre eu philosophe et en sage sur les sommets d’où l’on peut dominer, non sans quel que dédain, les vaines agitations des hommes.
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