UN HOMMAGE À MAURICE RAVEL EN 1930.
Joseph Maurice Ravel (de son nom de baptême) est un compositeur français, mondialement connu, en particulier pour son oeuvre "Boléro", né à Ciboure le 7 mars 1875 et mort à Paris le 8 décembre 1937.
RAVEL ET DONGAITZ CIBOURE 24 AOÛT 1930 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un hommage fut rendu à Maurice Ravel à Ciboure, sa commune de naissance , le
24 août 1930.
Voici ce que rapporta La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, dans son édition
du 25 Août 1930 :
"L’Hommage à Ravel.
A la maison de Ciboure. Le festival du Palais.
Par l'empressement de toute la population à y prendre part, les fêtes en l'honneur de Maurice Ravel ont pris hier, une ampleur et une solennité qui ont dû réjouir le cœur de M. Mapou qui en fut l'initiateur, et on peut dire le créateur.
CHARLES MAPOU MAIRE DECIBOURE EN 1930 PAYS BASQUE D'ANTAN |
En avance sur l'horaire prévu, a été inaugurée un peu avant onze heures, la plaque commémorant la naissance de Maurice Ravel, dans la maison à façade hollandaise qui était une des curiosités de la rue du Quai. M. Mapou a fait en quelques mots, la remise de la plaque à la ville de Ciboure. M. Duhau y répond par des remerciements au nom de la commune. Cette cérémonie très courte s'était déroulée hors de la présence de Maurice Ravel qui avait voulu, sans doute, se dérober aux ovations dont il aurait été l’objet.
MAISON DE MAURICE RAVEL A CIBOURE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Immédiatement après la place est envahie par une foule compacte qu’avaient attirée et la fête que l’on célébrait, et l'attrait de la partie de pelote organisée en l'honneur de Maurice Ravel par le grande et fin joueur de pelote qu'est Léon Dongaïtz.
Dans la masse des invités nous discernons à grand'peine, tant la foule est dense autour de MM. Maurice Ravel, Mapou et Claude Farrère, M. Lissar, député des Basses-Pyrénées, M. Duhau, maire de Ciboure, M. Lardizahal, M. Bessclère, le colonel et Mme Guibert, Docteur Dotezac, Mme Ducoureau-Petit, M. l'abbé Recalde, curé de Ciboure, Mme Masson, Messieurs Massou et MM. Justin Claverie, adjoint, et Magne, conseiller municipal de St-Jean-de-Luz, M. Adrien Otlet, les peintres Arrué et Labrouche, MM. Alexis Gelos, Charles Larre, Arragon, Letamendia, Dussouilh, et beaucoup d'autres personnalités qu’il nous est impossible de citer.
Mais voici les bérets rouges de l'"Alegera" qui prête son gracieux concours à la fête. Grave et puissant le Guernikako Arbola prélude aux réjouissances; l'assistance debout, écoute dans un silence recueilli.
Puis M. Duhau, maire de Ciboure, prononce une allocution que la distance ne nous permet pas d'entendre, mais sur laquelle nous reviendrons.
M. Mapou se lève à son tour et face à Maurice Ravel, le héros de la fête, il prononce d’une voix nette et bien timbrée un substantiel discours. Nombreux sont les concours qui l’ont aidé dans la lourde tâche d’organiser les multiples détails de cette journée de fête. Avant de les remercier de leur dévouement, il salue Maurice Ravel et rappelle qu’il est né rue du Quai, rue qui portera désormais le nom de quai Maurice Ravel dont il rappellera la gloire.
Le distingué président du Comité des fêtes de Ciboure exprime sa reconnaissance au Conseil Municipal, au Comité des Fêtes. Il témoigne ses regrets de l’absence de Camille Jullian retenu par la maladie et prie Claude Farrère de lui remettre une médaille Commémorative hommage de la commission des Fêtes.
M. Mapou qui ne veut oublier personne de ceux qui lui ont prêté un concours dévoué, se félicite de la présence de Claude Farrère, l’illustre auteur de la "Bataille", de" l'Homme qui assassina" et de tant d’autres œuvres puissantes. Il remercie Mme Petit de Meurville, propriétaire de la maison où naquit Maurice Ravel pour l’empressement qu’elle a mis à permettre la pose de la plaque Commémorative. Les remerciements vont aussi à la presse locale et régionale, à la Presse Parisienne, à la Presse musicale espagnole qui ont annoncé sympathiquement les fêtes qui se préparaient et complimente Nin, le grand artiste musicien et compositeur.
