LA CITADELLE DE SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT (DONIBANE GARAZI) (BASSE-NAVARRE) DE 1937 À 1939.
La citadelle de Saint Jean Pied de Port n'a pas toujours été un monument de défense ou dédié aux soldats.
J'ai déjà consacré un premier article à cette citadelle.
En effet, pendant 22 mois, cette citadelle a aussi accueilli entre 600 et 1 000 enfants Basques, de
4 à 14 ans, à partir du 24 juin 1937, suite à la chute de la Biscaye aux mains des franquistes.
CITADELLE DE ST JEAN PIED DE PORT - DONIBANE GARAZI 1937
COLL TXOMIN HIRIART-URRUTY
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Parmi tous ces enfants, venant principalement de Biscaye, figuraient ma mère Eugénie, et
plusieurs de ses frères et soeurs (Aquilino, Juana et Maria Teresa), qui arrivèrent à St-Jean-Pied-
de-Port le 13/08/1937, en provenance d'Irun (Guipuscoa).
Je leur dédie ce nouvel article...
Comment était donc organisée la vie dans cette citadelle ?
La vie des enfants était très rythmée. Jugez-en plutôt :
Le matin, les enfants étaient réveillés à 7 h 15 et ont une demi-heure pour s'habiller, faire leur
toilette et faire leur lit.
Puis selon un roulement hebdomadaire, les garçons assistaient à la messe de 7 h 45 à 8 h 30
pendant que les filles prenaient leur petit déjeuner et vice versa.
À la fin de l'office, les enfants allaient en récréation.
De 10 h à 11 h 30 ils assistaient à trois cours différents et à 12 h 30 ils déjeunaient.
Exception faite pour les "mayorcitos", c'est-à-dire ceux qui avaient plus de 14 ans, qui avaient
cours de 8 h 30 à 9 h 30.
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Ceci le lundi, le mercredi et le vendredi pour les garçons et le mardi et le jeudi pour les filles.
À 15 h c'était la reprise des cours jusqu'au goûter à 16 h 30.
Une demi-heure plus tard les cours reprenaient et se terminaient à 18 h 30.
À 19 h 30 c'était le dîner et à 21 h les enfants allaient se coucher et une heure plus tard c'était
l'extinction des lumières.
Cependant il y avait des journées où l'emploi du temps n'était pas le même.
Le jeudi, les cours se terminaient à 16 h 30, suivis ou de repos ou de sortie si le temps le
permettait.
Le dimanche, après la messe, c'était lecture, puis l'après-midi activité sportive ou sortie
toujours selon la météo.
Ces horaires variaient aussi avec les saisons.
Les enfants avaient donc 22 h 30 de cours hebdomadaire avec un supplément de deux ou trois
heures pour les plus âgés.
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Les élèves étaient répartis en une vingtaine de classes où ils étaient plus ou moins vingt par
classe.
Il y avait d’abord les "mayorcitos" qui étaient une cinquantaine, en avril 1938, et qui étaient
divisés en deux groupes, les filles et les garçons.
Pour les autres, le regroupement se faisait d’une part selon la tranche d'âge, les garçons et les
filles étant strictement séparés et d'autre part, selon la langue car la direction avait aussi la
volonté de former des classes entièrement bascophones ou hispanophones.
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Chaque classe avait sa maîtresse référente qui assurait l'ensemble des cours sauf quelques
cours spécifiques comme les langues qui étaient assurés par des professeurs.
Une classe prenait tous ses repas ensemble sous la surveillance de son institutrice tout comme
les sorties et les activités externes.
De même les dortoirs étaient organisés par classe et c'est toujours la maîtresse qui se chargeait
de coucher les jeunes et de les réveiller le matin.
D’ailleurs elle dormait dans la même pièce qu'eux et il y avait de nombreux échanges entre
l'institutrice et les enfants.
Lors des récréations les enfants se retrouvaient tous ensemble mais on essayait toujours de
maintenir la séparation entre filles et garçons malgré la toponymie du site qui ne le permettait
pas vraiment.
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Les enseignantes avaient un rôle très important.
