LE NAVIRE DE LA MARINE FRANCAISE "JAVELOT" À HENDAYE EN 1908.
A la frontière franco-espagnole, la marine Française effectuait de la surveillance, avec le stationnaire "Javelot".
NAVIRE LE JAVELOT PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporte sur le Javelot, la presse nationale :
- Le Figaro, dans son édition du 6 septembre 1908 :
"Une promenade autour du " Javelot".
Hendaye, septembre.
Les voyageurs qui, la gare d'Hendaye passée, franchissent la Bidassoa pour gagner Irun, frontière espagnole, aperçoivent au bas du pont international qui relie ces deux villes, un petit bateau. C'est le stationnaire français Javelot. Sa coque noire n'a guère plus de vingt mètres de long; le drapeau tricolore est arboré à son grand mât ; des chaînes solides l'amarrent au rivage. A l'avant, deux petits canons bien astiqués semblent somnoler sous lé ciel bleu ; sur la plancher bétonné du pont, un matelot flâne ; et l'on sent régner autour de ce décor de guerre une profonde paix.
Aussi est-il rare que, du train qui passe, quelques plaisanteries ne soient décochées au Javelot. Ce petit navire qui ne navigue pas ; — cette sorte de canot-caserne que retiennent à la rive française de la Bidassoa les mêmes amarres depuis vingt ans faisait sourire nos compatriotes, et l'on s'accordait à penser que nous étions là bien précairement défendus contre une invasion de l'Espagne. On badinait.
Ces temps derniers, on a commencé à ne plus badiner. On s'est presque mis en colère, et il y a eu dans quelques journaux une espèce de petite campagne ouverte contre le Javelot.
Vous lui fîtes, seigneur, en l'attaquant, beaucoup d'honneur !
et l'on ne saura jamais qu'elle fut la stupeur du distingué commandant, des deux maîtres et des quinze hommes qui composent l'équipage du stationnaire, à la nouvelle que, sérieusement, l'opinion publique s'occupait d'eux.
NAVIRE LE JAVELOT PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est qu'en vérité des bruits ennuyeux couraient. Les uns affirmaient que le Javelot ne flottait même plus et que ses ancres ne retenaient au rivage qu'une embarcation échouée; d'autres, que la ferraille de sa chaudière désaffectée pourrissait depuis des années sur la berge. On ajoutait que son artillerie était hors de service; que, tout récemment, les deux canons du Javelot avaient été hors d'état de rendre un salut, et que décidément cette impotente embarcation chargée de "représenter" la France à la frontière nous rendait un peu ridicules aux yeux de l'étranger.
Mettant à profit le loisir d'une promenade à Hendaye, j'ai donc désiré voir de près ces choses terrifiantes : le stationnaire échoué, la chaudière en loques, les canons qui ne tirent plus... et j'ai obtenu qu'on me permit de faire visite au Javelot.
Un détail, d'abord, qu'il faut qu'on sache : ce petit bateau dédaigné a un passé héroïque. Le Javelot est une ancienne canonnière à voiles qui, en 1864, doubla le cap de Bonne-Espérance pour aller, de Rochefort, faire campagne en Chine. Le lieutenant de vaisseau qui dirigea cette excursion-là "n'avait pas peur"... me disait tout à l'heure un des sous-officiers du stationnaire ! En Chine, pendant trois ans, le Javelot courut les aventures de la guerre. Il rentrait en France, en 1867, par le canal de Suez, et pour récompenser la coque de noix d'avoir si bien navigué, on la dotait d'une chaudière. Promu "canonnière à vapeur", le brave petit Javelot fournissait encore une vingtaine d'années de loyaux services à la patrie ; et puis, un jour, un peu fatigué, comme tous les vieux soldats ont le droit de l'être, il venait prendre sa retraite aux bords ensoleillés de la Bidassoa.
Mais ce vieux serviteur a sur la plupart des retraités ordinaires une supériorité : même en ayant l'air de ne servir à rien, il continue de servir à quelque chose. Il n'est pas utile de la même façon qu'autrefois ; mais il l'est encore, et à un point que ses diffamateurs ne soupçonnent pas.
Mais d'abord est-il aussi malade qu'on le dit ? On le prétend échoué; c'est inexact. Il y a dans les eaux basses de la Bidassoa, du pont international à la baie, deux cuvettes : l'une du côté espagnol, l'autre du côté français. Dans l'une est logé, si je puis dire, le stationnaire Mac-Mahon, dont le nom est celui d'un célèbre amiral espagnol, mort il y a vingt ans; l'autre cuvette est celle, où se tient le Javelot. Le Javelot cale environ deux mètres, et il a toujours de deux à trois mètres d'eau sous sa coque. Voilà pour l'échouage. Et la chaudière ?
