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mercredi 15 novembre 2017

LA MORT DE PIERRE LOTI À HENDAYE EN LABOURD AU PAYS BASQUE LE 10 JUIN 1923


LA MORT DE PIERRE LOTI EN JUIN 1923.


Louis Marie Julien Viaud dit Pierre Loti, écrivain et officier de marine Français meurt le 10 juin 1923 à Hendaye.




Toute la presse s'en fait l'écho, en particulier la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays 

Basque, dans son édition du 12 juin 1923, sous la plume de Jean Dargene :

"Brins de violettes pour Loti.


L'âme inquiète de Loti a quitté la terre ; vous me demandez quelques souvenirs de notre vie commune ? Les voici, au hasard, au courant de la plume, évoqués avec la plus cordiale émotion :


...Un timonier a prévenu le capitaine de vaisseau en visite au cuirassé amiral : sa baleinière, petite embarcation blanche qui se balance au pied de l'" échelle " à laquelle ne la retient que le fer de gaffe du patron et qui va remettre l’officier à terre, est prête, baleiniers aux avirons. Le maître de quart siffle : "Sur le bord !" ; le commandant en second et l’officier de garde sont à la coupée du cuirassé. 



pays basque autrefois
PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN

Honneurs, saluts.... Le visiteur reboutonne un de ses gants blancs et, pour ne point s’entraver, saisit, par la poignée, son sabre doré... Il descend, grave, les échelons... 



Vers les coursives et les tourelles, de loin, les hommes ont des curiosités, avec de visibles émotions ; des officiers, après avoir fait leurs adieux protocolaires, ou des échanges amicaux de poignées de mains, se penchent sur la rambarde, discrètement, pour encore voir : celui qui descend, vaut l’attention exceptionnelle ; c’est le capitaine de vaisseau Louis-Marie-Julien Viaud, baptisé tout jeune, à Tahiti, par de petites fées océaniennes chez la reine Pomaré, du nom éblouissant de Loti, nom que l’Annuaire ne mentionne pas, qui, pourtant, aux yeux des matelots, le place comme en une sorte de nimbe mystérieux, appelé "Célébrité" et, de façon plus impressionnante peut-être, "Académie"... 


pays basque avant
PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN

Comme on regarde !... On sait que le commandant ne va pas à une inspection, une parade, un exercice d’escadre, ni à une convocation chez le Commandant en chef ; que même, il ne part pas en congé sensationnel, où, moissonner parmi de nouvelles fleurs de sensibilité et de pitié, des chefs-d’œuvre nouveaux... Pour la dernière fois, on lui a rendu les honneurs militaires, à la coupée d’un vaisseau de France !... Atteint par la brutale et si souvent absurde limite d’âge, faucheuse inconsciente, il descend, pour ne plus jamais le remonter, dans l’éclat du grade, cet escalier de cuirassé ; — il s’en va, après quarante-quatre ans de sa vie donnés au climat perfides, aux bourrasques et à la tempête, mais donnés aussi à la mer, sa berceuse, son ensorceleuse, son accapareuse ; il va à l’oubli définitif, — hors de l’existence officielle des marins, vers la nuit qui s’appelle la Retraite... 



pays basque autrefois
PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN

Ah peut-être, en la faisant cette descente, au balancement de la houle, songe-t-il au jour lumineux où avec le galon or et azur de jeune midship, au sortir du Borda, pour la première fois il montait l’escalier du bateau-école d’Application ! 


Aux rayons du soleil clair de ses 18 ans, qu’il lui fut doux, alors, comme à ses émules d’étude, d’entr’apercevoir, aux travers des brumes de l’avenir, dans le lointain très éloigné, très flou, et se dérobant aux orientations, mais, quand même, "dans le vent" et du côté des latitudes presque invraisemblables d’irréelles Amériques, aux parages d’une fantastique Cipango... cette lueur qui guidait les Mages, ce scintillement d'une Etoile, au centre de la Constellation des Espoirs et des légitimes perspectives... 



pays basque autrefois
PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN

Loti aura conquis l’Etoile de la Renommée, insoupçonnée et non cherchée aux jeunes ans, mais celle du marin, celle de l’officier, il n’aura pas eu le bonheur de l’avoir atteinte ! Et celle jolie chose n'aura pas eu lieu, — qui eut été charmante comme une élégante harmonie, — qui semblait une conjoncture presque obligée : Loti amiral !... L’amiral Pierre Loti !... La vie, vraiment, ne sait guère être poète... Et, de cela, quelques douzaines de camarades, d’innombrables amis, la foule anonyme d’hommes à grand col bleu et pompon rouge auront gardé comme une rancœur, une intime déception, un froissement personnel... 


