AU PAYS BASQUE EN 1913.
Un voyage de Biarritz à Fontarrabie en 1913.
BIARRITZ - MIARRITZE 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Temps, dans son édition du 15 septembre 1913, sous la
plume de Paul Zahori :
"Les doléances du Basque.
A droite, au delà des rochers de Biarritz, la vue s’étend jusqu’à la courbe légère du cap Breton, dont la plage dorée brille et se perd dans un lointain vaporeux. A gauche, ce sont d’abord les maisons blanches de Guéthary, éclatantes dans la fraîche verdure des champs ; puis la digue de Saint-Jean-de-Luz et le pli de la côte , où se cache Hendaye ; puis Fontarabie, nichée au pied d’une montagne couleur d’améthyste, et enfin le cap du Figuier qui, pour entrer dans la mer, s’amincit comme une navaja de contrebandier. En face de moi, les vagues énormes, du golfe de Biscaye viennent s’écrouler au pied de la falaise. A marée, basse, le vacarme des flots n’a rien perdu de son étrange fureur : on dirait qu’ici, par moments, certaines lames ont leur élan brisé, et qu’elles tombent dans un gouffre avec un bruit formidable d’avalanche.
BIARRITZ - MIARRITZE 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
L’image, après tout, n’est pas si audacieuse. La science officielle elle-même admet volontiers maintenant l’hypothèse d’une Atlantide engloutie depuis neuf mille ans, et qui était le trait d'union entre l’Europe et l’Amérique. La côte basque surplombe un gouffre, mal comblé par l’écroulement, d’un continent. Platon dit que l’Atlantide était plus grande que l’Afrique et l’Asie, réunies, et rien ne nous défend de croire que sous les flots sans cesse agités du golfe de Gascogne, il n’y ait un coin de la terre mystérieuse où notre race sans doute eut son véritable berceau. Ainsi, le roman de la préhistoire fournit aux poètes l’explication des plaintes du vieil océan qui, depuis le déluge, est devenu le tombeau d’une civilisation incomparable ; et aux savants la solution du problème des origines des Celtes et des Basques qui seraient les descendants directs des Atlantes primitifs.
CARLTON BIARRITZ - MIARRITZE 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Du haut des falaises.
En dégringolant le sentier aventureux dont se servent les habitants de Bidart pour aller du haut des falaises à la plage, je cause avec mon guide, un Basque sec et souple, bondissant comme une chèvre et s’étonnant fort que je n'arrive pas à le suivre dans cette descente de vertige. Il a, comme les Bretons, les cheveux blonds et les yeux bleus. Mais il diffère des gars d’Armorique par le regard moins chargé de mélancolie, par les gestes, vifs, décidés et clairs à l’égal d’une phrase bien faite. Pourtant la parenté me semble évidente. Dans tout de pays basque, à Saint-Sébastien comme à Cambo, à Saint-Jean-Pied-de-Port, Ustarritz, Arbonne, Bidart, Saint-Jean-de-Luz, vous rencontrez le même type d’hommes à la barbe dru plantée ; aux prunelles couleur de mer ou de ciel, que l’on retrouve là-bas, sur la côte bretonne, de Lorient à Saint-Malo. Et dans tout ce pays du Labourd, entre Biarritz et Fontarabie, des jeunes filles teint d'une pureté invraisemblable, cet épiderme de lis et de roses, ces chevelures d’un blond cendré unique, à quoi rien ne peut être comparé, sinon ce qu’on dit des Gauloises d’autrefois, et ce qu’on voit des jeunes Galloises d’à-présent, en Bretagne, dans les Cornouailles et en Irlande.
HENDAYE - HENDAIA 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Comme ses cousins de la terre des chênes, le Basque préfère l’indépendance à la liberté ; comme eux il est fortement attaché au pays natal ; comme eux il a le goût du laconisme et l’instinct du silence plus éloquent que la plus éloquente faconde ; comme eux il est insouciant et généreux et il aime à pratiquer l’hospitalité parfaite, pourvu qu’il se sente en confiance.