En effet, chacune devait assurer le fonctionnement de sa classe du réveil au coucher et ceci sept
jours sur sept sauf pendant les récréations et les offices religieux, auxquelles elles assistaient
aussi.
Il faut aussi noter que pendant que les enfants prenaient leur repas, les enseignantes les
surveillaient et ne se restauraient qu'une fois que les enfants avaient terminé et avaient quitté
la cantine.
Néanmoins, certains enfants, dont ma mère, âgée d'environ 13 ans, servaient ensuite les
professeurs à table.
Quand les enseignantes avaient été recrutées par le gouvernement basque, celui-ci leur avait
promis un salaire de 150 francs par mois.
Cependant il est certain qu'elles n'avaient pas accepté ce travail pour l'argent mais plutôt par
volonté d'aider leur gouvernement et continuer à défendre leur cause dans l'exil mais aussi
peut-être pour fuir plus facilement la guerre.
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Or, le surmenage qu'elles subissaient les poussa le 3 janvier 1939, à rédiger un courrier à Jésus
Maria Leizaola, conseiller de la justice et de la culture, pour expliquer qu'elles avaient du
matin au soir sept jours sur sept la charge des enfants et que le rythme était insoutenable.
Dans ce courrier qui fut aussi transmis au directeur de la colonie et à l'inspecteur de
l'enseignement, elles demandaient soit une augmentation de salaire à 300 francs par mois, soit
un allègement des tâches quotidiennes.
Ce courrier fut signé par dix-sept maîtresses, soit toutes sauf trois, et avaient le soutien d'un
professeur.
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Le personnel de la Citadelle fonctionnait en quasi autonomie par rapport au gouvernement
basque et donc possédait sa propre administration et hiérarchie avec trois postes à
responsabilité.
Tout d'abord le directeur était chargé de la maintenance technique, de la discipline, de la
comptabilité mais aussi de la gestion du personnel technique et des auxiliaires.
Chaque mois il faisait un rapport au Comité Basque de Secours aux Réfugiés.
Il avait, à ses côtés, une secrétaire et un administrateur.
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Puis il y avait l'inspecteur de l'enseignement, Diego Pascual Eraso, qui était chargé de la
pédagogie et de la discipline scolaire .
Il devait organiser les classes et les enseignements ainsi que tout ce qui en découlait.
C'est lui aussi qui proposait l’acquisition du matériel scolaire nécessaire.
Mais toutes les décisions importantes devaient passer par le directeur et il faisait lui aussi un
rapport mensuel au comité.
Le dernier poste à responsabilité était celui de médecin de la colonie qui était tenu au début par
le Docteur Arrue mais qui fut remplacé le 7 mai 1938 par le Docteur Domingo Achondo.
Le médecin n'était pas subordonné au directeur et il dépendait directement du département de
la santé du gouvernement basque.
Il était chargé de l'hygiène et d'organiser les services médicaux.
Il assurait le suivi médical des enfants et se chargeait de l'achat du matériel nécessaire à sa
profession.
Enfin il informait les différentes instances de l'état médical de la colonie.
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Pour le reste du personnel, comme évoqué précédemment, il y avait 3 groupes, le personnel
enseignant, médical et technique :
- Dans le premier il y avait vingt maîtresses, trois professeurs, deux professeurs de
musique et un enseignant de basque.
- Dans le groupe médical, le médecin était assisté par une infirmière et quatre
aide-
soignantes.
Ce qui tout de même peu paraître assez limité pour 500 enfants et près d'une centaine
d'adultes.
- Le dernier groupe était le plus important et le plus diversifié.
Pour s'occuper du linge il y avait cinq lavandières, six couturières et une blanchisseuse.
En cuisine, une cuisinière, ses trois aides et une plongeuse.
Pour nettoyer les locaux, l’équipe était composée de dix auxiliaires de nettoyage et de deux
balayeurs.
L’adaptation et une partie des travaux étaient assurées par un maçon, un plombier, un
électricien et un charpentier.
D'autre part un magasinier gérait les stocks de nourriture et de matériel.