La retraite de Nelson, sur le "Victory" glorieux, au milieu du fracas des bordées et des vociférations de la bataille ; celle de Courbet, le triomphant lendemain des Pescadores ? Oui certes !... Mais, à jour fixé, songer que ce coup de canon, qui ébranle les échos de la rade, est le dernier qu’on aura entendu, dans l’autorité du commandement, et que cette petite fumée, qui s'envole en couronne, va s’évanouir tout à coup avec la dernière ambition de la carrière ; mais, l’ultime exercice présidé, remettre au fourreau le sabre désormais inutile; clore son Cahier d’Ordres du bord par des adieux à l'Etat-Major et à l’équipage ; voir, aux dernières clartés du dernier couchant de sa vie de marin, rentrer les couleurs, depuis tant d’années saluées, matin et soir, dans les fraîcheurs d’aube ou les chaudes teintes des crépuscules, sous les latitudes les plus perdues et dans les mouillages inexplorés ; émigrer de la passerelle pour devenir un étranger aux choses de la mer; se retrouver civil, voire électeur... Ah ! pour un marin comme Loti, c'était se dire, dans le suprême désenchantement :" Plus de parages où promener mon âme !" 



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PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN


Sans être poètes comme Loti, nombre de marins, (et, au fond, quel marin n’est un peu poète ?) se refusent à une telle mort prématurée. Un amiral à qui, entrant dans la marine, j'étais recommandé, qui avait été "homme de mer" presque exclusif, se donnait, en retraite, même très vieux, l’illusion d’être marin toujours. Sa maison était menée comme un vaisseau ; avec une touchante, respectueuse et affectueuse sollicitude, l’amirale, bien plus jeune que son mari, veillait à ce que rien ne contrariât le cher vieillard. Au reste, chez eux, le personnel entier était retraité : valets-matelots, anciens maîtres d’hôtel de l’amiral, dans ses campagnes, cuisinière et chambrières ayant de longs états de service, comme femme de marins. Alors, partout, la discipline : le lever, un peu tardif pour toute la maisonnée, d'abord avec la diane au clairon ; mais, (après plaintes de voisins), au simple signal d'un vieux quartier-maître, promu timonier, et allant, comme à bord, cogner à chaque porte et annoncer : "As-tu entendu, les tribordais et bâbordais à l’appel ?"... Et ceci, plus joli, le soir, au branlebas fini, (l’amirale ayant exécuté au piano, une retraite à pédales fortes), la vieille prière des vaisseaux français, gravement dite par l’amiral, à côté de sa femme et entouré de ses gens, le pater, l’ave maria; puis, de rares fois, toujours comme à bord, les punitions : Kerdoncuf, le cocher, ayant mal viré un tournant, attrapant deux jours de consigne, ou Lannik, moussaillon-plongeur de cuisine, privé du quart de vin, pour chapardage, à la cave, d’une bouteille...



Loti était venu tard sur cette Triomphante où nous liâmes amitié; assez à temps pour ensevelir le grand amiral dans les fleurs de son respect filial, et pour que l’amiral de Maigret, conduisant le deuil du Bayard, ait pu, quand nous défilions devant le luxueux cercueil, lui donner ce témoignage particulier très précieux : "L’amiral aussi vous aimait bien !"



Loti était marin-né, appelé par vocation au métier magnifique de la mer ! Avec sa passion de vie aventureuse, son désir éternel de trouver remède à un éternel ennui, ..Au pays parfumé que le soleil caresse, ...Dans un retrait de tamarins ambrés... il eut été, en d’autres temps, l’inlassable conquistador ; il eut vidé l'Océan, avec une coquille marine, pour y trouver plus de sensations et plus de mystère; à quelques siècles en arrière, il eut été Diaz, ou Cabral, Raleigh, même Cartier, et, dans les fastes de la mer, fut restée sa marque profonde. 




pays basque autrefois
ROCHEFORT FUNERAILLES DE PIERRE LOTI 16 JUIN 1923



Avant tout marin et soldat ; l'artiste, en lui, par surcroît. Sa personnalité était assez complexe pour qu’il ait pu, en un parfait officier, demeurer parfait poète. Son art, qui eut suffi à remplir toute une vie, jamais ne lui fit négliger sa profession. A l'encontre de beaucoup d’opinions fausses, chez lui la poésie n’était qu’un accessoire de grand luxe, une fantaisie de grand seigneur. Ceux qui ne l’ont pas connu dans les grades inférieurs, avant qu’il n’eut rapporté de "notre" Triomphante, en Chine, son merveilleux Pêcheur d’Islande avant, aussi, que la considération acquise, l'incontestée admiration ne l'eussent préservé, enfin, des injustes préventions, ceux-là ne peuvent imaginer le degré de sa correction de métier ; ses scrupules à se surveiller dans le devoir, fastidieux par fois, de la vie de bord ; à ne paraître, à aucun, officier-amateur ou irrégulier de l’uniforme. Par 35°, au moins, de chaleur, un jour, il montait prendre le quart et, impeccablement, se boutonnait jusqu’au col, malgré le laisser-aller acquis d’une lin de campagne de guerre :


" A ce point réglementaire ? lui dis-je, en plaisantant. 