HENDAYE - HENDAIA 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mon guide m’a déjà montré ses champs et sa maison toute ensoleillée, bâtie, par les aïeux de ses aïeux au point culminant de la falaise. Cette maison a sa façade à l’est, selon l’usage des Basques, et du côté de l’ouest elle offre la résistance d’un mur épais de près d’un mètre aux terribles assauts des vents du large. Au-dessus de la porte d’entrée, trois singulières figures sont sculptées dans le linteau : trois cercles égaux, en chacun desquels est inscrite une façon, de trèfle à quatre feuilles dont les pétales, tordus comme des hélices, ont l’air de courir les uns après les autres. Cette figure est connue en occultisme : elle représente, je crois, un symbole du mouvement perpétuel et de l'éternité.
HENDAYE - HENDAIA 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais que peut-elle signifier pour mon guide ? La tradition léguée par les ancêtres lui a-t-elle appris si peu que ce soit d'une symbolique antérieure à Moïse, créée par les Atlantes et dont le sens s'est perdu avec l'enseignement des...d’Egypte ? Je lui demande ce que signifient les figures sculptées au-dessus de sa porte, pendant qu’il prépare, assis sur le sable, la corde de pêche qu’il va lancer dans la mer.
Ma question l’étonne :
— Ça ? dit-il, ces espèces de roues ?... Boh !... je ne sais pas, tai! (Prononcez ai, comme dans air.) Personne n’a jamais su me dire... C’est un ancien qui a fait cela, et les anciens en savaient plus que nous... Mais on ne s’occupe plus des anciens... Voyez-vous, tout se perd, dans le pays... Autrefois, les jeunes filles venaient danser près de l’église ? le dimanche !... Danser, elles venaient !... Maintenant elles font les fières, elles restent à la maison, et quand elles vont au bal, c’est pour tourner sur un air de fandango !... Elles ne connaissent pas les danses basques qui étaient bien plus belles, tai !... Plus belles elles étaient, oui !... Mais c’est trop ancien, tout ça ! La langue se perd, notre langue, qui est la plus vieille, du monde, et nous avons de la peine à nous comprendre, ceux de Saint-Jean-Pied-de-Port et nous... Et ceux de Saint-Sébastien, c’est encore pire !... Ils ont des mots que nous n’avons pas ; ceux que nous avons, ils les prononcent autrement et pour nous faire entendre, nous leur parlons français !.. Et tout est comme ça, tout !
Les choses, dans notre pays, c’est pareil à la bâtisse en ruines que vous voyez là-haut, sur la falaise. Il y a dix ans, mon cousin y demeurait avec sa famille. Un matin, il va à Bayonne vendre ses pommes de terre. Quand il revient, le soir, il ne retrouve plus ni le chemin ni les écuries, ni la maison. La falaise s’était éboulée ; sa mère et sa femme avaient eu juste le temps de se sauver avec les meubles... Il y a dix ans, on voyait encore les coutumes basques ; on les voit de moins en moins chaque jour ! Elles s'écroulent !... Rien n’est plus comme autrefois, ni les choses, ni les gens, ni les saisons !... Tenez, on dit que la reine Nathalie nous quitte... C’est donc vrai que son château est à vendre ? C’est une brave dame : on la voyait souvent se promener dans nos chemins... Quand elle rencontrait une pauvre femme trop chargée, elle voulait l’aider à porter son fardeau, mais les femmes ne voulaient, pas, tai ! Pensez donc, une reine porter une cruche d’eau ou un paquet de linge !... Mais puisqu’elle est si riche et que tout le monde l’aime ici, pourquoi s’en va-t-elle de Sacchino ? Et la princesse Ghika aussi, elle va nous quitter ! Allez donc voir à l’église les belles broderies qu’elle a faites !... Des années elle y a mis !... Et puis des peintures aussi elle a donné, avec de l’or et des bois sculptés !... Elle venait dix fois par jour à l’église ! Elle voulait, tout faire par elle-même, et que rien ne manque !... Ah ! pour une princesse, elle se connaissait bien en vaches laitières, oui !...