Il témoigne sa reconnaissance aux artistes qui prêtent leur gracieux concours au concert du soir, et pour chacun d’eux il a un mot de délicat éloge.
Après avoir présenté les excuses de M. Henri Pâté qu’une indisposition retient à Paris, il salue le Docteur Lissar , député des Basses-Pyrénées et prononce un éloge bien senti du grand joueur de pelote Léon Dongaïtz qui a bien voulu organiser la partie qui se jouera dans quelques instants. Puis après avoir témoigné publiquement sa reconnaissance à Gabriel Astruc pour l’aide qu'il lui a prêtée, M. Mapou présente ses hommages à L.L. A.A. les Infants d’Espagne et les remercie d'avoir honoré la cérémonie de leur présence.
Il n’oublie pas l’Alegera dont les chants remarquables contribuent à rehausser l’éclat de la fête.
D’unanimes applaudissements saluent la fin du discours du Président du Comité des Fêtes de Ciboure.
A tous les remerciements qu'il a prodigués aux autres, nous ajouterons les éloges qui sont bien dus à M. Mapou lui-même pour l'organisation de cette belle journée, dont l’éclat, en auréolant le nom du grand Musicien français qu’est Maurice Ravel, rejaillit sur la coquette ville de Ciboure dans laquelle il vit le jour, et qui en ressent une juste fierté.
Nous ne pouvons donner les détails de la belle partie de pelote à mains nues qui terminait les réjouissances de la matinée. Dongaïtz père et fils avaient comme adversaires Haïtce et Titi.
RAVEL ET LES FRERES DONGAÏTZ CIBOURE 1930 PAYS BASQUE D'ANTAN |
La lutte fut acharnée. Les buts foudroyants ou qui plaçaient la balle dans des endroits où elle était très difficile à relever furent nombreux et soulevèrent l’enthousiasme des spectateurs. Des points interminables démontrèrent l'agilité, la souplesse, et la vigueur des adversaires. Mais le grand Léon s’affirma toujours le maître incontesté, joueur puissant quand il le faut, joueur de fête et stratège incomparable toujours.
Un soleil radieux par moment, légèrement voilé parfois favorisa cette belle joute qui se termina par la victoire de Dongaïtz père et fils par 40 points à 37.
Disons pour être complet, que la Plaque fixée au fronton de la maison natale de Ravel porte l’inscription suivante : "Dans cette maison est né Maurice Ravel, le 7 Mars 1875."
Parmi les assistants à cette cérémonie nous avons remarqué MM. Claude Farrère, Mapou, Duhau, maire de Ciboure, Jacques Thihaud, Gaubert, Mmes Grey et Lamballe, M. Nin, le capitaine de Gendarmerie, etc... "
LE FESTIVAL au Palais de Biarritz.
FESTIVAL MAURICE RAVEL BIARRITZ 24 AOÛT 1930 PAYS BASQUE 'D'ANTAN |
Quelle merveilleuse soirée nous eûmes hier dans la salle Impériale de l'hôtel du Palais. Je n’avais pas vu encore cette salle de concert : elle possède une acoustique étonnamment claire et égale. Elle est décorée de sujets tranquilles et qui ne distraient pas du son. La lumière est composée pour les blondes, comme tout le Palais.
Dans ce joli cadre, trois cents personnes se pressaient, attentives et muettes pour la première fois. D'ailleurs, rien d'étonnant : le programme composé d’une élite de musiciens réunis pour célébrer le génie de Maurice Ravel, est de ceux devant le prix desquels Paris même s'essouffle. Il était nécessaire que cela fut un effort de la belle amitié qui lie ces artistes l'un à l’autre et que la cause fut le soin des œuvres régionales d’assistance et le monument aux morts de Ciboure.
