À LA FOIRE D'ESPELETTE EN 1924.
La foire d'Espelette existe depuis 1920 environ, les dernier mardi et mercredi du mois de janvier.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que raconta la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays Basque, le 7 février 1924 :
"A la foire d’Espelette.
Dix heures.
Voici Espelette la blanche dont les maisons claires escaladent les trois collines : un soleil d’hiver un peu froid, mais lumineux, découpe à l'emporte-pièce les façades et met un sombre relief aux coins d’ombre. Il accroche ses rayons en notes violentes aux volets pleins, verts et rouges, et la brise aigrelette fait danser les longues cordes des piments au long des balcons ouverts. Fortement assis sur sa butte, le vieux château d’Espelette protège encore la ville, guerrier à la cuirasse de pierres brunes et durées. Il continue la protection robuste du Mondarrain tout proche, couronné de rochers âpres, formidables et carrés.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
"Beau temps pour la foire, me dit Daranatz, au seuil de sa maison de famille; voilà trente ans que le soleil n'a été si joyeux à pareil jour."
Déjà les lourds véhicules déversent sur la place et au long des rues des théories de basques aux blouses courtes. Voici un peu solennels, en foulards versicolores les gens d'Elizondo, de Vera et d'Etchezar : l'Espagne de la frontière n'oublie jamais cette journée fameuse. Il y a des cavaliers qui portent sur leur selle, à califourchon, leurs femmes ; les muletiers aux larges besaces coloriées font claquer largement leurs fouets courts et sourient silencieusement à la foule qui s'écarte. D'invraisemblables voitures plient sous le poids des grappes de jeunes filles, et égrènent leurs rires à tous les cahots. La rue s'emplit de cris, d'appels rauques, de chansons joyeuses. Là-bas, sur le champ de foire que termine noblement un fronton, c'est le moutonnement des petits chevaux bruns, demi-sauvages, descendus pour la première fois de leur montagne. Les petits chevaux hennissent, piaffent leur impatience à l'acheteur indifférent. Les cordes tressées pèsent à leur indépendance, ils trépignent le sol mou avec dédain et leurs sabots n'éveillent plus les longs échos des monts et la ligne azurée de la douane qu'ils ont tant de fois bravée.
Une mendiante, usée, aux lambeaux qui prennent l'air d'un vêtement, tend la main en sautillant. Un vieux mouchoir blanc la coiffe bizarrement, elle tend la main et promet aux jeunes d'être heureux dans leur amour, aux vieillards le royaume de Dieu. Des petits moutons blancs, bêlent plaintivement et grelottent sur la dalle, et la mendiante court de groupe en groupe comme un destin.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Midi.
Du clocher d'Ezpeleta, s'égrènent sur la foule les notes de l'Angelus, notes un peu graves, un peu fêlées. Elle a sonné tant d'Angelus la cloche du vieux clocher ! Et une grande paix a régné soudain sur tout ce lucre, sur tous ces hommes violents. Les bêtes elles-mêmes se taisent et les Basques, leur béret à la main, récitent gravement, traditionnellement l'invocation à Marie. Les jeunes gens qui jouaient au fronton avec des cris de vautour s'immobilisent avec respect. La balle serrée près de leur coeur, ils semblent l'offrir avec lui à la protectrice de la terre euskarienne. Le dernier, un vieillard à cheval, tout blanc et tout parcheminé, domine la foule et les bêtes, et les automobiles modernes, qui passent dans un vrombissement ironique. Il se signe et dans un geste large de devoir accompli, rajuste son béret.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le notaire m'avait dit : "Venez voir la foire d'Espelette, avant que les premiers tramways ne viennent déchirer le coeur du pays." J'ajoute que le dîner du notaire est une tradition de la journée. Des poissons monumentaux, des agneaux entiers, de lourdes venaisons, de ces gâteaux qu'affectionnait Loti et font goûtait jadis Otharré à cette même table. Otharré le joueur de pelote, Otharré l'invincible, Otharré dont le hanap pouvait se vider sans fin, de ce vin couleur de rubis, mûri au soleil des Espagnes. Otharré, il n'est plus, mais son souvenir est présent comme une incarnation robuste, plantureuse et violente de l'Eskual-Herria. Mais cette table n'est point trop large pour les maires basques, le vétérinaire qui eut tant d'aventures et sait si bien conter des histoires , et les contrebandiers. Le chef de la douane, lui, n'est point là aujourd'hui : ce soir il y aura de la besogne aux carrefours silencieux des routes d'ombre.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cinq heures.
La jeunesse danse dans les rues, déferle en bandes joyeuses et pressées; on se bouscule, on s'embrasse, on offre à l'amie des bonbons verts, violets, jaunes, comme des rayons. Les derniers bateleurs clament le dernier bateau. Les auberges croulent de monde ; tout est pris jusqu'aux mansardes chevronnées. Des mulets à grelots fendent la foule, les fouets claquent. La villa blanche s'estompe et les murs dorés du château d'Ezpeleta retiennent le dernier soleil.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sur les routes, les voitures bruyantes et cahotantes se font plus rares. Des basques prennent des traverses, et leur cri fend sinistrement la paix du soir.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Une croix grise sur des genêts d'or étend ses bras à la croisée des chemins. De grands chênes taillés élèvent vers les nues leurs bras géants, comme pour l'offrande de leur coeur, et de la terre mauve. On ne voit plus guère la citadelle de rochers du Mondarrain. Le ciel prend la couleur doucement rosée d'une conque marine, le sol brun et violet s'unit aux morts tout proches, au ciel indigo.
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
ESPELETTE - EZPELETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire