LE PELOTARI DES ALDUDES PERKAIN.
Parmi les pelotari célèbres, figurent en très bonne place cet homme originaire des Aldudes, en Basse-Navarre.
Après vous avoir parlé de Léon Dongaitz, de Chiquito de Cambo, de Chilhar et des pelotaris
d'Hasparren, voici le portrait de Perkain.
La presse locale, régionale et nationale raconta à plusieurs reprises la vie de ce pelotari.
Ce fut le cas de :
- Match, le 3 mai 1932 :
"Le nom de Perkain a autant d'éclat dans les Pyrénées occidentales que celui de Voltaire dans les nations éclairées" ( !), écrit Ader dans son Résumé de l'Histoire des Basques.
Cette comparaison à tout le moins originale est-elle flatteuse pour le légendaire pilotari basque ou pour le patriarche de Ferney ?...
Plus d'un Basque n'hésiterait pas, même aujourd'hui, à opter pour la seconde hypothèse !...
Sans insister davantage sur l'opposition — peu flatteuse, celle-là ! — de nos Pyrénées occidentales (ou Basses-Pyrénées) avec les "nations éclairées", essayons, aujourd'hui, de camper cette extraordinaire figure, bien faite pour former transition entre la préhistoire et l'histoire de la pelote basque.
LES ALDUDES - ALDUDE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Perkain est né aux Aldudes, entre 1760 et 1770, dans la maison qui porte toujours son nom "Perkainenea".
Les Aldudes, qui appartinrent, longtemps, à la vallée espagnole de Erro, ne sont guère à plus de deux kilomètres de la frontière actuelle. Pour y aboutir, l'on suit, depuis Saint-Etienne-de Baïgorry, une vallée fort pittoresque dont la ville natale de Perkain occupe le fond.
Mais revenons à Perkainenea. Adossée à la colline de Lepeder, cette antique demeure a conservé son cachet de maison navarraise. Les principaux édifices du bourg ont, par contre, pris de l'ampleur et de la hauteur, donnant au quartier avoisinant l'église une allure imposante qu'il n'avait sans doute pas à l'époque du célèbre pilotari.
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La place, théâtre de ses exploits, s'étend devant l'église qui en forme le fond, cadre rêvé pour les parties de "lachoa" qui s'y jouaient presque journellement, il y a cinquante ans.
Il est assez difficile, pour ne pas dire impossible, de démêler l'histoire de la légende en ce qui concerne Perkain.
On peut dire, avec l'abbé Blazy, que tout le XIXe siècle a chanté et exalté ses exploits : les poètes anonymes, basques et espagnols, ont célébré ses parties fameuses de Baïgorry, de Saint-Palais, des Aldudes, de Tolosa. Un poème plus récent du chanoine Adema — le "Zalduby" de tant d'oeuvres délicates — lui fait une place d'honneur dans la lignée des Pilotariak.
Historiens et chroniqueurs recueillent également tout ce qui a trait à ce géant de la pelote, dont le nom demeure encore en vénération dans son pays. La société de pelote des Aldudes a pris, en effet, comme devise : "Perkainen itzalean" (A l'ombre de Perkain).
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Le théâtre lui-même a exploité sa gloire. En 1900, Pierre Harispe, récemment décédé, composait un drame en cinq actes et en vers : Perkain, drame sous la Terreur. Hier encore, c'était la création à Bordeaux de l'opéra basque "Perkain"où le populaire héros était incarné par un de nos jeunes compatriotes, le Biarrot Martial Singher, de l'Opéra.
MARTIAL SINGHER PAYS BASQUE D'ANTAN |
Perkain justifia largement cette gloire étonnante, tant par ses qualités physiques exceptionnelles que par son héroïsme à la Cyrano ou à la d'Artagnan.
La puissance de son bras était formidable. En préciser la portée est évidemment impossible, d'autant que la légende lui prête des "performances" plutôt exagérées. Témoin le trait suivant : Perkain jouait un jour à Baïgorry et le futur maréchal Harispe se trouvait parmi les spectateurs. Il demanda au pilotari jusqu'où il pourrait lancer la pelote avec son gant de cuir-: "Il me semble, dit-il, que je pourrais l'envoyer de Baïgorry à Errazu."
Or, entre les deux villages, il y a plusieurs kilomètres, et un col — celui d'Ispéguy — qui passe à 1 000 mètres d'altitude !
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De sa mobilité sur la place, nous avons des témoignages moins fantaisistes. Il se livrait à fond, au cours d'une partie, se trouvant toujours au point menacé, harcelant l'adversaire sans répit. "A lui seul, il suffit à remplir toute la place", dit une vieille chanson basque. De son adresse proverbiale, un exemple est resté qui se place au jour de la fameuse partie des Aldudes.
On était en pleine Terreur et Perkain, "réfractaire", bien entendu, s'était réfugié en Navarre — tantôt à Vera, tantôt à Elizondo — pour échapper au tribunal révolutionnaire de Bayonne. Or, il apprend un jour que son redoutable rival, le gaucher Curutchet, lance un défi qui devait se jouer aux Aldudes. Perkain n'hésite pas ; il franchit la frontière se présente sur la place bondée de spectateurs, qui lui font une garde imposante : car les soldats sont venus pour l'arrêter. Il joue magnifiquement, gagne la partie et, après le dernier point, saisit la balle, vise, atteint et tue le chef des soldats de la Convention, puis disparaît dans la montagne aux applaudissements de ses compatriotes.
A côté de cette page épique sur Perkain, le "folklore" basque en a conservé quelques autres qui s'apparentent plutôt à nos vieux fabliaux.
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C'est ainsi qu'il était affligé — peut-être pour l'expiation de ses fautes ! -— d'une épouse fort revêche. Il lui joua un jour un tour pendable, faisant venir à son chevet, alors qu'elle était en pleine santé, le curé de la paroisse et son sacristain, sous couleur de lui administrer l'extrême-onction !
La mégère eut d'ailleurs sa vengeance; assistant — pour de bon cette fois ! -— aux derniers moments de Perkain : "Courage, mon ami, lui disait-elle, nous nous, retrouverons dans un monde meilleur!" Perkain de répondre : "Si ce monde-là est meilleur que celui-ci, je ne vous y retrouverai pas!" "Ez zitut hartan ikhusiko !"
Tel fut cet ancêtre des pilotaris modernes ; comme eux —et plus qu'eux, peut-être — il fit courir les foules : l'historien Chaho ne parle-t-il pas d'une assistance de 10 000 spectateurs à certaine de ses parties ?... Comme eux, il provoqua l'ardente fièvre des paris : onces d'or, paires de boeufs, récoltes sur pied, tout y passait, dit-on, au point que la justice de Guipuzcoa faillit défendre la partie de Tolosa. Comme eux, enfin, il connut dans sa retraite le respect et l'admiration de ses compatriotes, puisque l'historien Duvoisin a fait, à propos de Perkain et de son autre rival, le labourdin Azantza, ce rapprochement inattendu : "Leur vieillesse fut aussi honorée que celle du sénateur Appius Claudius sur sa chaise curule."
- La Petite Gironde, le 6 mai 1941 :
"Un ancêtre du sport Basque : Le Pilotari Perkain.
Un matin de printemps de 1788, l'arriero Ignacio s'était arrêté à Saint-Etienne de-Baïgorry chez un aubergiste de ses amis :
"Je t’annonce une partie terrible, le dimanche de Pâques, à Elisondo."
Comme si le hasard n’attendait que ces paroles pour se manifester, un bruit de pas rapides se fit entendre sur la route, la porte de l’auberge s’ouvrit et une silhouette se découpa sur le ciel clair.
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Le nouveau venu n’était pas grand, mais assez trapu; une vive impression de force et d'agilité se dégageait de ce corps solide. De larges épaules, des bras puissamment attachés un cou solide assuraient à l'arrivant un tel équilibre qu’il paraissait la personnification de son rude et dur pays.
— Perkain ! sois le bienvenu !
Perkain ! depuis bien des années déjà ce nom résonnait dans les deux Navarres. Franchissant les limites des deux terres jumelles, il volait en Soule et en Labourd par-dessus tous les murs des frontons, à travers toutes les "places" des Sept Provinces, aussi bien en Espagne qu’en France.
Pas une partie de pelote importante ne se donnait sans qu'il y fût question de Perkain. Son bras était le plus fort, son coup d'œil le plus rapide ; la balle qu’il lançait ne manquait jamais son but.
Son agilité était telle qu'il était partout à la fois sur le fronton ; terreur de ses adversaires, héros adulé de tous ceux qui le regardaient jouer.
L’année précédente il était allé jouer à Madrid. Le pilotari avait rapporté beaucoup d’honneur de Madrid et aussi beaucoup d’argent.
Lorsque Perkain jouait, les gradins se couvraient de gens venus de bien loin pour suivre sur le fronton le vol de ses fameuses balles. A Baïgorry, on avait vu jusqu'à 10 000 personnes. Pourtant tous ne pariaient pas pour lui, bien que l’admirant. Il avait des adversaires, d'autres bons joueurs avec lesquels il lui fallait compter.
Il y avait, le Labourdin Azantza, dont le vrai nom était : de Sorhainde. qui se soumettait à un entrainement physique digne d’un athlète moderne : frictions et douches froides. On citait encore Arosteguy, Simon de Arrayez, Isidore Indart. Mais celui que Perkain considérait vraiment comme son adversaire, parce qu'il ne l’aimait pas, c’était Curutchet, le terrible gaucher.
Il ne l’aimait pas car Curutchet lui fit plusieurs fois entrevoir une défaite inattendue, le jeu de Curutchet n’étant jamais celui qu’on attendait d’après les franches lois du blaid. Sans doute, cela tenait-il à son infirmité. Mais pour le rude enfant de la montagne qu’était Perkain, tout ce qui n’était pas clair comme le vol de l'épervier ou la chute de l'eau sur le rocher était une gêne.
Sur la route des Aldudes :
— Perkain, reprit Ignacio, Je voulais te parler de cette partie d’Elisondo.
— Nous parlerons en route, montons chez moi, la course est longue, mais Cattalina nous attend.
Perkain, en effet, était marié depuis un an. Perkain marié ! lorsque le Pays Basque apprit la nouvelle, ce ne fut qu'un cri, presque un cri d'indignation. Que ferait-il ? Comment resterait-il au logis, lui que les Provinces appelaient sans cesse de côté et d’autre ?
Les deux jeunes gens sortirent de Baïgorry après avoir traversé le vieux pont romain couvert de lierre sous lequel ils avaient joué tout enfant. Bientôt, des deux côtés de la route, s'étendirent les pentes couvertes de hêtres et de chênes. Comme ils passaient non loin des forges d'Echaux, ils virent venir à eux un vieux compère. Ignacio, tu viens chercher Perkain pour aller à Elisondo, mais Cattalina veut le garder à la maison pour les fêtes de Pâques, il l’aidera à faire cuire les taloak.
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— Piarres, si tu n’étais pas si vieux, je te ferais rentrer telles paroles dans la gorge, je suis maître chez moi et j'irai à Ellsondo.
— Ne te fâches pas, fils, nous espérons tous que tu joueras et que tu vaincras partout !
Longtemps les Aldudes n'avaient été qu'un hameau de bergers, peu à peu quelques maisons s'étaient bâties et aussi l'église. Perdu dans la montagne sauvage, accessible seulement à l'aide de chemins étroits que l’hiver rendait peu praticables, le village des Aldudes vivait une vie particulière, très indépendante et un peu farouche. Perkain ressemblait aux Aldudes, sa patrie.
Village d’ailleurs ni espagnol, ni français, simplement basque, qui s’accrochait à la montagne, mais avait trouvé le moyen de bâtir son église et son fronton sur une large place, non loin du gave. Sur ce fronton, que de belles parties de pelote se jouaient et devaient se jouer dans la suite des temps !
On jouait au lachua, le beau jeu de rebot des anciens ; c'était la gloire de Perkain. Lançant la balle depuis l'église, il tapait sur le mur du fronton.
Sur la gauche du gave, les jeunes gens s’arrêtèrent devant la maison de Perkain. Cette maison existe encore ; elle est un lieu de pèlerinage pour les Basques.
Au bruit de leurs voix, la porte s'ouvrit et une jolie jeune femme, qui portait sur la tête le mouchoir noué des Navarraises, sourit aux arrivants, mais dit tout de suite :
— Ignacio, tu n’es pas venu chercher Perkain pour une nouvelle partie ?
— A Elisondo, reprit Perkain, il y a une partie le jour de Pâques, j’irai et je gagnerai.
Jouer contre les Espagnols exaltait Perkain. Ceux-ci ont toujours été des joueurs admirables, adversaires terribles, mais loyaux.
Perkain joua et gagna.
La partie de Saint-Palais :
Le temps passa. Perkain allait souvent à Saint-Jean-Pied-de-Port voir son oncle Martin Inda Perkain, de la maison Etchettipia, à Larrenea. Là, on buvait, on discutait pelote, et aussi des rivalités entre villages, et des tristes événements de France. Perkain aimait la gloire. Dans la maison d’Inda Perkain, le pilotari était reçu comme un dieu. Le héros des frontons personnifiait, aux yeux de ses admirateurs, la résistance basque aux idées étrangères, résistance qui commençait à sourdre à travers les nobles vallées contre la menace qui montait de la Révolution de Paris. 1790 devait aggraver la situation. Bientôt on parla d’une partie sensationnelle qui devait avoir lieu à Saint-Palais.
— Tu iras, Perkain, disait le vieil Inda ? — J’irai.
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