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lundi 10 décembre 2018

PÈLERINAGE À LEZO EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1919


PÈLERINAGE À LEZO EN 1919.


Dès 1203, et la fondation de Fontarrabie, sa voisine en Guipuscoa, la commune de Lezo est citée dans les textes anciens.



guipuscoa antes
LEZO GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta le journal Le Gaulois, dans son édition du 7 février 1920, sous la 

signature de René Bizet :


"Trois aspects de l'Espagne Catholique.


C'est au pèlerinage de l'Exaltation de la Sainte-Croix, le 14 septembre, qu'il faut venir surprendre, dans ce village de pays basque espagnol, la foi paysanne. Une tradition veut que dans la basilique de Santo Christo, un Christ miraculeux donne, à qui l'approche, "salud, dinero et buen marido" (santé, argent et bon mari), car toujours, au sentiment religieux des populations misérables, se mêle un sens de la vie pratique qui leur fait demander au ciel un peu de bonheur immédiat qu'elles ne peuvent obtenir de leurs travaux.



Lezzo, qui se trouve à quelques kilomètres de notre frontière, et qui, dans le fond de la baie de Pasajes, est sur le chemin de Saint-Sébastien, est presque inconnu.de ceux qui se reposent sur les bords du golfe de Gascogne. Le visiteur n'enrichit pas l'humble sanctuaire, et, je ne sais pourquoi, l'étranger croit davantage trouver un avant-goût de l'Espagne véritable à Hernani ou à Fontarabie. C'est un préjugé qu'entretiennent les guides et les agences de voyages. Le pays basque ou la Navarre, toute proche, montrent, dans tous leurs villages, leurs mœurs avec plus de simplicité qu'on n'en peut trouver dans les lieux de pèlerinages pour touristes, et, dans ce coin d'Espagne surtout, où elles ont une si grande importance, les manifestations religieuses en disent plus long sur un peuple que tous les monuments ou que toutes les danses pittoresques qu'on vient admirer, de loin, dans des endroits convenus.



pais vasco antes
LEZO GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le paysan basque est profondément catholique. Le Basque français ne l'est pas moins que l'espagnol. Ils apportent, dans l'accomplissement de leurs devoirs religieux, une ferveur qu'on ne trouve chez nous qu'en Bretagne, et un sens de la collectivité qu'on ne connaît que dans les pays flamands. C'est ce sens-là qui donne au Basque d'Espagne son caractère particulier. Il est le seul à le posséder dans toute la péninsule, le seul à aimer son église, à y chanter, à s'y rendre avec ses coreligionnaires, à donner à la prière en commun cette force, cette ardeur qui emportent toute l'âme avec elle. Ce sens-là, qui lui évite les superstitions personnelles, lui donne aussi un fanatisme incontestable. Nulle province où le Français ne soit plus suspect, à l'habitant que la Biscaye, où nous rencontrions moins de sympathie dans le peuple et dans le clergé. Mais nulle province aussi où une propagande catholique bien faite ne nous rallierait plus rapidement l'ensemble des suffrages. Si l'on parlait simplement de nous à ces âmes simples, si quelque prêtre basque de France pouvait s'adresser à ses frères et leur dire que nous ne sommes point tels que le Pueblo Vasco nous dépeint, nous pourrions acquérir à nos frontières une affection dont le défaut aura eu de grosses conséquences pour nous depuis les débuts de la guerre. 



Le Basque espagnol est taciturne. Il ne faut pas songer recueillir ses confidences quand on le connaît bien : il est, pour tout dire, antipathique. Il semble sournois, incapable d'élan, têtu dans ses convictions. Allons avec lui dans ses églises, suivons-le à Lezzo dans son pèlerinage, il nous apparaîtra tout autre, près de nous, candide, enthousiaste et si naïvement confiant...


