PARIS - CÔTE DES BASQUES EN 1926.
Depuis le 19ème siècle, la Côte Basque est une destination prisée des têtes couronnées de ce monde ainsi que des personnalités politiques, culturelles et autres.
TRAIN PULLMANN HAVANE 1926 |
Dès 1855, Bayonne est reliée par le train à Paris et après sa mise en service le 21 avril 1864,
c'est la gare de Biarritz-La Négresse qui accueille de prestigieux visiteurs, comme Napoléon III
et l'Impératrice Eugénie, par exemple.
Voici ce que raconta le journal Le Siècle, dans son édition du 2 novembre 1926 :
"Paris-Côte des Basques par "le train Havane"."
Pour qu'il ne pleuve pas dans mon cœur comme il pleut sur la ville, où fuir sinon vers ce pays basque dont Léon Bérard, un de ses fils éminents, a dit :
LEON BERARD PAYS BASQUE D'ANTAN |
"La Côte Basque a le privilège unique au monde d'être belle toute l'année."
Allons, mon amoureuse, en route, et route heureuse, le "Pullmann" est au quai... d'Orsay !
Au "train bleu", au "train vert", les Compagnies d'Orléans, du Midi et des Wagons-Lits viennent en effet d'ajouter le "train havane"; c'était bien la couleur qui convenait à un matériel roulant vers l'Espagne, métropole des îles où fleurit le prince des tabacs !
Le train Havane! On m'avait convié, les 28-30 août, au voyage inaugural des Pullmann-cars de ce nouveau Sud-Express. Quel luxueux matériel !
AFFICHE COMPAGNIE WAGONS-LITS SUD-EXPRESS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Des voitures-salons peintes extérieurement aux couleurs brun et crème (vanille-chocolat !) et dont la décoration intérieure est réalisée par de merveilleux panneaux de cœur d'acajou que festonne une discrète guirlande de capucines et où s'inscrit, par places, un miroir biseauté. Tapis moelleux et douze fauteuils de velours gris, qu'un mécanisme amène à la position rêvée. Devant chaque fauteuil, une table articulée où des maîtres d'hôtel stylés viennent, à l'heure des repas, servit des nourritures délicates au voyageur à qui est désormais épargné le calvaire des couloirs encombrés menant au wagon-restaurant ! Chacune des voitures sorties des ateliers Lorraine-Dietrich, de construction entièrement métallique, réalise le maximum de confort et de sécurité ; elle coûte son petit million.
VOITURE PULLMAN CIWL |
VOITURE PULLMAN CIWL |
Gloire à Pullmann, cet Américain qui, ne réclamant aucune dette, nous dota de ces "cars"; de luxe et, mariant sa fille à l'honorable sir Davidson Daviel, donna aux Belges et aux Anglais de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits la formule de ces salons qui roulent.
VOITURE PULLMAN CIWL |
Etre à dix heures du matin sur le quai de la gare d'Orsay, monter dans le Pulmann du "train Havane", descendre à huit heures et demie du soir à Biarritz; quitter les bords pluvieux de la Seine à l'heure du "Rossi" et être sur la côte Basque pour savourer un verre de liqueur d'Hendaye-Barbier après un fin dîner, voici, n'est-il pas vrai, plaisir d'homme de goût, à condition toutefois qu'il dispose de quelques francs-or... ou soit l'hôte de MM. Mange, directeur de la Compagnie d'Orléans, Paul, directeur de la Compagnie du Midi, le sénateur Despret et le baron de Snoy, directeurs de la Compagnie des Wagons-Lits. Qu'ils soient félicités et remerciés par un des voyageurs de ce beau voyage, eux et tous leurs collaborateurs, au premier rang desquels M. Berweiller, secrétaire général du Midi, et Marc Varenne, des Wagons-Lits, rivalisèrent de bonne grâce et de dévouement.
Car, pour un beau voyage, ce fut un beau voyage ! Je ne parle pas de la succession des paysages à travers lesquels le mécanicien du "train havane" —- beau cigare qui file en fumant — nous emportait à 100 à l'heure ! Ils sont trop célèbres : Corot et Courbet d'Ile de France, Millet de la Brie, Auguin des Landes et de la Côte d'Argent.
J'ai hâte d'arriver au pays basque, à cette côte qui déroule son clair ruban de la barre de l'Adour à l'embouchure de la Bidassoa, et dont les Basques ne veulent plus qu'on l'appelle Côte d'Argent, ce vocable étant désormais réservé à, la côte landaise de la Gironde à l'Adour. Côte Basque, cela seul et c'est assez pour la fière modestie d'une race et d'une région qui ont su garder jusqu'ici leur forte originalité !
Ce dimanche 29 août, brûlante journée où on nous offrit tant de belles et bonnes choses, restera dans mes souvenirs de régionaliste et de gastronome! Douce évocation en ce triste jour de novembre.
Départ dans le matin voilé de brume, par le chemin de fer basque dont la voie est jalonnée de stations charmantes, où les métairies aux toits inégaux, aux murs dont la blancheur est zébrée de pans de bois noir ou brun, alternent avec les riches villas bâties à leur image.
