UNE CORRIDA À BAYONNE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1857 (troisième et dernière partie)
UNE CORRIDA À BAYONNE EN 1857.
Dès le 21 août 1853, a lieu, au Quartier Saint-Esprit de Bayonne, la première corrida "à l'espagnole", jamais organisée en France.
CORRIDA BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La Presse, le 7 septembre 1857, sous la plume de
Frédéric Thomas, Avocat à la Cour Impériale :
"Courrier du Palais. XXI.
... Un espada serait déshonoré si, au lieu de passer le bras entre les cornes de l'animal et de le percer verticalement dans la région de la nuque et des épaules, il le perçait au front. Montés, malgré son immense réputation, fut hué et conspué, à Malaga pour avoir troué horizontalement la cervelle d'un taureau furieux qui allait l'atteindre.
Salamanquino donna au taureau un premier coup d'épée, mais qui ne pénétra pas assez avant ; il fallut en appliquer un second, sous lequel le taureau tomba comme à genoux.
TORERO EL SALAMANQUINO
Alors accourut le cachetero. C'est une sorte de torero d'un ordre très subalterne, qui fait l'office de boucher, et qui, d'un coup de poinçon ou poignard appelé puntilla, perce la tête du taureau entre les deux cornes, et l'animal est instantanément foudroyé. Le cachetero de la cuadrilla, Manuel Rodrigue, a trouvé moyen de relever l'emploi par l'adresse avec laquelle il porte ce coup de grâce. A deux pas du taureau, il lance sa puntilla comme un stylet, et cela si à point, que l'arme frappe l'animal avec la sûreté et la précision d'une balle.
CACHETERO CORRIDA PAYS BASQUE D'ANTAN
Le taureau mort, la musique militaire joue un air de victoire. Aussitôt une porte s'ouvre, un attelage de trois mulets bondit dans l'arène et entraîne le taureau. C'est l'affaire d'un temps de galop, activé par une grêle de coups que les mozos font pleuvoir sur l'échine de cet attelage sautillant et coquet.
Maintenant, à chaque taureau recommencera le même drame. Eh bien ! ce combat, toujours le même et toujours différent, toujours réglé dans sa marche et toujours imprévu dans ses incidents, est la passion et le fanatisme de l'Espagnol. Chaque taureau a sa manière de se défendre, chaque épisode a son inconnu, chaque rencontre a son péril, et le spectateur resté attaché, rivé, suspendu à cet intérêt uniforme et varié à la fois, qui fait de tout assistant le témoin, le conseil, presque le collaborateur de cette lutte, à laquelle pourtant il ne participe que des yeux, mais dont il reçoit toutes les impressions.
Cela dit, nous ne mentionnerons que quelques particularités des onze combats qui suivirent celui-là.
Salamanquino et son second espada Mendivil firent chacun deux coups de descabello si bien réussis que le public, se levant avec enthousiasme, cria : Suyo ! suyo ! ce qui peut se traduire ainsi : "Donnez-lui le taureau !" Et l'autorité ayant déféré au voeu de l'enthousiasme populaire, le torero coupa une oreille de sa victime et la présenta à l'autorité, ce qui est le signe par lequel le torero prend possession de l'animal dont on lui fait hommage.
Le dernier taureau de la deuxième course manqua cette lutte suprême par une intrépidité incroyable, et la termina ensuite par une habileté si grande qu'il semblait connaître toutes les ruses de son adversaire.
En entrant dans l'arène, il se rua sur les picadores l'un après l'autre et les fit rouler dans la poussière ; puis au dernier il se retourna, et, d'un coup de corne, il remit sur ses pieds un des chevaux qu'il venait de terrasser, et qui gisait dans l'arène. A la troisième passe, il souleva Mariano sur son cheval et le culbuta près de la barrière. Le picador, embarrassé sous sa monture, ne bougeait plus et paraissait avoir perdu connaissance. On apportait déjà une civière ; mais Figaro n'était qu'étourdi ; il reprit aussitôt ses esprits, monta sur un nouveau cheval, et, passant devant un palco, il jeta en l'air son large chapeau gris en s'écriant : Por la duquesa de Medina-Coeli : "En l'honneur de la duchesse de Medina-Coeli !" sorte de dédicace imitée des anciens paladins offrant aussi leurs prouesses aux belles dames, et mettant le courage sous l'invocation de la galanterie.