guipuzcoa antes
LEZO GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Lezzo est une ancienne grande ville, qui échelonne ses maisons de pierre aux pentes d'une contrefort de ce mont Jaizquibel, dont la masse sombre s'impose aux yeux depuis Fontarabie jusqu'à Saint-Sébastien. Il est tôt quand nous y arrivons, amenés jusqu'à Renteria par un tram électrique. C'est l'heure du marché. Aux murs des maisons, par des longes, sont attachées des mules, flanquées de paniers lourds de légumes, de fruits ou de bidons de lait, et tout un peuple jacassant s'empresse devant des étalages, de chaque côté de la route qui grimpe vers Lezzo et que suivent, d'un pas pesant, sous le soleil de septembre, vigoureux encore, les pèlerins bavards. Dans ce carré que dessinent, devant la vaste église de Renteria, de hautes et vieilles demeures écussonnées, c'est tout le tableau de la vie basque qui s'étale de couleurs plutôt sombres, relevées seulement par le jaune vieil or des murailles. Les femmes sont vêtues de noir, les hommes coiffés du petit béret ont les épaules chargées de couvertures noires zébrées de marron, qui leur donnent cet aspect frileux que nous retrouvons chez les émigrés, dans les salles d'attente de nos gares. Tous ces gens ont, dans la démarche, dans leur parler, quelque chose de fort et de rude qui nous éloigne d'eux d'abord.



Le paysage n'a pas plus de grâce. La courbe des montagnes autour de la mer est sèche ; la montagne elle-même, couverte à sa base de pommiers et pelée à son sommet, est sans agrément pour les yeux, et si beau que soit le temps, il n'y a pas de ciel moins paisible que celui qui couvre cette nature et où se forment, s'enfuient, s'accumulent et se dispersent de minutes en minutes des troupes de nuages aux reflets métalliques. 



pais vasco antes
LEZO GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Nous sommes maintenant dans la campagne, sur le chemin du sanctuaire. Des mendiants apparaissent au bord de la route, comme des arbres pourris ils sont à genoux, tendent des moignons de bras ou de jambes, polis ou saignants, rongés de pustules, vers la foule qui ne s'en émeut point, en poussant des litanies geignardes que rythment, en appel, des "Christianos ! Christianos !" déchirants. Voici des marchands de cierges, qui offrent comme des lys les bâtons de cire blanche, unis ou travaillés comme des bijoux, et toute une horde vermineuse de gamines qui vous persécutent de leurs médailles de zinc ou de leurs chapelets d'un sou. C'est au milieu de cette cohue qu'on avance, lentement, au fur a mesure qu'on approche du village de Lezzo des petites baraques de toile pavoisent le chemin de bannières et de statuettes pieuses peinturlurées de bleu et de vermillon. On vend dans la même boutique des gâteaux à la graisse et des livres de messe, et les voyageurs se gavent a la fois de "fritons" et d'images saintes qu'ils rapporteront en souvenir. Mais tout cela ne diffère que par la couleur et la misère de nos pèlerinages de France.



Devant le sanctuaire, tout va changer. Une place étroite et qu'encombrent des chanteurs ambulants, des marchands de sabots, d'espadrilles ou d'articles de culture, contient mal une assemblée d'hommes et de femmes qui attendent leur tour de pénétrer dans la basilique déjà pleine et dont, par la porte large ouverte, on aperçoit l'autel piqué des étoiles des cierges allumés. Par bouffées, des chants en latin sortent de l'église et viennent se heurter aux chants profanes que les musiciens de la rue accompagnent de leur guitare bourdonnante. Ils ne se contrarient point. C'est le même peuple qui prie là-dedans et se distrait dehors, sur des airs également faciles, également simples. Les voix des boutiquiers et des acheteurs, les disputes, les marchandages et les rires mêlent leurs bruits aux oraisons. La prière est une expression de la vie de ce peuple de paysans, comme les querelles de marché.



guipuscoa antes
LEZO GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN

L'attente, est longue devant la porte, car il n'y a pas d'autres sorties. Pas à pas, pourtant, on se rapproche. Nous voici sur le seuil, les yeux étonnés par l'ombre, dans un bain de fraîcheur qui fait frissonner. Pas de vitraux ni de fenêtres, des ténèbres trouées seulement par brasier de l'autel. Des rangées de bancs et un va-et-vient incessant de fidèles de leur place au chœur, et du choeur à la sortie. Tout est mystérieux, au premier instant. Nous ne sommes pas habitués à ces promenades dans une église, à ce mouvement incessant qui mêle ses bruits de pas aux prières et aux cantiques, à la voix du prêtre et des enfants de chœur.




