UNE VISITE CHEZ PIERRE LOTI EN 1907.
Pierre Loti, nommé au commandement de la station navale d'Hendaye, s'installe dans une modeste maison de la cité frontalière en décembre 1891.
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| MAISON DE PIERRE LOTI HENDAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Gaulois, dans son édition du 15 octobre 1907, sous la
signature de Paul Nyve :
"Une visite chez Pierre Loti.
Au moment où la France agit au Maroc, sous les yeux de l'Espagne bienveillante et immobile, on a signalé l'ironie qui s'offre au regard du voyageur dans les eaux frontières de la Bidassoa, où les deux pays sont représentés par deux gardes-côtes qui semblent, par leur aspect, l'antithèse formelle de ce qui se passe sur la terre d'Afrique. En effet, tandis que le navire espagnol, tout blanc, vif et luisant,comme cuirassé d'argent par le soleil, se meut alerte et en éveil sous des manoeuvres sans cesse renaissantes, le navire français dort lourdement, comme privé de vie, amarré à la pile d'un pont. D'aucuns affirment que, vu son immobilité, il est devenu la providence des pêcheurs de moules. Nous avons la plaisanterie facile. Il n'est pas moins certain que, par son attitude éternellement expectante, le bâtiment paraît prendre un peu trop au sérieux son rôle de stationnaire. Une petite promenade dans l'estuaire d'Hendaye, ne fût-ce que jusqu'à la maison de Loti, ferait taire les mauvaises langues, pêcheurs de moules compris.
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| PONT INTERNATIOAL ET LE JAVELOT HENDAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Revenant d'Espagne, je me suis arrêté, l'autre jour, devant la maison de. Loti. J'avais pris à Fontarabie une barque qui me passa entre les deux gardes-côtes à grand renfort de rames utilisées à la façon de perches, la marée étant basse. La promenade à travers l'admirable golfe n'en était que plus charmante, avec ses lenteurs, ses hésitations, ses sursauts. La féerie des eaux et des sables, sous l'éclat de l'ardent soleil, s'augmentait d'aventure.
L'excellente préparation pour aborder chez le magicien de lettres qui a nom Loti ! Caprice et paysage, l'imprévu dans un décor d'exception ! Fontarabie, pittoresque, héraldique, flambait sur la colline légère au pied du Jaïzquibel, tandis que Hendaye, plus humble, moderne et démocratique, semblait attendre, pour sortir de sa torpeur, que le soleil eût disparu derrière l'Espagne.
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| HENDAYE 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Une haute terrasse à pic sur le rivage, gardée d'une balustrade et portant un peu en arrière une maison blanche à volets verts :
- C'est la maison de M. Loti, me fit le batelier.
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| BORDS DE BIDASSOA HENDAYE 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
La terrasse s'arrondit à gauche, saillant en une sorte de tour qui descend à la mer. C'est la que travaille le plus volontiers l'écrivain. Tout contre, un escalier étroit et rapide...
- Vous m'arrêterez, dis-je au rameur, au pied de cet escalier, puisque je vais chez M. Loti.
- Ce n'est pas là qu'on entre, dit-il en atterrissant. Voyez, c'est fermé.
- Il faut faire le tour par la ville...
Et sur le rivage dont la couche molle et gluante rend les pas indécis, je m'achemine péniblement vers le débarcadère que la marée basse a fait désert pour l'instant.
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| EMBARCADERE PORT CANETA PAYS BASQUE D'ANTAN |
- La première rue à votre gauche et la première grille de jardin que vous verrez, me dit mon homme.
J'y suis. La grille, encadrée de verdure, porte à droite, sur le fronton d'un pilier : Bakhazetchea. C'est bien cela. Je veux sonner. Mais la sonnette ne marche guère, envahie d'herbes folles. Je pousse la porte. Elle cède. Et me voilà dans un jardin basque, très feuillu, d'un vert sombre, où éclate, çà et là, le pompon rouge vif d'un géranium. Un serviteur. Ma carte. Et je suis introduit dans un salon clair et où, par le ton jeune et gai, ardent et léger en même temps, des tentures, des meubles, des objets, circule une lumière nouvelle et inattendue. Ce n'est plus le pays basque, ce n'est pas l'Espagne, on dirait l'Orient, le seuil de l'Orient... Je suis bien chez Loti.