PICADOR MARIANO CORTEZ NARANJERO
Ce cri poussé, Mariano se précipita sur le taureau, qui l'avait désarçonné deux fois, et le repoussa avec tant de force que l'animal prit la fuite, ne voulant plus se commettre avec la pique de son adversaire.
Le taureau, si obstinément audacieux jusque là, n'eut plus qu'un désir, s'échapper. Il courut vers la barrière, la franchit d'un bond et se promena dans le couloir de refuge. Quand pareil accident, qui n'est pas rare, se produit, les valets du cirque qui se trouvent dans le couloir exécutent un double jeu de portes, et, du même coup, opposent une barrière à l'animal et lui ouvrent une issue sur le cirque.
Le taureau s'y laissa prendre une première fois ; mais, se retrouvant dans l'arène, il s'échappa de nouveau et bondit encore dans le couloir. Cette fois, il n'était plus si pressé de rentrer dans le cirque, et il fallut l'agacer avec les capes pour l'y déterminer. On y réussit avec peine, mais ce ne fut pas pour longtemps ; le taureau recommença pendant six fois ce manège, et on avait beau lui ouvrir les portes de l'arène, il retournait sur ses pas, continuant ses promenades à l'abri de la barrière. C'est alors que, pour lui faire franchir le seuil, un chulo lui appliqua une banderilla sur la croupe ; mais le taureau, se sentant piqué au moment où il entrait dans l'enceinte, se retourna vivement, et, avant qu'on eût le temps de fermer la porte derrière lui, rentra dans le couloir et poursuivit le chulo de si près, que celui-ci eut toutes les peines à franchir la barrière et à sauter du couloir dans le cirque.
Pourtant, ces sauts de barrière avaient excédé l'animal ; il essayait en vain de franchir encore. Le dénoûment du combat approchait, la trompette avait sonné le troisième acte, l'espada allait tuer le taureau ; mais, celui-ci, insensible à toutes les provocations de cape, s'était acculé dans une querencia près du toril. La querencia, c'est la place que le taureau choisit dans le cirque, et où il revient après chaque passe. On pourrait dire qu'il s'improvise ainsi la patrie de son courage et de sa mort. Chaque taureau a sa querencia, et là il est plus intrépide et plus dangereux que partout ailleurs. Il la prend d'ordinaire à un endroit où il a exécuté quelque attaque victorieuse. Enfin, on parvint à l'éloigner un peu de sa querencia, et le torero le frappa d'un coup d'épée bien à fond. Le taureau, blessé à mort, ne tomba pas ; alors les chulos, en le faisant tourner sur lui-même dans une sorte de valse vertigineuse, le laissèrent étourdi, chancelant ; il s'accroupit enfin sur ses jambes de derrière.
AFFICHE CORRIDA BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN
A ce moment, la nuit arrivait ; la lune, qui brillait sur le cirque, allait bientôt pouvoir l'éclairer. Quelques aficionados avaient déjà allumé de petites bougies sur la contre-barrière, et en quelques minutes l'arène allait être illuminée par ce cordon de lumières. Mon compagnon Alexander y Pisani était dans le ravissement, et il était en train de m'expliquer qu'une pareille illumination avait produit le plus joli effet à Saint-Sébastien, quand des gendarmes accoururent pour souffler sur cette improvisation du public. On hua les gendarmes, on leur dédia les chiens : Perros ! perros ! Mais les bougies n'en furent pas moins éteintes et le spectacle fini.
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