Et puis les yeux s'accoutument à l'obscurité et s'arrêtent sur le "Santo Christo" imploré par toutes ces ferveurs et qui, semble, de son geste éternel, arrêter au mur du sanctuaire l'élan des oraisons obstinées. Il est là, derrière l'autel, cireux, cadavérique, les hanches cachées sous une sorte de jupon de satin noir qui rend plus funèbre encore sa maigreur tragique, tordue par la douleur. Il parle, de toute son attitude exténuée, à cette foule qui a besoin pour comprendre d'images nettes, fortes et qui disent bien ce qu'on veut qu'elle sache. Il est un de leurs morts. Ils ont vu son frère humain, étendu sur le lit de leur pauvre chambre, et ce sang qui coule de la plaie du corps et des mains et des pieds est vraiment aussi du sang humain. C'est Lui qu'on supplie, c'est Lui qu'on embrasse, comme on baiserait, avant de l'ensevelir, le cadavre d'une mère ou d'un fils. Car on l'embrasse ainsi. A la base de la croix, une sorte de fenêtre est pratiquée et à toute seconde, entre l'encadrement de deux cierges, apparaît à cette lucarne un visage d'homme, de femme ou d'enfant, puis un cou qui se penche, des lèvres qui s'avancent et se posent sur la tache sanglante que le clou des bourreaux a mise aux pieds du Sauveur. Pour qui n'est point préparé à ces apparitions et à ces gestes, cette manifestation de la piété a quelque chose de théâtral et de naïf à la fois qui prête au sourire. Ces têtes apparues puis qui disparaissent derrière l'autel, cette succession de faces surgies puis comme happées par une trappe invisible a, dans l'éclairage vacillant, la houle murmurante des prières, on ne sait quoi de mélodramatique et de grotesque... Mais l'ardeur, la foi ambiante vous ressaisissent, la sincérité de tous ces baisers vous étreint. On regarde, on s'étonne, et l'on suit malgré soi la file des pèlerins. On entre dans la sacristie, où des prêtres osseux tendent des sébiles pour les offrandes. On gravit les marches de l'escalier, et les cliquetis de chapelets, les glissades d'espadrilles, les martèlements des sabots, les voeux formulées naïvement à voix basse forment une atmosphère de vie et d'irréel dont on subit l'enchantement. On ne voit que des corps, soudain guillotinés. Des baisers bruissent, immatériels par un coin de la petite fenêtre, on aperçoit une flamme de cierge dans les ténèbres, la petite lumière divine dans la brume fétide que nous tissent nos jours.



pais vasco antes
LEZO GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Ici, tout est mystère et groupé pour laisser aux imaginations simples libre cours. Toute cette foule n'a qu'une ardeur, un même élan la porte vers le Christ miraculeux, les mêmes pensées hantent ces cerveaux, une même voix pourrait lancer cette force qui se recueillie vers la croisade ou la bataille. Nul catholique ne se sentira étranger à ces catholiques. Tous, prêtres et fidèles, sous cette voûte, expriment une foi qui est notre foi...



Et nous sommes ramenés dans la petite nef ; la porte, au fond, large ouverte sur la plaie, découpe un morceau de ciel et de mur jaune ; des branches d'arbres se dessinent. La nature pénètre dans le temple, comme elle tressaille dans ces âmes qui vivent près d'elle. Il faut sortir. D'autres pèlerins attendent. Nous traversons la barrière qu'ils forment à l'entrée ; nous voilà dehors. Les guitares des chanteurs ambulants bourdonnent toujours, l'accent rugueux du parler basque roule toujours devant des baraques de toiles où l'on discute et, cierges en main, la troupe renforcée des fidèles oscille maintenant en rangs serrés, loin sur la route...



GUIPUZCOA ANTES
LEZO GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le soleil de dix heures illumine tout le paysage où grouillent, parmi les arbres et les maisons basses, paysans, paysannes et mendiants. Nous ne les voyons plus avec nos yeux de voyageurs, étonnés de tant de dissemblances avec nous. Ces visages-la, nous venons de voir leurs pareils courbés comme les nôtres ou émerveillés de joie. Nous nous comprenons. Notre pays basque français est proche. Nous nous v sentons chez nous. Il s'en faut de bien peu que nous n'ayons ici le même sentiment. C'est le miracle d'une foi commune, pareillement entendue, et qui fait que ces horizons, ces formes, ces gens qui les peuplent ou les entourent, émeuvent notre sensibilité, sans effort, comme l'aspect d'un coteau familier, ou d'un ami qui revient d'un long voyage."




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