UNE PROCESSION À RONCEVAUX EN 1898.
Le village de Roncevaux, et ses 26 habitants, est une étape importante sur un des chemins (le chemin Français) menant à Saint Jacques de Compostelle.
PROCESSION RONCEVAUX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La foi liée à ce village remonte à de nombreux siècles au travers de ces processions.
Voici ce que rapporta le journal Les Annales Politiques et Littéraires, dans son édition du 12
juin 1898, sous la plume de Pierre Loti :
"Passage de procession. Mercredi 1er juin.
Tous les ans, depuis des siècles, dans la matinée du mercredi qui précède la Pentecôte, vingt ou trente villages basques perchés sur le versant espagnol des Pyrénées se vident de leurs paroissiens, qui, chargés chacun d'une croix comme celle du Christ, montent en pèlerinage au couvent de Roncevaux. Et, pour voir passer cette procession étrange, il faut aller la veille coucher à Burguette, le dernier des villages qu'elle traverse avant d'arriver au vénérable monastère.
Saint-Jean-Pied-de-Port, une petite ville paisible et charmante, que le chemin de fer, hélas ! ne tardera pas à déflorer, est le lieu d'où je pars, au 1er juin, sous un ciel très sombre, pour monter en voiture à Burguette, par des lacets ombreux, à travers une immense forêt de hêtres.
Une heure environ après Saint-Jean-Pied-de-Port, c'est l'Espagne ; c'est le village de Val-Carlos où il faut s'arrêter pour les formalités de frontière.
Et puis, comme Burguette est de l'autre côté des Pyrénées (près des sommets, à une altitude encore très grande), nous recommençons à monter pendant quatre heures encore, pénétrant au coeur de la forêt, qui se fait de plus en plus sauvage et plus verte. L'orage gronde sourdement autour de nous, derrière les nuées, et la cloche de Val-Carlos, pour conjurer la grêle, se met à tinter d'une petite voix fêlée et triste. Longtemps ses vibrations nous suivent, puis se perdent au-dessous de nous, dans le silence infini des arbres.
VALCARLOS NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sur les berges de la route, c'est un luxe monotone de fleurs roses : des silènes roses, des amourettes roses, des digitales roses; aussi des ancolies, de grandes campanules, d'étonnantes saxifrages. Et partout des sources tombent, en gouttelettes fines ou bien en cascades vives, parmi les fougères.....
La voici brusquement arrivée, la grêle d'orage, subite et cinglante comme un coup de fouet. Et nous nous arrêtons contre une paroi presque verticale de la montagne, qui est tapissée, avec une particulière magnificence, des mêmes fleurs. La grêle jette sur nous par myriades ses perles de verre ; alors, les longues quenouilles des digitales, coupées, hachées, sèment leurs fleurs sur la mousse, et il y en a tant que c'est comme une envolée de petits rubans roses au milieu des feuilles et des mousses si vertes.
VALLEE DE RONCEVAUX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Très vite, cela finit, l'averse passe, et les chevaux reprennent leur marche, nous élevant toujours par les interminables lacets dans la forêt de hêtres.
Et tous ces arbres de la forêt sont pareils, semblent de même forme et de même âge, arrivés à leur complet développement sans avoir été contrariés, un peu comme dans les forêts primitives.
BURGUETE NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un bruit continu d'orage se fait en sourdine dans les lointains et, au-dessus de nous, est uniformément tendue une nuée sombre, de laquelle peu à peu nous nous rapprochons. De tous côtés, la forêt monte s'y plonger, dans cette nuée, et s'y perdre ; là-haut, les arbres, les rochers qui frôlent ce grand voile de ténèbres semblent mêlés à d'immobiles fumées et leur tête se noie tout à fait dans les épaisses choses grises. Nous nous élevons, semble-t-il, sur les parois d'un grand gouffre, fermé ; des masses oppressantes nous surplombent de partout ! il fait si obscur, si obscur, que l'on dirait un hâtif crépuscule, et ce serait funèbre sans cette splendeur de la verdure et des fleurs roses.
PROCESSION RONCEVAUX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Bientôt, nous voici tout près de la ténébreuse voûte que l'on dirait presque palpable. Et, à un tournant de la route si solitaire, une procession nous croise : une humble procession de village, toute transie par l'averse de grêle ; une centaine de montagnards qui suivent une croix d'argent et trois prêtres en surplis de mousseline. Ils redescendent vers Val-Carlos, en chantant des litanies qui sont infiniment mélancoliques, entendues ici, au milieu de l'impassible souveraineté des arbres et du ciel noir.
PROCESSION RONCEVAUX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ensuite, plus personne, plus rien. Seulement, l'immobilité et le silence des gigantesques parois de verdure, le mystère de la forêt qui s'en va rejoindre là-haut ce vélum nébuleux, toujours plus voisin de nos têtes, comme une sorte de plafond dantesque. Nous cheminons à travers une morne obscurité verte et grise.
Et, après quatre heures environ de cette montée tranquillement régulière, nous entrons enfin dans le nuage, qui est une brume glacée ; alors on ne distingue plus que les ramures les plus proches, les massives ramures blanchâtres des hêtres. Le soir va venir, et tout s'assombrit encore.
BURGUETE NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Quand nous sommes au point culminant de cette route de lacets, qui devant nous commence à redescendre, la pluie tombe à torrents, tandis que le jour meurt ; à travers l'ondée, nous apercevons les hautes murailles et le donjon morose du couvent de Roncevaux, où nous devons revenir avec la procession demain matin. Une demi-lieue plus loin, au dernier crépuscule, nous entrons dans Burguette. Et, sous la pluie ruisselante, dans un éclaboussement de boue, je descends à l'unique auberge du village, qui parait vieille de deux ou trois siècles.
PROCESSION RONCEVAUX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Là, j'attendais une nuit de solitude et de silence. Mais non, la veille du pèlerinage, c'est la coutume, paraît-il, de faire grande fête. Après le souper, arrive une première guitare, dont le manche est orné de pompons de laine comme la tête d'une mule; puis une seconde, puis une troisième, tout un orchestre, avec un tambourin à paillettes de cuivre. Et la chaude musique d'Espagne commence ; d'abord hésitante et légère, tandis que circulent le cidre et le vin, pour monter les têtes. Des fandangos, des jotas, des habaneras, peu à peu se renforcent et s'accélèrent, toujours plus bruyants, toujours plus rapides. Il vient des carabiniers, il vient des contrebandiers, il vient des pâtres. Point de femmes, que les deux servantes de la maison, ne sachant auquel courir. Mais les hommes dansent entre eux, jetant des petits cris d'enfantine joie.
MENDIANTS PAYS BASQUE D'ANTAN |
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