Bidart, Guéthary, Ascain, où quelque jeune frère de Ramuntcho s'exerce devant le fronton encadré de platanes le chistera au poing, chemise de cotonnade et pantalon de coutil serrés par une ceinture noire, le petit béret bleu fixé sur la tête, des sandales blanches aux pieds.
Un attelage de bœufs, casqués d'une peau de mouton, recouverts de longues couvertures blanches, se range au bord de la route pour laisser passer un autocar. De St-Jean-de-Luz par un tram électrique et, à partir de la Chapelle-Saint-Ignace affreusement badigeonnée, par un funiculaire, en une heure nous gravissons les pentes sévères de la Rhune, ce premier bastion des Pyrénées, à cheval sur la frontière franco-espagnole et d'où l'on découvre un des plus beaux paysages du monde : golfe de Gascogne et côte des Basques, vallées de l'Adour, de la Nivelle et de la Bidassoa.
Nous voici sur l'âpre sommet de la Rhune, à 900 mètres. Du fond du ciel, comme s'ils étaient commandés pour je ne sais quelle parade, trois vautours aux ailes blanches frangées de noir arrivent et décrivent sur nos têtes ou dans le ravin proche des orbes silencieuses. On les croirait engagés comme figurants par l'administration du funiculaire. L'un d'eux poussera le scrupule jusqu'à suivre longtemps la voiture descendante. C'est le vautour de service, dira M. Paul, le souriant directeur du Midi.
Nous redescendons sur Hendaye, où nous attend le succulent déjeuner de l'hôtel Eskualduna : hors-d œuvre de grande classe, arrosés d'un Graves distingué, saumon de la Bidassoa, poularde sautée à la basquaise, c'est-à-dire sur une paille d'oignons frits croustillants et onctueux, que soulignait un Cos d'Estournel bien chambré, foies gras de Toulouse au porto et, à l'heure du Corona, le velours aromatique d'une Hendaye-Barbier.
Je fuis les langueurs de la terrasse du Casino pour aller saluer la maison où Loti aimait vivre et où il est venu mourir le 10 juin 1923 ; Bakaretchea, que Samuel Viaud, dans sa piété filiale, a débaptisée et appelle maintenant : Balabar-Etchéa.
Mais l'heure presse, on prend la route du retour, qui doit compter plusieurs arrêts.
C'est d'abord à la Réserve d'Hendaye, cette pittoresque hôtellerie d'Haïcabia, construite dans le pur style basque par M. Martinet, le très sympathique directeur de l'Eskualduna d'Hendaye, féru de gastronomie et d'architectures régionales. L'hôtellerie est neuve et pimpante, pourvue du confort le plus raffiné ; sa salle à manger meublée à l'ancienne, ouverte sur la mer, son patio plein d'ombre retiendront les délicats et les gourmets.
Et puis voici Ciboure, au curieux clocher octogonal, à double campanile de bois. Autre Réserve, autre arrêt. Dans un cadre charmant, sous une pergola d'où la vue embrasse toute la baie de Saint-Jean-de-Luz, on prend le thé ; aux sons d'un jazz de collégiens anglo-savons, de jeunes couples espagnols ou argentins tournent lentement sous les tamaris.
Le matin, nous n'avions fait que traverser Saint-Jean-de-Luz, juste le temps d'apercevoir sur la jetée un élégant député socialiste du Nord, en peignoir tango. Au soleil couchant, pilotés par l'aimable rédacteur en chef de la Gazette de Biarritz, nous avons parcouru la digue bordée de villas aux passerelles de bois, et les vieilles rues si pittoresques avec le bar de la Baleine et celui des Trois-Pigeons, et cette curieuse église Saint-Jean, aux trois étages de galeries en bois dont le chœur aux colonnades et statues de bois doré, sur fond de vieil ocre rouge brille dans l'ombre, avec sa croix d'argent, souvenir du mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse.
L'infante d'Espagne habitait cette noble maison de briques rouges, margées de moellons blancs, qui s'élève sur le quai voisin. Tout près, le château Lahobiague, avec ses tourelles carrées, coiffées d'ardoise, où était descendu le jeune roi.
Comme le soir tombait, nous avons regagné Biarritz, toute rutilante de lumière et vibrante de musiques.
Après un vin d'honneur offert par la municipalité et un toast du distingué maire, M. Petit, on s'achemina vers le somptueux hôtel du Palais, ancienne résidence impériale, où les Casinos, les Hôteliers et le Syndicat d'Initiative traitaient leurs invités. Dîner de gala ordonné par M. Segolini, maître de céans, où M. René Baschet, directeur de l'Illustration, parla au nom de la presse avec son autorité et sa bonhomie souriante et fit entendre avec humour aux directeurs des Compagnies d'Orléans, du Midi, de l'Est, du P.-L.-M. qu'ils ne sauraient jamais trop apprécier la collaboration des journaux à l'œuvre touristique et régionaliste qui intéresse à un si haut degré les grands réseaux français.
Et l'on s'en fut, sous les étoiles, vers le vieux port où se déroula, au rythme de la mer, un harmonieux spectacle d'art et de chorégraphie réglé par Loïe Fuller.
Au soir de cette belle journée à travers le pays basque, les vers fameux de l'Invitation au voyage chantaient dans les mémoires :
Là tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
QUAI D'ORSAY PARIS |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire