CIBOURE EN 1922.
En 1922, Ciboure compte environ 2 700 habitants et est administrée par le Maire Jean-Pierre Celhay.
ENTREE DU PORT CIBOURE - ZIBURU 1920 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Gaulois, dans son édition du 16 septembre 1922, sous la
signature de Louis de Meurville :
"Ciboure.
Ciboure? Quoi? Qu'est-ce? Où placez-vous cela?
Voilà ce qu'on aurait dit il y a quelques années. On ne le dit plus depuis qu'un restaurant-dancing a attiré toutes les élégances de Biarritz et de Saint-Sébastien. C'est un mouvement incessant d'autos, de jour et de nuit, sur le quai de Ciboure, pour le malheur des tranquilles habitants de ce passage.
ENTREE DU PORT CIBOURE - ZIBURU 1921 PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est qu'il est merveilleusement situé ce restaurant, sur une sorte de promontoire, en face de Saint-Jean-de-Luz, de la rade et du pittoresque vieux fort du Socoa qui est censé protéger la rade. De hauts et touffus tamaris abritent ce dancing et en font une féerie la nuit, avec ses lanternes vénitiennes en oranges lumineuses, suspendues aux branches. Au-dessus s'étale une petite plage entre des rochers sur lesquels le canot de L'Aigle, qui, en 1867, amenait à terre l'impératrice Eugénie et le Prince impérial, faillit se briser. Un des rameurs, Pierre Larretche, qui était précisément de Ciboure, voyant le danger, se jeta à l'eau et interposa sa poitrine entre le canot et le rocher. Une réduction de L'Aigle, bateau à aubes, suspendue dans l'église de Saint-Jean-de-Luz, en ex-voto de l'Impératrice, rappelle ce fait que les étrangers ignorent. Le fils de Pierre Larretche a été élevé aux frais de la cassette impériale et a fait plus tard un brillant officier.
LA RESERVE CIBOURE - ZIBURU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il y a beaucoup de choses en ce pays basque que les Parisiens et les étrangers peuvent voir et ne comprennent pas. Outre les Basques qui peuplent Ciboure comme Saint-Jean-de-Luz, descendants de ces rudes marins qui étaient réputés les meilleurs de l'Europe par leur courage, leur audace et leur habileté, il y a là un reste de population bohémienne, unique exemple de cette race nomade devenue, sédentaire. On a appelé ces gitanes, on ne sait pourquoi, les Cascarots. Quelques-uns font venir cette appellation de Cagots, Cascagots, Cascarots. Il n'y a cependant de commun entre ces parias que la méfiance qu'ils inspiraient. Les Cagots des Pyrénées étaient descendants de lépreux expulsés d'Espagne; on les confinait, on leur parlait, on n'en approchait guère; on n'épousait pas leurs filles et on les obligeait à n'entrer à l'église que par une porte basse qui donnait accès à leur coin réservé, tout au fond de l'église. Même usage était observé à Ciboure à l'égard des Cascarots, dont la race, on le sait, adopte toutes les religions des pays qu'elle traverse, sans croire à aucune. Ces bohémiens sont venus dans le pays à la suite de l'armée espagnole en 1631, mais surtout à la suite de l'armée de Wellington en 1813 et 1814. Ils suivaient l'armée pour piller, dépouiller les blessés, dire la bonne aventure aux soldats et faire d'autres métiers non plus glorieux, ni plus honorables. Saint-Jean-de-Luz ne voulut pas les accueillir; ils s'établirent alors sur la colline verdoyante de Ciboure et dans la rue haute par où passaient autrefois les diligences et les courriers qui se rendaient en Espagne. On y voit encore leurs petites maisons à la porte basse en forme arabe, surmontée d'un petit œil-de-bœuf.
CASCAROTTES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je me souviens de cette population en 1875; ce n'était que cris et disputes dans ces maisons; les femmes avaient l'air de sorcières et les hommes aux cheveux crépus, aux traits fins, aux mains nerveuses et crochues, aux yeux noirs et brillants n'avaient que des regards hostiles. Ils n'avaient point de métiers, prenaient leur bien où ils le trouvaient, ravageaient les vergers cochons morts de maladie et se les partageaient; en toutes choses ils inspiraient une vigoureuse répugnance, mais on les laissait tranquilles par un reste de crainte des sorciers.
CASCAROTTES PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est qu'en ce pays de Labourd, le souvenir vivait encore du temps où toute la région était infestée de prétendus sorciers que Pierre de Lancre, conseiller au Parlement de Bordeaux, fut chargé de réprimer en 1609, avec pleine autorité, sans appel. Il en usa si bien qu'il fit brûler plus de mille personnes, hommes, femmes et ecclésiastique, notamment deux prêtres de Ciboure qui furent dégradés par l'évêque dans la cathédrale de Bayonne, pendus et brûlés. Les malheureux qu'on dénonçait comme ayant été au sabbat étaient mis à la torture, forcés d'avouer, et d'en dénoncer d'autres, et ensuite condamnés. Ce fanatique et stupide parlementaire a laissé un livre où il se vante de ce qu'il a fait, entremêlant ses récits de dissertations théologiques et juridiques dont la lecture est la dernière peine qu'il inflige. Au delà de la mort, il persécute encore les imprudents qui se fient à lui. En disant cela, j'ai sous les yeux son gros volume : De l'inconstance des mauvais anges et démons, et je n'ai pu que le parcourir avec un sentiment d'horreur.
LIVRE DE L'INCONSTANCE DES MAUVAIS ANGES ET DEMONS DE DE LANCRE |
Aujourd'hui tout est bien changé : les Cascarots se sont fondus dans la population, non par les Basques qui les évitaient, mais par les Gascons et les étrangers. Il est permis aujourd'hui de dire, après la mort du duc de Pomar qui n'a pas laissé d'enfants, que sa mère, lady Caithness, qui fut célèbre à Paris, était née bohémienne, portant un nom basque, Mariategui; elle avait épousé lord Caithness, après avoir été élevée par ses soins.
MARCHANDE DE POISSONS CIBOURE - ZIBURU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il y avait encore à Ciboure, il y a une dizaine d'années, une femme cascarote qui disait la bonne aventure et passait pour avoir le don d'enlever les mauvais sorts. Quand elle se vit sur le point de mourir, elle fit appeler le vicaire qui commença par lui enjoindre de renoncer à ses pratiques de sorcellerie. Elle eut un sourire :
"Monsieur l'abbé, je n'ai jamais fait de sorcellerie. Je ne sais même pas ce que c'est. Je ne puis m'accuser que d'avoir abusé de la crédulité et de la bêtise humaines."
J'ai vu passer, il y a un peu plus de quarante ans, le roi des Cascarots. C'était un petit vieux très digne, fumant sa pipe, à califourchon sur un âne, et allant visiter ses sujets qui avaient pour lui le plus grand respect, car son autorité s'étendait au loin sur les gitanes. Il n'y avait d'autre roi des Bohémiens qu'en Hongrie. Ce roi est mort dans son lit, l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans, et il n'a pas eu de successeur, n'ayant pas laissé d'enfants. Les Cascarots sont depuis lors en république, mais ils ne sont plus les Cascarots, ils ont pris les noms, la langue, les mœurs, les occupations et le sang du pays. C'est à peine s'ils en reste quelques-uns de type pur.
CASCAROTTES PAYS BASQUE D'ANTAN |
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