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dimanche 23 décembre 2018

UN VOYAGE DE THÉOPHILE GAUTIER AU PAYS BASQUE EN 1840 (première partie)


THÉOPHILE GAUTIER AU PAYS BASQUE EN 1840.


C'est en 1840 que Théophile Gautier, accompagné de son ami Eugène Piot traverse le Pays Basque pour aller à Madrid.



pays basque autrefois
THEOPHILE GAUTIER
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que raconta La Gazette nationale ou Le Moniteur Universel, dans son édition du 29 

septembre 1856, sous la signature de Théophile Gautier, au sujet de ce voyage :


"Revue dramatique.


Gymnase : Riche de coeur, vaudeville en un acte de MM. Duvert et Lausanne. — Théâtre du Vaudeville : Le beau Léandre, comédie en un acte et en vers, de MM. Théodore de Banville et Siraudin.


Quand on est à Bayonne et que l'on voit se découper à l'horizon la crête bleuâtre des Pyrénées, on se dit : 


— l’Espagne est là derrière ; en quelques tours de roues nous y serions !

— Et l’on oublie qu’à Paris la tragédie déclame, le drame rugit, le vaudeville chantonne, et que les premières représentations se succèdent. Aussi avons-nous cédé tout de suite à la tentation, ce qui est encore le meilleur moyen de s'en débarrasser, et l’arène avait à peine bu le sang du dernier taureau, qu’une large calèche, attelée de trois chevaux, nous emportait, nous et nos compagnons, sur la route d’Irun. 



Nous avons revu en passant l'église d'Urrugne et l'inscription mélancolique de son cadran "Vulnerant omnes, ultima necat," qui nous avait inspiré, il y a bien des années déjà, une pièce de vers où la funèbre pensée était commentée à notre façon : 



labourd autrefois
EGLISE D'URRUGNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


La voiture fit halte à l’église d’Urrugne. 

Nom rauque dont le son à la rime répugne, 

Mais qui n’en est pas moins un village charmant 

Sut un sol montueux, perché bizarrement. 

C'est un bâtiment pauvre, en grosses pierres grises, 

Sans archanges sculptés, sans nervures ni frises,

Qui n'a pour ornement que le fer de sa croix, 

Une horloge rustique et son cadran de bois, 

Dont les chiffres romains, épongés par la pluie, 

Ont coulé sur le fond que nul pinceau n'essuie. 

Mais sur l’humble cadran regardé par hasard, 

Comme les mots de flamme au mur de Balthasar, 

Comme l’inscription de la porte maudite, 

En caractères noirs une phrase est écrite ; 

Quatre mots solennels, quatre mots de latin, 

Où tout homme en passant peut lire son destin : 

"Chaque heure fait sa plaie, et la dernière achève." 

Oui, c’est bien vrai, la vie est un combat sans trêve, 

Un combat inégal contre un lutteur caché, 

Qui d'aucun de nos coups ne peut être touché ; 

Et, dans nos cœurs criblés, comme dans une cible, 

Tremblent les traits lancés par l'archer invisible. 

Nous sommes condamnés, nous devons tous périr ; 

Naître, c’est seulement commencer à mourir, 

Et l’enfant, hier encor, chérubin chez les anges. 

Par le ver du linceul est piqué sous ses langes, 

Le disque de l'horloge est le champ du combat 

Où la Mort de sa faux par milliers nous abat ; 

La Mort, rude jouteur qui suffit pour défendre 

L’éternité de Dieu qu’on voudrait bien lui prendre. 

Sur le grand cheval pâle entrevu par saint Jean, 

Les Heures, sans repos, parcourent le cadran ; 

Comme ces inconnus des chants du moven âge, 

Leurs casques sont fermés sur leur sombre visage, 

Et leurs armes d’acier deviennent tour à tour 

Noires comme la nuit, blanches comme le jour. 

Chaque Sœur à l'appel de la cloche s’élance, 

Prend aussitôt l'aiguille ouvrée en fer de lance, 

Et toutes sans pitié nous piquent en passant, 

Pour nous tirer du cœur une perle de sang, 

Jusqu'au jour d'épouvante où paraît la dernière

 Avec le sablier et la noire bannière ; 

Celle qu’on n’attend pas, celle qui vient toujours, 

Et qui se met en marche au premier de vos jours. 

Elle va droit à vous, et, d'une main trop sûre, 

Vous porte dans le flanc la suprême blessure, 

Et remonte à cheval, après avoir jeté 

Le cadavre au néant, l'âme à l’éternité !



Qu’on nous pardonne de remplacer quelques ligues de prose par ces vers assez anciens pour paraître nouveaux. Depuis ce premier voyage, que de blessures nous ont faites les Heures cruelles ! que de tristesses et d'agonies elles ont sonnées pour nous ! — et pour les autres, hélas ! car en ce monde on ne possède même pas l’originalité de sa douleur ; voir disparaître les chers cercueils sous la terre brune, enfouir soi-même les têtes aimées, pleurer ses espérances à jamais perdues, sentir diminuer jour par jour le trésor de sa jeunesse, cela est tout simple et tout naturel. 