Un bruit, une porte qui s'ouvre et devant moi, se découvrant d'un geste courtois et brusque, Loti, vêtu de clair, le feutre a larges bords plié dans la main, très droit, un peu sévère, l'air d'un capitaine à son bord.
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| PIERRE LOTI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Tout de suite, les politesses échangées, la conversation est amenée par moi sur la beauté du lieu, la situation incomparable de ce coin de terre s'avançant comme un balcon sur l'Espagne.
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| HENDAYE 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
- Oui, me dit Loti, c'est très beau ou plutôt c'était très beau, mais ça ne l'est plus et je vais m'en aller...
- Vous en aller ?
- Mais oui, répète l'écrivain d'une voix qu'il veut rendre ferme, mais qui s'est voilée de tristesse, oui... m'en aller...
Et je comprends aussitôt, me souvenant. On m'avait dit, en effet, qu'Hendaye était en train de se moderniser par des constructions variées à l'usage de baigneurs qui pourraient s'aventurer dans ces parages, réservés jusqu'ici à la seule rêverie de quelques poètes et de quelques artistes. Situé à un des points extrêmes de la France, qualifié à juste raison de bourg insignifiant par les guides les plus populaires, loin de toute communication, brûlant comme les sables du désert aux jours de canicule, d'un abord malaisé de la rive espagnole à marée basse, Hendaye semblait destiné à échapper aux villégiatures de M. Joseph Prudhomme. Mais l'automobilisme nous réservait cette surprise. Des touristes que le chemin de fer rebutait, vu l'éloignement de la gare, y sont venus par ce nouveau genre de locomotion et ils ont constaté avec stupeur qu'il existait encore en France une plage de sable fin, unie et libre, que n'interceptait aucune ligne de maisons. Et le "modern style" s'est aussitôt mis fleurir et même à s'épanouir en face des ruines de Charles-Quint et de Jeanne la Folle.
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| ENFANTS DU SANATORIUM HENDAYE 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Loti m'a entraîné dans son jardin. Nous sommes sur la terrasse qui s'arrondit au-dessus de la tour où il rêve, médite et écrit. Les branches lourdes de feuilles et de senteurs d'un arbre méridional laissent tomber sur nous leur ombre bienfaisante. Notre regard embrassant l'estuaire aux lacs multiples se porte au loin sur la bande de sable qui de la plage d'Hendaye s'avance vers l'Espagne. Onduleuse et fine, elle met comme un ourlet blanc à la nappe bleue de la mer. Sur l'ourlet, des toits de maisons commencent à s'aligner en rang d'oignons. Bientôt la nappe mouvante et bleue aura disparu derrière les bâtisses. On ne verra plus rien.
- Et je serai parti conclut Loti.
Mélancolique, et comme d'une voix lointaine, il ajoute :
- Que voulez-vous ? alors que je commandais dans ces eaux à bord du stationnaire français, il y a quelque quinze ans, séduit par la beauté particulière du lieu, propre à ma rêverie, et par sa solitude, je trouvai cette maison où nous sommes, je la louai, l'habitai, puis m'y étant plu je l'achetai. Je ne me doutais pas, que je serais forcé de m'en séparer un jour pour de telles raisons...
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| ENTREE DE LA PROPRIETE DE PIERRE LOTI HENDAYE 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous étions au bord du jardin, cheminant vers la sortie, car je prenais congé. Un silence s'était produit, nous isolant l'un de l'autre, chacun à sa pensée. Je tendis la main à Loti en signe d'adieu :
- Mais du moment qu'on chasse les artistes et les poètes des rares endroits où flotte encore un rêve de poésie, où iront-ils ?
- Je ne sais pas, fit Loti. Mais je crains fort qu'il ne leur reste bientôt plus rien.
Ce fut le dernier mot de l'auteur de Ramuntcho.
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| PIERRE LOTI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Dans le train rentrant à Paris, je me trouvai avec un couple, le mari et la femme, qui revenait des Pyrénées. Ils avaient vu Bagnères et la vallée de Campan, Luz et le cirque de Gavarnie, Pau et la vallée d'Ossau, Cambo et le Pas-de-Roland. On en parla. Je me montrai enthousiaste.
- Oui, dit la femme, cela mérite d'être vu, il la condition de ne pas avoir à y retourner, car y vivre...
- Oh ! là là ! compléta le mari.
- Et Hendaye ? demandai-je.
On me regarda surpris.
- Oui, Hendaye... Fontarabie... la frontière ?...
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| VUE SUR FONTARRABIE DE HENDAYE 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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