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lundi 20 août 2018

LA PASTORALE DE CHÉRAUTE EN SOULE AU PAYS BASQUE EN 1927

LA PASTORALE DE CHÉRAUTE EN 1927.



La pastorale est un spectacle théâtral traditionnel du Pays de Soule, de plein air et amateur, rassemblant chaque année la population d'un village ou d'un groupe de villages.

soule autrefois
PERSONNAGES DE LA PASTORALE EN SOULE
PAYS BASQUE D'ANTAN


En 1927, la pastorale Napoléon Empereur est jouée par la jeunesse de Chéraute, en 

Soule, le 24 avril.


Voici ce que rapporta le journal Le Figaro, dans son édition du 3 juin 1927, sous la plume 

d'Hervé Lauwick:

"Le plus vieux théâtre de France.


Un théâtre du Moyen-Âge en 1927.


Comment ai-je su qu'on allait donner, au hameau de Chéraute (Basses-Pyrénées), une représentation d'un mystère à la mode du moyen âge ? De telles représentations se font une fois tous les quinze ou vingt ans, dans un village basque de la montagne. On en compte une moyenne de cinq par siècle, tout au moins pour le siècle dernier. Quand on entend parler d'un événement pareil, on n'hésite pas sauter dans le train et à se rendre à 800 kilomètres de Paris!... 



D'autant plus que ces représentations de mystères sont les dernières qui aient lieu en Europe. Tous les théâtres du moyen âge ont disparu ou ont été pervertis par la Renaissance et la Réforme ; les maggi toscans ne sont plus ce qu'ils étaient, le théâtre de la forêt d'Elche, en Espagne - "Elche dans sa forêt de palmiers" — n'est qu'une cérémonie religieuse assez grossière.

soule autrefois
PASTORALE DE CHERAUTE 1927
PAYS BASQUE D'ANTAN

Seul, le théâtre basque a subsisté, et je dois au commandant Boissel, directeur du musée Basque, et à M. Nogaret, l'historien érudit et délicat de Saint-Jean-de-Luz, d'avoir pu voir, hier, sur un tréteau semblable à celui où se jouaient les "moralités", devant une foule aussi respectueuse et silencieuse qu'elle l'eût été en l'an 1500, une de ses dernières représentations françaises d'un mystère du moyen âge.



Son éminent historien, son seul historien, le savant Georges Hérelle avait raison. Dès l'instant qu'on le voit, il est impossible de douter que ce théâtre soit celui même du moyen âge. La scène est formée de tréteaux et de planches, les spectateurs ont leurs chaises sur la scène, comme cela se faisait en core sous le Roi Soleil, les acteurs qui éprouvent le besoin de repos restent sur l'estrade, les Satans que nous verrons danser sur cette scène ont des fouets et des crocs pour mener les mauvais en enfer...A droite et à gauche se trouvent la porte des bons et celles des méchants

soule autrefois
LES SATANS
PAYS BASQUE D'ANTAN


Averti de ces détails, j'attends avec quelque impatience ce qui va se passer. Et le commencement, c'est le début de toutes les fêtes basques : un défilé. La fanfare aigre et rude du Ttuntuna, le tambour, et de la Xulula, la petite flûte, se fait entendre brusquement dans la rue. 




Le défilé multicolore commence. En tête, une voiture garnie de feuillages. Puis Napoléon Ier, car le sujet aujourd'hui sera — c'est vraiment à n'y pas croire — Napoléon , traité à la manière de la Chanson de Roland ! L'enfant d'Ajaccio devenu roi du monde, et transformé en héros légendaire, sera chanté en vers réguliers, pendant neuf heures d'horloge. Napoléon est un grand gaillard au visage pointu de Basque campagnard, à la carrure de pelotari, qui portera un habit violet, une culotte vert-pré à bordure bleu d'azur, un chapeau à plumes orange et rouge et des bottes jaunes. Mais les auteurs basques des villages se moquent de la vérité historique. — exactement d'ailleurs comme les auteurs français d'autrefois... 




Tous ces costumes anciens, d'une propreté irréprochable, ont été conservés depuis longtemps dans les familles. Devant lui, dans une voiture, Marie-Louise en satinette rouge, sous un chapeau de petite-fille-qui-vient-embrasser-le-ministre, et avec, sur son corsage, une montre de dix-huit francs. Joséphine  est en bleu d'azur et n'étant pas fille d'un empereur, n'a pas droit à la montre à dix-huit francs. Toutes deux sont des garçons, ont de faux cheveux jaunes et des souliers de tennis. Le théâtre basque n'admet pas les femmes, et ce spectacle ne fait sourire personne. 




Mais il est un personnage plus digne qu'elles : le pape. C'est un bûcheron vêtu de blanc, coiffé de la tiare, et une double croix à la main. Il bénit son monde au passage. Pas une fois je ne l'ai vu sourire, pas une fois je n'ai vu les paysans se moquer sur son passage ; qu'on me dise si cela serait possible dans une autre région de la France que la Haute-Soule, non loin des refuges où vivent les ours et les vautours ?... Et si l'on songe que la pastorale religieuse est ici organisée par les socialistes de la région, on croit rêver ! 



