L'ÉMIGRATION DES BASQUES EN ARGENTINE EN 1911.
Les Basques ont beaucoup émigré en Amérique du Sud, et en Argentine en particulier.
RESTAURANT LOS BASCOS ZAZPIAK BAT BUENOS AIRES ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que raconte à ce sujet, le Figaro, dans son édition du 10 décembre 1911 :
"Les Basques.
Parmi les éléments si divers qui sont en train de se fondre pour constituer le peuple argentin, il en est un qui s'assimila plus; profondément à la vie argentine et s'adapta mieux que tous les autres à la mentalité créole : c'est l'élément basque espagnol et français. Les qualités de cette forte race lui donnent une originalité si définie qu'il faut séparer son action de celle du reste des Espagnols et des Français en Argentine.
EMIGRATION BASQUE EN ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Après un court séjour à Buenos-Aires, je fus frappé de l'abondance des noms basques parmi ceux de la haute société bonairienne. Ces noms d'anciens présidents, de la République, de ministres, de gouverneurs de province, de candidats à la présidence, de chefs de parti, Uriburu, Elizalde, Etcheverry, Berduc, Iriondo, Ugarte, Udaondo, Irigoyen, je les avais entendus déjà comme ceux des Aguirre, des Olazabal, des Guerrico, des Arana, des Iturbe, des Anchorena et des Unzue. N'est-ce point ceux que l'on entend de Biarritz à Saint-Sébastien, et de Bayonne à Pau, dans les villes et les villages de Navarre et de Biscaye, et, au delà, jusque dans le Guipuzcoa et l'Alava ?
C'est d'ici, en effet, que partirent "pour les Amérique"», pendant plusieurs siècles, les solides montagnards et les hardis marins qui emportaient là-bas, avec leurs espoirs de fortune, des qualités de vigueur physique, d'endurance au travail, d'intelligence active qui devaient contribuer si largement à la prospérité de leur nouvelle patrie.
EMIGRATION BASQUE EN ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Deux grands courants d'émigration basque conduisirent ce petit peuple aux rives du Rio de la Plata.
Le premier, qui date de la domination espagnole, attira seulement des Basques espagnols. Fixés dans la colonie, ils y firent souche et leurs descendants constituent une partie de l'aristocratie actuelle du pays.
Un deuxième courant d'émigration, beaucoup plus important que le précédent, entraîna vers l'Argentine, après la déclaration de l'indépendance, et surtout après les guerres civiles, un grand nombre d'émigrés Basques espagnols et français. Il s'est poursuivi sans interruption jusqu'à nos jours. De cette deuxième émigration sortit une nouvelle classe bientôt enrichie et que la fortune assimila vite à la précédente.
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On évalue à 250 000 le nombre des Basques, espagnols et français, fixés en Argentine. En un demi-siècle, d'après les mêmes statistiques, le seul département des Basses-Pyrénées envoya près de 80 000 émigrants. Encore ne compte-t-on pas dans ce chiffre les émigrations clandestines de la jeunesse désireuse d'échapper au service militaire. Et ce nombre d'insoumis est, paraît-il, assez considérable.
La constitution de la famille basque, la coutume de ne conserver au foyer que l'enfant héritier des biens familiaux, l'obligation pour les cadets d'aller chercher fortune hors de leur petite patrie, le retour au pays d'"Américains" millionnaires, les récits légendaires perpétués par la tradition, tout cela était bien fait pour tenter le besoin d'activité de cette race aventureuse.
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Ceux qui reprirent la route de l'Argentine après la fin des guerres civiles qui, pendant de longues années, désolèrent ce pays, arrivaient l'imagination pleine de rêves de fortune, mais aussi avec des qualités positives de prudence, d'habileté, d'âpreté au gain, parfois aussi avec la ruse et le dédain des scrupules de leurs ancêtres pirates et corsaires. Ils avaient surtout le don précieux de savoir s'adapter extrêmement vite aux conditions de vie de leur nouvelle patrie.
Ils acceptaient en arrivant n'importe quel métier : tondeurs de laine dans les estancias, ouvriers dans les saladeros, laitiers aux environs des villes, changadores au port de Buenos-Aires, briquetiers ou sandaliers. Mais la vie des estancias et l'élevage tentait surtout le paysan basque. Agréé des gauchos, il lançait avec eux le lasso et les bolas, s'imposait peu à peu par son intelligence, son savoir-faire et son initiative, devenait le majordome indispensable de l'estancia qui l'accueillait.