LE GARDE-CÔTES MAC-MAHON FONTARRABIE - HONDARRIBIA PAYS BASQUE D'ANTAN |
J'en ai cherché les débris sur la berge, où l'on accède en descendant de la voie ferrée. Je n'ai rien trouvé, et pour cause : depuis que le Javelot ne navigue plus, sa chaudière a été réexpédiée à l'arsenal de Rochefort. Par contre, à l'endroit où je croyais rencontrer cette ferraille, un gentil tableau familial s'arrangeait : deux baraques, proprement tenues, s'élèvent là ; l'une d'elles sert de cuisine à l'équipage du Javelot, et tout à l'heure une exquise odeur de rata s'en exhalait ; l'autre est le poulailler. Des volailles gloussent et picorent sur la rive ; une chienne allaite, au soleil, ses petits ; nos marins se sont aménagés là leur plage, en face du clocher de Fontarabie. J'enjambe la passerelle, et tout de suite : "Est-il vrai que vous ne pouvez plus tirer le canon ?"
Encore une méchanceté ! Le "maître" que j'interroge se met à rire et me conduit aux pièces que soutiennent leurs affûts mobiles : deux canons de 37 mm à tir rapide qui, le 14 Juillet dernier, ont tiré leurs trois salves de vingt et un coups aussi correctement que l'artillerie de n'importe quel cuirassé l'eût pu faire. Voici peut-être l'origine du potin : le 14 Juillet, un contre-torpilleur, la Couleuvrine, étant venu pour assister, de Rochefort, aux régates de Saint-Jean-de-Luz, et ayant arboré son petit pavois, le Mac-Mahon, par suite d'une méprise, salua celui-ci d'un coup de canon. Le Javelot resta muet ; il n'avait pas autre chose à faire ; et comme, en général, c'est entre le Mac-Mahon et le Javelot que s'échangent ces politesses, on en conclut que le stationnaire français n'avait même pas pu répondre au "bonjour" de l'espagnol !
Sans doute il n'a point, ce Javelot, même avec ses deux petits canons bien portants, la mine d'un redoutable engin de guerre : au total, c'est une minuscule caserne flottante, où le commandant et les deux maîtres ont installé leurs bureaux (celui des deux maîtres est aménagé sur l'emplacement de l'ancienne chambre de chauffe) et dont la batterie sert de dortoir à l'équipage. Mais est-il nécessaire que le Javelot soit autre chose que cela ?
Point du tout ; et, contrairement à ce qu'on croit, le Javelot n'est chargé d'aucun rôle diplomatique ou militaire. Le Javelot n'est vis-à-vis : de l'Espagne — pas plus que le Mac-Mahon vis-à-vis de nous — ni un instrument de défense, ni un symbole ; et quand les passants s'écrient que le Javelot représente ici bien mesquinement la patrie, ils disent une bêtise ; car le Javelot ne prétend rien "représenter" du tout. Le Javelot est simplement un bureau ; c'est le centre d'un service de police qui a pour objet la surveillance de la pêche dans les eaux de la Bidassoa, c'est-à-dire l'application du règlement international qui, depuis vingt-deux ans, régit entre Français et Espagnols l'exercice de cette industrie. Le croquis sommaire que nous donnons ci-dessous suffit à montrer l'importance et l'intérêt de cette réglementation.
FRONTIERE FRANCO-ESPAGNOLE PAYS BASQUE D'ANTAN |
On sait, en effet, qu'à partir du point de son parcours où la Bidassoa sort du territoire espagnol pour se confondre avec la ligne de séparation des deux pays et marquer, sur une distance de treize kilomètres, d'Enderlaza à la mer, leur frontière commune, cette rivière est, du côté français surtout, très poissonneuse. Il y avait donc intérêt, de part et d'autre, à garantir les droits des riverains, à les protéger au besoin les uns contre les autres. Et cette protection est surtout nécessaire aux pêcheurs français qui, moins nombreux que les Espagnols, ont la plus grande partie du poisson de leur côté.
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Ce croquis montre de quelle façon ingénieuse, avec quel souci d'équité les deux gouvernements se sont efforcés do sauvegarder ici les intérêts de tous.
Dans toute la partie centrale de la baie, Espagnols et Français se confondent et pêchent librement, les uns à côté des autres. Au contraire, sur les rives, chaque pays a son domaine réservé. Du côté de l'Espagne, la partie de la baie limitée à l'est par e, e',e", n'est accessible qu'aux Espagnols; du côté français, le domaine de pêche limité à l'ouest par f', f" n'est ouvert qu'à nos nationaux. Ce n'est pas tout.
La convention de 1886 a été établie "exclusivement et indistinctement au profit des populations riveraines de la Bidassoa", c'est-à-dire, au profit des habitants de Fontarabie et d'Irun, en Espagne; et des habitants, en France, des trois communes d'Hendaye, d'Urrugne et de Biriatou. Il en résulte que les pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz venus à la limite des eaux françaises n'ont le droit de pêcher ni dans la partie internationale de la baie, ni même dans le domaine réservé français. Et voilà encore pour la police une surveillance assez délicate à exercer.
Cette surveillance s'effectue avec le concours d'un petit vapeur, annexe du Javelot, le Qui-Vive ? commandé par un premier maître, et d'embarcations à voiles, dites traînières. Ce mois-ci, une grande vedette de vingt mètres doit être envoyée de Rochefort au commandant du Javelot, pour renforcer sa flottille.
LE QUI-VIVE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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