Enfin on trouvait aussi deux coiffeurs, deux portiers et un cordonnier.
Il faut y ajouter les trois prêtres qui se chargeaient du culte et de l’éducation religieuse.
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C'est donc un groupe très varié et très complet de 78 personnes qui était arrivé avec les
enfants et qui administrait la Citadelle.
Par la multitude de ses corps de métier il pouvait gérer quasiment tout ce qui était possible et
imaginable, dans la limite de ses moyens.
A signaler parmi les changements importants, qu'en janvier 1938, le directeur Bizente
Amezaga fut envoyé en Catalogne et remplacé par Luis Arbeloa après une inspection diligentée
par le gouvernement en exil.
Cependant cette distribution des tâches et des responsabilités ne fonctionnait pas toujours très
bien et créa même des conflits qui dépassèrent largement le cadre de la Citadelle.
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Le 23 mai 1938, le Dr. Achondo envoya à Luis Bilbao, l'inspecteur général de l'hygiène du
gouvernement d'Euskadi en France, un rapport sur l'état sanitaire de la colonie.
Celui-ci était déplorable.
Il dénonçait un manque de sanitaires, de douches, de lavabos et un très gros risque d'infection
pour les enfants. Pour lui il était urgent de procéder à des travaux et il dénonçait même
l'inertie du directeur.
Le 17 juin 1938, le conseiller de la santé donna l'aval au projet de Bilbao qui avertit
immédiatement le directeur Arbeloa pour qu'il puisse demander les autorisations nécessaires
au maire de la commune.
Le 20 juin 1938, Luis Arbeloa s'exécuta et reçut une réponse du maire le 22 du même mois.
Ce dernier expliqua vouloir se rendre sur place pour évaluer l'ampleur des travaux et donner
son accord.
Cependant le directeur n'attendit pas l'aval du maire et commença à installer un réseau
hydraulique.
De plus, l’installation n'était pas celle prévue dans les plans de Luis Bilbao .
Donc pour des raisons inexpliquées, le directeur se mit à agir seul et contre tous.
Quelques jours plus tard le maire apprit que les travaux avaient débuté et somma le directeur
de les arrêter immédiatement.
Mais, malgré l'avertissement, le directeur persista.
Le 7 juillet 1938, Luis Bilbao se rendit à la Citadelle sans que le directeur ne l'ait informé des
événements précédents.
Luis Bilbao lui fit part de son mécontentement quand il réalisa que les travaux en cours ne
respectaient pas les plans du gouvernement.
Bilbao prit alors la décision de se rendre auprès du Maire mais celui-ci refusa, dans un premier
temps, de le rencontrer.
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Le 13 juillet 1938, les deux hommes se rencontrèrent néanmoins et le premier magistrat de la
commune lui donna une toute autre version des faits : Le 20 juin 1938 il avait bien reçu la
demande pour les travaux mais sans aucun plan, et ne pouvait donc donner son accord.
Et lorsqu'il apprit que les travaux avaient débuté, il demanda au directeur de les stopper.
Le 9 juillet 1938, ne s’étant toujours pas fait entendre, il monta pour arrêter lui même les
travaux et ce n'est que le lendemain qu'il reçut les plans de Beascoechea.
A propos de l'incident avec le docteur, le maire répondit qu'il n'avait pas entendu parler de
cela mais que par contre on lui avait rapporté que ce dernier racontait en ville que le
gouvernement basque voulait dépenser 40 000 francs en aménagements sanitaires et que la
mairie s'y opposait et ces propos le scandalisaient.
Le 18 juillet Eliodoro de la Torre, Conseiller des finances et de la santé du Gouvernement
Basque rappela les attributions de chacun : Le directeur était le responsable de la colonie;
cependant, concernant les travaux sanitaires il devait collaborer avec les services de la santé.
Quand au médecin, s'il était en conflit avec le directeur, il fallait qu'il avertisse ses supérieurs
hiérarchiques au lieu de parler de leurs désaccords sur la place publique.
(Source : "La Citadelle" de Txomin Hiriart-Urruty aux éditions Elkar)
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