EMIGRATION BASQUE EN ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Alors commençait vraiment sa fortune. Il achetait lui-même quelques moutons et quelques boeufs, augmentait peu à peu son troupeau, allait, sans souci du danger, jusqu'aux extrêmes frontières, trafiquait avec les Indiens, leur achetait pour rien des cuirs souvent volés par ailleurs, et les revendait à gros bénéfices. Parfois, dans ses chevauchées à travers la pampa, prévoyant l'avenir de ces terres désertes, il en achetait à un prix dérisoire des lieues et des lieues qui, cinquante, ans plus tard, devaient représenter une énorme richesse. Ainsi se constituèrent la plupart des grosses fortunes basques.
Les autres arrivèrent à la fortune par des moyens différents, car, ce qui caractérise le Basque, c'est justement la faculté sans égale de s'assimiler aux milieux les plus divers, et de tirer parti, avec un sens très fin et une ingéniosité inépuisable, des circonstances où le hasard l'a placé. Ainsi ce débardeur d'il y a trente ans, a commencé par s'acheter un chaland, puis deux, puis dix, et il est aujourd'hui possesseur d'une flottille sur le Rio de la Plata. Ce tondeur de laine qui, il y a vingt ans à peine, s'engageait pour la "saison" dans les estancias de la province de Buenos-Aires, achète maintenant la laine pour son compte et devient l'un des plus gros cosignataires de Barracas. Ce laitier basque, qui,en 1870, venait chaque jour à cheval jusqu'à la capitale portant accrochés à sa selle des bidons emplis de lait, a créé, avec ses enfants, les plus belles fabriques de beurre de la République, et cet ancien ouvrier des saladeros a ouvert un établissement aux rives du Rio de la Plata.
EMIGRATION BASQUE EN ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il faut que je vous raconte en détail l'histoire d'un de ces Basques français, le plus célèbre peut-être, dans toute la province, telle que je la tiens d'un de ses fils. J'admire et j'aime cet orgueil de plébéien intelligent dans un pays où tant de gens ne songent qu'à faire croire à l'aristocratie de leur sang, on ne sait pourquoi.
Pedro Luro était né en 1820 à Gamarthe, dans le Pays Basque. En 1837, il arrive à Buenos-Aires avec quelques francs dans sa poche. Il entre comme ouvrier dans un saladero, fait quelques économies sur lesquelles il compte pour aller se marier, mais se les laisse voler. 11 se remet au travail, achète une carriole dont il fait un omnibus, et conduit lui-même les gens de la Plaza Montserrat à Barracas.
SALADERO SAN PEDRO ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Alors il se marie avec une Basquaise, Mlle Pradère, sa parente je crois, et fonde avec un de ses frères un almacen à Dolorès (à trois cents kilomètres vers le Sud), qui bientôt ne suffit plus à son activité. Laissant à sa femme et à son frère la gestion de l'almacen, il court la pampa pour acheter des animaux, de la laine et des cuirs. Puis, un estanciero de ses voisins, qui le voit un jour faire des plantations d'arbres dans son champ, lui propose un contrat, qu'il accepte, par lequel il s'engageait, lui Luro, à planter dans la propriété du voisin autant d'arbres qu'il voudrait. L'estanciero lui payerait, pour ce travail, quatre centimes par arbre ordinaire, et vingt-cinq centimes par arbre fruitier à noyau.
ESTANCIA DOS TALAS DE PEDRO LURO A DOLORES ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Pedro Luro appelle quelques compatriotes qui l'aident, et au bout de cinq ans il y avait tant d'arbres sur les deux cents hectares plantés, que le propriétaire lui devait une somme dépassant la valeur non seulement des 200 hectares plantés, mais des 5 000 hectares composant la superficie totale de l'estancia!, (La terre se vendait alors en cet endroit 5 000 francs la lieue). Le voisin ne voulut pas payer. Un procès eut lieu que le rusé Basque gagna : il était propriétaire des 5 000 hectares du voisin.
Vers 1840, le sud de la province de Buenos-Aires était encore presque désert, et les terres n'y avaient pas grande valeur. C'était le temps de la tyrannie de Rosas et des révolutions incessantes. Autour des estancias abandonnées, les chiens redevenaient sauvages, de même que les vaches qui erraient librement par troupeaux considérables à travers ces immenses espaces.
PEDRO LURO ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Pedro Luro assiste au traquement de ce bétail affolé par le lasso et les coups de faucille au jarret; il réfléchit à la valeur de toute cette viande, de toute cette graisse perdues (car, la peau enlevée, on abandonnait généralement le cadavre de l'animal), et il a une idée. Il va trouver le propriétaire d'une estancia de Castelli, lui propose de lui acheter toutes ses bêtes à cornes à raison de 10 piastres de l'ancienne monnaie, ce qui équivaut à peu près à 2 francs de la monnaie actuelle. Le propriétaire se moque un peu de Luro :
— Je veux bien! lui dit-il en riant, mais croyez-vous faire une bonne affaire ?
SALADERO DE LA POIA BUENOS AIRES ARGENTINE 1850 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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