Cette pièce religieuse contient d'ailleurs des Satans. 



Drôles de personnages que ces Satans ! Imaginez deux gaillards — ils sont parfois quatre  ! — qui sont vêtus de tuniques rouges brodées d'or, et qui tiennent à la main un fouet ou un crochet, du modèle exact, entre parenthèses, de ceux qui furent employés pour les mystères de 1547. 




cheraute autrefois
PASTORALE DE CHERAUTE 1927
PAYS BASQUE D'ANTAN

En ce coutume, ils dansent les sauts basques, l'arin-arin et le bralia des fêtes comiques, et ils remplissent toutes les fonctions : courriers, quêteurs et meneurs en enfer. Qu'un mauvais chrétien, qu'un condamné succombe, et hop! à coups de fouet, à pointes de fourche, ils l'emmèneront tète baissée dans le Métro des âmes. Une preuve de plus, si elle était nécessaire, de l'étrange parenté du mystère et de la pastorale basque... 



La déclamation va durer huit heures, et pas un instant nous ne nous ennuierons. Pas un personnage, à vrai dire, ne parle sans marcher, et sitôt qu'il a été se rasseoir, il se tait. Ce va-et-vient continuel n'est pas lassant, il est étourdissant de mouvement et de vie naïve. 



Napoléon se lève, va dire violemment quatre vers sous le nez de l'empereur d'Autriche, qui saute comme un démon, et se rassied. 



Un autre se lève, et la psalmodie reprend, toujours pareille, mais la conviction des acteurs n'est jamais en défaut. 



On ne mange pas, on ne boit surtout pas, ce qui est admirable ; le silence partout...



Des visages tendus crispent leurs maxillaires droits sous des bérets. Ce soir, à cinq heures passées, il n'y aura pas un ivrogne, pas un chant, pas un cri... 



Des oiseaux tissent dans le ciel des dessins invisibles sur fond bleu. 



De temps en temps, il se passe un événement grave. 



Le coupable est exécuté d'un coup de sabre, appuyé en coulisse, d'un coup de fusil. L'usage est, au théâtre basque, que tout coup de sabre qui tue quelqu'un produise au même moment une explosion.



C'est alors qu'interviennent les petites femmes de chambre. Elles se tiennent devant la porte des Satans.



soule autrefois
DANSE DES SATANS TARDETS
PAYS BASQUE D'ANTAN

Que quelqu'un meure, en effet, qu'il reçoive un "coup de sabre explosif", et croit-on qu'il doive se coucher sur les planches, pour "gâter la toilette", comme on dit dans le Midi ?... Non, non, on lui apporte, un oreiller s'il faut mettre un genou en terre ; un drap complet s'il s'agit de mourir tout entier. Il attend, et il ne se couche qu'une fois le drap placé sous lui. Aussi, dans le théâtre basque, lorsqu'on a "le genou sur l'oreiller", est-on en mauvaise posture... Joséphine y reste une heure à gémir ; Napoléon, d'une voix puissante et pure, y fera ses adieux. Et loin d'être ridicule, le spectacle est si émouvant que l'on oublie l'oreiller, pour n'entendre que les sanglots de la flûte, la voix tremblante de l'homme agenouillé, et que la foule en a les larmes aux yeux... 


Le beau théâtre que celui-là; empoignant, solide et naïf ! Sans doute, les batailles y sont des ballets, et les vieux airs français s'adaptent drôlement au fracas de ces combats. 



Comment a-t-on pu attribuer l'origine de ce théâtre à la cour de Pau, où Marguerite d'Angoulême jouait de gracieux enfantillages, cette Marguerite que Rabelais appelait "esprit abstrait, ravy et estatic ?"Tout ici, au contraire, montre l'origine populaire, et Georges Hérelle a bien raison : les mystères du moyen âge se jouent encore, mais un petit nombre de fois par siècle, à Chéraute et dans la verte vallée de Mauléon.



Deux grands dangers les menacent. D'abord les élégances de Paris qui, si elles veulent s'y intéresser, les déformeront en leur apportant de l'argent. 



Mais le second danger viendra du peuple lui-même. Il est triste que certains Basques, au retour du service militaire, aient été tentés d'employer dans les pastorales des costumes loués a Bordeaux. Ils croient faire mieux, éclairer le spectacle de luxe et de fantaisie, et ils le changent en une parade stupide. 



Hélas ! je songeais, tandis que j'étais perché sur l'estrade, au milieu des Satans, je songeais que le cinéma n'était pas loin, que le chemin de fer était là, qui conduit a la ville, que des automobiles passaient sur la route, et qu'on jouait à Mauléon Des fleurs pour sa gosse, drame vécu... 



Combien de temps résisteront les âmes pastorales ? Je ne sais, et je me courbais avec la mélancolie du regret sur ces ors et ces bleus purs, dansant parmi les tendres feuillages, sur cette rude arène de dos tendus et de bérets au bord des yeux, sur cette communion de la foule et du récitant, heureux de voir ce spectacle, plus heureux, peut-être, d'être un des derniers à l'avoir vu..."






(Source : http://pastorala.erakusketa.bilketa.eus/index.php/fr)






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