Un jour que j’étais avec ma charrette attelée devant l’église, elle s’écria : "Oh ! les belles vaches !" Elle voulait faire leur portrait !... Ça fait plaisir d'entendre parler les gens qui s’y connaissent... Mais maintenant il n’y a plus que des touristes qui passent en automobile sur la route d’Espagne... De la poussière ils font et jamais ils ne s’arrêtent ! Alors ça donne envie à nos jeunes gens... Le pays ne leur plaît plus... Ils s’en vont aux Amériques dès qu’ils peuvent...Ceux de Saint-Jean-Pied-de-Port en sont revenus avec la fortune et ils ont fait bâtir des villas, près de la gare...Ici, garçons et filles ont tous l’idée d’en faire autant... Cette année, encore trois qui sont partis en Argentine ! Si ça va, ils feront signe à d’autres... Et voilà : pour cultiver la terre du pays, les vieux vont rester tout seuls !... Tout seuls ils resteront..."
BEHOBIA 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les prédictions du curé de Fontarabie.
Des cris joyeux, poussés par une bande d’enfants qui profitaient de la marée basse pour chercher la crevette dans les rochers découverts, interrompirent ces doléances.
FONTARRABIE - HONDARRIBIA 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
— Tiens ! fait mon guide en se relevant d’un bond, c’est les gosses de l’Espagnol !... Sûr qu’ils ont pris quelque chose !...
Et il se met à courir dans la direction des rochers, en me faisant signe de le suivre. Nous arrivons en même temps que l’Espagnol, occupé non loin, et que les clameurs de sa marmaille ont attiré comme nous :
— Qu’y a-t-il ?
— Un poulpe, répond l’un des enfants.
— Eh bien, amène-là. Qu’est-ce que tu attends ?
HENDAYE - HENDAIA 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
L’enfant saisit un long bâton terminé par un crochet de fer. C'est avec cela qu’il va "pêcher" la pieuvre. Il saute dans l’eau, introduit le bâton sous une large roche, explore, tâtonne un peu, puis brusquement retire une chose effrayante, qu'il jette d’un coup sec sur le rocher. La pieuvre est prise. Le petit garçon l’étale, ventouses, en l’air, et la taquine avec son crochet, pendant que ses frères entonnent une sorte de chant sauvage autour du monstre qui agite faiblement ses tentacules maladroites. Je n’ai jamais vu d’enfants plus heureux. Le bonhomme Noël, passant près d’eux, chargé de jouets et de friandises ne leur ferait pas tourner la tête. Je demande au père :
— Qu’allez-vous faire de ça ?
Il me répond, dans un bizarre patois, mélange à doses variables de français, d’espagnol et de basque :
— Appâts pour l’hameçon... Rien de meilleur !
— Ah ! ah ! Vous espérez faire une bonne pêche ?
L’Espagnol tourne vers la mer sa face honnête et cordiale, où brillent ce que les romanciers appellent "le feu sombre" de deux grands yeux noirs du style arabe le plus pur. Et il secoue la tête :
— Non, dit-il. On ne pourra pas pêcher... Le "couré" de Fontarabie a prédit une grande tempête...
— Une tempête, avec un temps pareil ? Allons donc !
Gravement, l’Espagnol répète :
— Le "couré "de Fontarabie ne se trompe jamais !
Je reste sceptique. Mais mon guide a entendu, tout en paraissant intéressé par le seul spectacle de la pieuvre morte, bête de cauchemar soudain transformée, en guenille immonde.
PÊCHEURS BASQUES ESPAGNOLS PAYS BASQUE D'ANTAN |
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