LA PASTORALE DE CHÉRAUTE EN 1927.
La pastorale est un spectacle théâtral traditionnel du Pays de Soule, de plein air et amateur, rassemblant chaque année la population d'un village ou d'un groupe de villages.
PERSONNAGES DE LA PASTORALE EN SOULE PAYS BASQUE D'ANTAN |
En 1927, la pastorale Napoléon Empereur est jouée par la jeunesse de Chéraute, en
Soule, le 24 avril.
Voici ce que rapporta le journal Le Figaro, dans son édition du 3 juin 1927, sous la plume
d'Hervé Lauwick:
"Le plus vieux théâtre de France.
Un théâtre du Moyen-Âge en 1927.
Comment ai-je su qu'on allait donner, au hameau de Chéraute (Basses-Pyrénées), une représentation d'un mystère à la mode du moyen âge ? De telles représentations se font une fois tous les quinze ou vingt ans, dans un village basque de la montagne. On en compte une moyenne de cinq par siècle, tout au moins pour le siècle dernier. Quand on entend parler d'un événement pareil, on n'hésite pas sauter dans le train et à se rendre à 800 kilomètres de Paris!...
D'autant plus que ces représentations de mystères sont les dernières qui aient lieu en Europe. Tous les théâtres du moyen âge ont disparu ou ont été pervertis par la Renaissance et la Réforme ; les maggi toscans ne sont plus ce qu'ils étaient, le théâtre de la forêt d'Elche, en Espagne - "Elche dans sa forêt de palmiers" — n'est qu'une cérémonie religieuse assez grossière.
PASTORALE DE CHERAUTE 1927 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Seul, le théâtre basque a subsisté, et je dois au commandant Boissel, directeur du musée Basque, et à M. Nogaret, l'historien érudit et délicat de Saint-Jean-de-Luz, d'avoir pu voir, hier, sur un tréteau semblable à celui où se jouaient les "moralités", devant une foule aussi respectueuse et silencieuse qu'elle l'eût été en l'an 1500, une de ses dernières représentations françaises d'un mystère du moyen âge.
Son éminent historien, son seul historien, le savant Georges Hérelle avait raison. Dès l'instant qu'on le voit, il est impossible de douter que ce théâtre soit celui même du moyen âge. La scène est formée de tréteaux et de planches, les spectateurs ont leurs chaises sur la scène, comme cela se faisait en core sous le Roi Soleil, les acteurs qui éprouvent le besoin de repos restent sur l'estrade, les Satans que nous verrons danser sur cette scène ont des fouets et des crocs pour mener les mauvais en enfer...A droite et à gauche se trouvent la porte des bons et celles des méchants.
LES SATANS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Averti de ces détails, j'attends avec quelque impatience ce qui va se passer. Et le commencement, c'est le début de toutes les fêtes basques : un défilé. La fanfare aigre et rude du Ttuntuna, le tambour, et de la Xulula, la petite flûte, se fait entendre brusquement dans la rue.
Le défilé multicolore commence. En tête, une voiture garnie de feuillages. Puis Napoléon Ier, car le sujet aujourd'hui sera — c'est vraiment à n'y pas croire — Napoléon , traité à la manière de la Chanson de Roland ! L'enfant d'Ajaccio devenu roi du monde, et transformé en héros légendaire, sera chanté en vers réguliers, pendant neuf heures d'horloge. Napoléon est un grand gaillard au visage pointu de Basque campagnard, à la carrure de pelotari, qui portera un habit violet, une culotte vert-pré à bordure bleu d'azur, un chapeau à plumes orange et rouge et des bottes jaunes. Mais les auteurs basques des villages se moquent de la vérité historique. — exactement d'ailleurs comme les auteurs français d'autrefois...
Tous ces costumes anciens, d'une propreté irréprochable, ont été conservés depuis longtemps dans les familles. Devant lui, dans une voiture, Marie-Louise en satinette rouge, sous un chapeau de petite-fille-qui-vient-embrasser-le-ministre, et avec, sur son corsage, une montre de dix-huit francs. Joséphine est en bleu d'azur et n'étant pas fille d'un empereur, n'a pas droit à la montre à dix-huit francs. Toutes deux sont des garçons, ont de faux cheveux jaunes et des souliers de tennis. Le théâtre basque n'admet pas les femmes, et ce spectacle ne fait sourire personne.
Mais il est un personnage plus digne qu'elles : le pape. C'est un bûcheron vêtu de blanc, coiffé de la tiare, et une double croix à la main. Il bénit son monde au passage. Pas une fois je ne l'ai vu sourire, pas une fois je n'ai vu les paysans se moquer sur son passage ; qu'on me dise si cela serait possible dans une autre région de la France que la Haute-Soule, non loin des refuges où vivent les ours et les vautours ?... Et si l'on songe que la pastorale religieuse est ici organisée par les socialistes de la région, on croit rêver !
Cette pièce religieuse contient d'ailleurs des Satans.
Drôles de personnages que ces Satans ! Imaginez deux gaillards — ils sont parfois quatre ! — qui sont vêtus de tuniques rouges brodées d'or, et qui tiennent à la main un fouet ou un crochet, du modèle exact, entre parenthèses, de ceux qui furent employés pour les mystères de 1547.
PASTORALE DE CHERAUTE 1927 PAYS BASQUE D'ANTAN |
En ce coutume, ils dansent les sauts basques, l'arin-arin et le bralia des fêtes comiques, et ils remplissent toutes les fonctions : courriers, quêteurs et meneurs en enfer. Qu'un mauvais chrétien, qu'un condamné succombe, et hop! à coups de fouet, à pointes de fourche, ils l'emmèneront tète baissée dans le Métro des âmes. Une preuve de plus, si elle était nécessaire, de l'étrange parenté du mystère et de la pastorale basque...
La déclamation va durer huit heures, et pas un instant nous ne nous ennuierons. Pas un personnage, à vrai dire, ne parle sans marcher, et sitôt qu'il a été se rasseoir, il se tait. Ce va-et-vient continuel n'est pas lassant, il est étourdissant de mouvement et de vie naïve.
Napoléon se lève, va dire violemment quatre vers sous le nez de l'empereur d'Autriche, qui saute comme un démon, et se rassied.
Un autre se lève, et la psalmodie reprend, toujours pareille, mais la conviction des acteurs n'est jamais en défaut.
On ne mange pas, on ne boit surtout pas, ce qui est admirable ; le silence partout...
Des visages tendus crispent leurs maxillaires droits sous des bérets. Ce soir, à cinq heures passées, il n'y aura pas un ivrogne, pas un chant, pas un cri...
Des oiseaux tissent dans le ciel des dessins invisibles sur fond bleu.
De temps en temps, il se passe un événement grave.
Le coupable est exécuté d'un coup de sabre, appuyé en coulisse, d'un coup de fusil. L'usage est, au théâtre basque, que tout coup de sabre qui tue quelqu'un produise au même moment une explosion.
C'est alors qu'interviennent les petites femmes de chambre. Elles se tiennent devant la porte des Satans.
DANSE DES SATANS TARDETS PAYS BASQUE D'ANTAN |
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