— Moi, toujours ! répondit-il, en souriant; aucune licence ne m’est permise !"




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ROCHEFORT FUNERAILLES DE PIERRE LOTI 16 JUIN 1923


Le croirait-on ? Ce camarade qui avait déjà signé tant de beaux livres, d’ "Aziyadé" à "Mon frère Yves", n’encombrait jamais le "carré" de son importance. Tel rapin, ayant brossé vingt centimètres de "plat d’épinards", l’esthète coupable d’un quatrain sans rimes ni rythme, courent le clamer. Si, (hasard ou incuriosité, cela s'est vu), vous ignoriez que Viaud c’était Loti, jamais lui ne vous l’eut appris. Jamais, en conversation, même le titre de ses livres. On parlait en officier à Loti ; jamais Loti ne parla en autre que Viaud. Celui-là n’écrasait pas de ses fatuités !... La nuit, seulement, les camarades étant occupés ou couchés, tandis que, sous les quinquets ballottés au tangage, je fabriquais du café puissant, au Carré désert, quelquefois Viaud. pour moi, devenait Loti : sur le tapis vert de l’immense table abandonnée, que de pages de Pêcheur d'Islande, qu’on parachevait me furent lues, en confidence, et "avant la lettre !" 


L'heure vint où, imposé par plus d'âge, par l'estime aussi d'une ambiance devenue juste, l'officier, en Loti, enfin fit adopter l'artiste. On discute peu l'indiscutable. Loti devenait décoratif. L’Académie classait et auréolait un talent qui avait pu induire qu’on craignait pouvoir faire dévier l’esprit militaire de l'officier. Mais Jurien de la Gravière proclama qu’il serait, sous la Coupole, le premier à saluer le poète de la mer..., son subordonné quant aux galons. Alors il eut des commandements, put montrer sa valeur professionnelle. 




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ROCHEFORT FUNERAILLES DE PIERRE LOTI 16 JUIN 1923


Ce fut un dévot de la force physique. Très fier d’être lauréat de la célèbre Ecole de Gymnastique de Joinville-le-Pont, il adorait les exercices violents et funambulesques. Sur la Triomphante, pour activer sa digestion, il s’amusait à sauter, pieds joints, la large table du carré toute servie ou à descendre de la misaine sur les étais. 


En retraite, il se comparait, encore plein de force, à ces navires affourchés dans les coins des ports, déjà désaffectés, qui ne fendront plus les lames de leur étrave, pour qui, dans la brise "fraîchissante", il n'y a plus de tressaillements de la membrure, ni chanson des amis qui jouent, — épaves, reliques, ce qui cesse d’être, qu'attend le marteau des démolitions... 




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ROCHEFORT FUNERAILLES DE PIERRE LOTI 16 JUIN 1923


Mais, heureusement, il a créé le poème de la mer ! Son âme a pris son vol, mais fervente du grand soleil, dans la joie des îles bleues et des sables d'or, elle ne connaît plus les détresses de l'oubli ! Comme la mer, elle fut agitée et houleuse, mais caressante; elle peut librement errer vers Ceylan, berceau du monde, ou à Tahiti, l’île embaumée, qu'enchante toujours la cantilène : "Vaïhné dé Moréa..."



pays basque d antan
PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN

Les humbles des côtes, les matelots, les passeurs de la piazzetta d’Hendaye à Fontarabie, les pêcheurs de Paimpol et de Binic auront aujourd'hui le cœur serré : ils perdent leur grand ami... 


Et sans doute, "la Vierge qui veille dans la pénombre des églises", celle de Gand affligée, la Grande Etoile de la Mer, que Loti, bien que protestant, sut chanter si bien, l'aura empêché, malgré lui, d‘appareiller en désespéré pour l'ultime voyage d’Outre-Pôles.




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TOMBE DE PIERRE LOTI A SAINT-PIERRE-D'OLERON

P.-S. — Qui nous eut dit, mon cher grand ami, quand vous m’écriviez la préface de mon premier livre, ou que nous nous communiquions, au Japon, nos étonnements charmés, qu'un jour j'aurais l'occasion douloureuse d'effeuiller, en public, sur votre pierre tombale, quelques modestes corolles de violettes."





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