LA "GOÉLANDIÈRE" À GUÉTHARY EN 1901.
Parmi les nombreuses chasses organisées au Pays Basque au début du 20èle siècle : vautours, renards, palombes et gibiers divers, il en est une qui ne pourrait plus être pratiquée aujourd'hui comme à cette époque-là, celle des goélands.
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Voici ce que racontait à ce sujet la Petite Gironde, le 29 octobre 1901 :
"C'est entre Biarritz et Saint-Jean-de-Luz, sur le territoire de la commune de Guéthary, au sommet et à la pointe d'une falaise, à laquelle un gentil chalet a donné son nom, que j'ai découvert une petite cabane enveloppée de détonations - c'est-à-dire une nouveauté ingénieuse dans l'art du tir, dans la science de la chasse aux oiseaux de mer, du goéland, surtout. Cette cabane a été édifiée là, très pratiquement, en un joli décor, par un jeune et habile sportsman, M.Robert Braun, fils de M. Théodore Braun, président de section honoraire au Conseil d'Etat, et - bien qu'il s'en défende trop modestement - l'un des grands fusils de notre époque.
Les chasseurs sont rares qui, en des heures de villégiature, ne brûlent pas quelques cartouches sur des oiseaux de mer. D'ordinaire, en ce qui concerne le goéland, la réussite est médiocre. Songez, en effet, que cet oiseau fait de la méfiance une des conditions de sa sécurité. Insouciant et fort, trop souvent il demeure au large, comme bercé des lamentations des lames. Mais, quand la tempête se dessine, lorsque le vent apporte sa rumeur, que le courroux des vagues clame dans l'espace, au long de la côte, s'indiquent les vols bruyants des alouettes de mer. Les goélands aux robustes envergures, les mouettes légères, les sombres macreuses drossées par le flot, les chevaliers se rapprochent du rivage, longent les falaises à marée haute. Ils s'éloignent, cependant, à la vue du chasseur à découvert et reprennent la mer comme s'ils se devinaient plus en sûreté au large, en dépit du mauvais temps, que dans le voisinage de la côte.
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C'est de cet était de choses, des observations qui en découlent qu'est née la goélandière de Lecaustbaita. En tenant compte de la topographie des lieux, en s'inspirant de la fréquence des passages, M. Robert Braun est arrivé, dans son installation, à la perfection, presque. Sur un terre-plein établi, en quelques coups de pioche, derrière le flanc de la falaise, en contre-bas, - de hauteur d'homme - d'un crête qui forme promontoire, entre deux anses de la côte, il a fait construire une baraque en planches, dans laquelle on nargue les intempéries. Le dessus se trouve légèrement au-dessous du relief du terrain, dans lequel est percée une meurtrière longitudinale, occupant, sur une assez grande largeur, le devant de la cabane. Cette meurtrière, calculée en hauteur, présente le moins d'ouverture possible à l'oeil des migrateurs, tout en permettant de tirer sans trop de gêne, sauf au "coup du roi". De plus, une autre meurtrière, fermée par un volet intérieur, peut s'ouvrir sur le côté, quand le passage a lieu plus près du flot que du sommet de la falaise.
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Dans le silence de sa goélandière, M. Robert Braun se renseigne facilement sur la direction que semblent devoir suivre les vols. Ces vols ainsi aperçus, de loin, il dispose ses armes en conséquence, en choisissant le plomb qui convient à tel ou tel oiseau. Les numéros 4 et 5 sont pour les goélands, le numéro 7 pour les pluviers, les mouettes. Des cartouches de numéro 2 sont réservées aux grands migrateurs : oies et cygnes.
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Qu'il se pratique en tête ou de côté, le tir des oiseaux est toujours intéressant. De côté, il est, et de beaucoup, le plus meurtrier; mais le plus souvent, il s'effectue en pointe, parce que le passage, alors, se réalise bien dans la ligne de la goélandière. L'oiseau s'approche moins de la falaise, il rase plutôt le flot, assez éloigné, par conséquent, du tireur. Par vent du sud-ouest - surtout d'ouest - les tableaux sont importants. Alors, le goéland passe à belle portée, majestueux et fort, les ailes éployées, dans sa lutte contre le vent quine paraît pas contrarier sa course aérienne. Par vent du nord, les oiseaux passent trop haut.
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Sans doute - croit-on - les goélands ainsi atteints ne sont guère comestibles; sans doute, aussi, ce n'est pas, à proprement parler, de la chasse. C'est, tout au plus, de la battue sur place, avec les rafales, les tourments de vent en guise de rabatteurs. C'est du sport, en tout cas, fait d'un tir amusant, d'un exercice d'adresse qui passionne, qui réjouit tous ceux qui aiment à porter une arme à l'épaule. Puis, les dépouilles des goélands sont faites pour plaire aux dames, et, dans l'ornement des chapeaux, les têtes, les plumes sont sensibles à nos compagnes. De plus, les pêcheurs basques déclarent le goéland meilleur que l'oie : ils en raffolent!
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La goélandière de Lecaustbaita a, en effet, des clients qui réclament les oiseaux avec insistance, pour les manger avec un enthousiasme difficile à comprendre. Ces braves gens veulent ignorer que le goéland est une sorte de préposé à la salubrité des mers qui distille des choses surprenantes. Au point de vue de l'assimilation, l'estomac du pêcheur basque doit avoir des privilèges. Il ne peut en être autrement. Car, un jour, las d'entendre vanter sans cesse, par la "clientèle" de son fils, l'excellence du goéland, M. Théodore Braun confia à un Basque, réputé maître en l'art d'accommoder ce gibier, le soin de préparer deux oiseaux pour sa table. L'expérience ne se prolongea pas au-delà du supplice imposé à son odorat. Dès qu'ils furent au feu, les goélands dégagèrent une odeur tellement insupportable qu'on les consigna rigoureusement à la porte de la salle à manger.
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Cette mesure fut agréable à deux serviteurs de la maison, nés sur la côte. Ayant obtenu la faveur de déguster les oiseaux, ils n'en laissèrent bientôt que les os. Le goéland et le toro?...eh, pôvre! D'ailleurs, les clients de M. Robert Braun ne sont pas à plaindre. Fréquemment, ils recueillent le bénéfice de leur goût pour une chair que tant d'autres dédaignent. En deux saisons - 1898-1899, 1899-1900 - il a été tué, en quelques jours de chasse seulement, du poste de la goélandière de Lecaustbaita, 392 oiseaux, dont la majeure partie - en grands goélands - a satisfait le palais des gourmets de la côte. Le plaisir du tireur se complète donc, ici, d'une bonne action.
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Aussi bien, la question culinaire importe peu, en l'occurrence. Il s'agit bien plus de révéler la pratique d'un sport agréable que de disserter sur la succulence d'un gibier de mer. Le tireur de pigeons ne mange pas davantage ses victimes. Et combien est plus attrayant, dans le mystère de la goélandière, le tir des oiseaux - moins préparé à coup sûr, plus fertile en surprises!
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