Le cimetière de l’église d’Urrugne ne ressemble à aucun autre. On dirait le champ de repos d’une race disparue. Les tombes en pierre grisâtre affectent des formes étranges, celtiques, phéniciennes, Scandinaves, et d'un archaïsme qui fait remonter à l'imagination le courant des âges ; tantôt ce sont des dalles élargies au sommet et qui figurent vaguement les épaules du mort, comme des boîtes de momie, tantôt des disques à piédouche fichés en terre comme les pieux de marbre terminés en turban des cimetières turcs, et où la croix grossièrement gravée s’inscrit dans un cercle.



 — Vous écartez les herbes qui entourent ces tombes dont vous essayez de déchiffrer les inscriptions sculptées en relief. Ce sont des noms inusités, des configurations de syllabes singulières, n’appartenant à aucun idiome connu,—des épitaphes on Basque, — une langue que, selon les savants, Adam parlait en paradis ; à des dates toutes récentes, 1852, 1854, vous vous apercevez que ces monuments d’une rudesse si primitive, d’une apparence si antédiluvienne, ont été élevés hier. — Sans doute ce peuple à part, que nous appelons Basque, et qui se nomme lui-même Escualvanac, est fidèle à ses vieilles formes tumulaires comme à sa langue antique, dont nul ne connaît l’origine. 



Des tribunes à claire-voie en charpente et un retable doré à la mode espagnole donnent à l’intérieur de l'église d’Urrugne une physionomie exotique. L’on comprend que l’on approche des frontières. 



urrugne autrefois
EGLISE URRUGNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Saint-Jean-de-Luz, avec ses façades dont les volets, les poutres, les chevrons se détachent en ronge d’un fond de blancheur, ne ressemble à aucune autre ville. Là encore, nous entrâmes dans l’église, où l’ardente et sombre dévotion espagnole se fait déjà sentir. Comme à Urrugne, plusieurs étages de tribunes en bois règnent autour de la nef, et les retables des chapelles, ornés de colonnes salomoniques, sont richement dorés. A l’une d'elles on disait une messe de bout de l’an. Des carrés de drap noir étaient étendus à terre. Des femmes vieilles et jeunes ensevelies dans des manteaux noirs, dont le capuchon rabattu laissait à peine entrevoir le profil pâle, priaient agenouillées, et gardaient une immobilité complète, qui les faisait ressembler à des statues funèbres placées sur des tombeaux. Du haut de l’autel, une sainte Vierge revêtue d'habits de deuil, comme si, pensée délicate et d’une tendresse toute catholique, elle faisait elle-même partie de la famille du mort pour lequel on célébrait la messe, semblait pencher ses regards compatissants sur le groupe affligé. Un reflet vague baignait sa figure coloriée d’une teinte de chair, et lui prêtait une apparence de vie morte tout à fait en harmonie avec la scène. 



labourd autrefois
EGLISE ST JEAN DE LUZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Ce groupe était d’un aussi beau caractère que celui des femmes dans le Trentain de Berthal de Haze, du peintre belge Leys, tant admiré à l’Exposition universelle. Espérons que le grand artiste qui nous accompagnait s’en souviendra, et que nous verrons cette messe de bout de l’an à Saint-Jean-de-Luz reproduite quelque jour, avec toute son onction religieuse, dans un de ces dessins colorés comme des tableaux qu’il prodigue si insouciamment. 



A Behobie nous frétâmes une barque pour descendre la Bidassoa jusqu’à Fontarabie — un desideratum à remplir dans notre vie de voyages. —Trois fois nous sommes allés en Espagne, et trois fois des exigences de temps et de route nous ont écarté impitoyablement de ce but souhaité. Un charmant tableau de Haffner représentant une rue de Fontarabie avait encore exalté notre désir, qui s’est réalisé enfin. Tout arrive. 



guipuzcoa antes
FONTARRABIE PAR FELIX HAFFNER
PAYS BASQUE D'ANTAN



Notre embarcation n’avait rien de particulièrement somptueux ; c’était un bateau plat à tirer le sable où l’on avait installé des chaises, et que deux jeunes gaillards poussaient à la perche sur l'eau basse du fleuve. 



On longea d’abord l’île des Faisans ou de la Conférence où fut conclu le traité des Pyrénées en 1659. Il ne restera bientôt plus rien de ce morceau de terre historique ; chaque marée en emporte une parcelle. 


pays basque autrefois
ÎLE DES FAISANS BEHOBIE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Les rives du fleuve sont plates et laissent apercevoir dans le lointain les ondulations des montagnes.



À mesure que l’on descend, la Bidassoa s’élargit, et l’eau amère se mêle à l’eau douce dans une plus forte proportion. Déjà Fontarabie dessine sa silhouette pittoresquement découpée au sommet de l’éminence qu'elle couvre. Le clocheton bizarre de son église pyramide au-dessus de ses toits de tuile désordonnés et de ses maisons qu’étreignent de hauts remparts ébréchés par plusieurs sièges. 


pais vasco antes
FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




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