Maurice Ravel construit sa musique. C'est de la cérébralité pure et il semble se défier de l'inspiration autant que s’en défie Paul Valéry. C’est M. Teste tourné vers une réalisation : "Si pur de toutes duperies et de toutes merveilles ! si dur ! Mon propre enthousiasme me le gâte !"
Maurice Ravel est plus doué qu’inspiré. Il connaît la musique comme un géomètre les nombres et pose des problèmes compliqués dont il trouve ensuite infailliblement la solution. Il n'y a jamais d'attendrissement dont l’intensité ne soit pesée, d'enthousiasme dont la valeur ne soit mesurée par rapport au découragement qui suit ; et en démontant les œuvres de Ravel, on pourrait les définir par plusieurs formules, assurément riches et compliquées, mais portant toutes un cachet de fini par opposition à cet infini qu’est le plus souvent la musique.
Au reste, quelle adresse ! Les deux fragments de "Ma mère l’Oye" qui ouvraient la séance, présentés au piano à quatre mains — le piano se prête admirablement à la dissection de la musique — sont dans la première formule de M. Ravel. Et, ce qu’ils exposent, c’est la merveilleuse imagination enfantine qui rêve grand. La pompe de l’hôtel du Palais disparaissait devant cette évocation de "Laideronnette, impératrice des Pagodes", où une foule vêtue d'or circule entre des montagnes de jade, des palais extraordinaires et l’exotisme, très loin du genre bazar qu’invente un enfant sur le mince sujet de l'image qui décore une boîte de tapioca.
Le "Jardin féerique" qui suivait, était, au contraire, grave et triste, un peu dans la teinte de la "Pavane pour une infante défunte". Soir, roses noires modulations simples, chant confus et brisé... Triste appareil qui accompagne la venue de l'âge de raison, tous le reconnaissaient.
Ravel qui, au moyen de ses dons, sait tout suggérer fournit à notre propre imagination le thème de la sienne et tourne une lanterne magique où nous nous reconnaissons. Je dis magique : c’est scientifique que j’aimerais dire.
Les Chansons Madécasses furent supérieurement chantées par Madeleine Grey, musicienne intelligente et fine à la superbe allure. Elle fut cette Nahandove farouche, fière, animale. Elle a une voix si belle, si travaillée qu’elle n'a plus à s’en occuper ni à nous prouver ses dons de cantatrice. Elle est toute dévouée à la musique.
Dans ces chansons, dont les paroles madécasses sont d’un exotisme discutable. c'est Ravel qui est le vrai Madécasse et qui dans son orchestration curieuse de piano, flûte et violoncelle a su vous donner cette impression d’instruments accordés sur des modes différents des nôtres et procédant par quart et huitième de tons. Cela fut amusant de voir sous le masque du flûtiste, notre grand Philippe Gaubert, habitué à diriger un orchestre de cent musiciens et les orages wagnériens à l'Opéra et à la Société des Concerts. Au reste, le masque ne le couvrait guère et nous sûmes avec émotion qu'il savait obéir à un chef et qu’il avait du talent comme flûtiste ! Quand voudra-t-il, compositeur probe, donner au Pays Basque d'entendre ses charmantes mélodies sur les poèmes de Paul Fort, son lamento pour violoncelle, etc. !
Près de lui, M. Barouk, jeune et adroit violoncelliste, se jouait de la difficile partition des chansons madécasses (au fond, il n'y a que Ravel qui, au piano, en parut un peu gêné).
Ensuite vint "le Tombeau de Couperin", où triomphe la parfaite technique de Robert Casadesus. Son jeu parfait, sa sonorité pure, la grande science qu'il a de l'instrument, en firent un merveilleux interprète de l’œuvre charmante.
La première partie "Jeux d'eau", c’est le jardin de Versailles, clair et frais, avec toutes les fontaines lancées, "Promenade en do mineur dans une allée ensoleillée". Une modulation amène à un bassin, à une clairière. Un peu plus loin, une autre est rencontrée qui semble aussi close, aussi unique que la première. Mais vient une petite échappée de ciel, l’horizon d'une allée, et vous trouvez encore une eau chantante qui sourt d’un bronze... De modulation en modulation, de boulingrin en boulingrin se déroule la merveille. Et elle continuerait si vous ne vous lassiez pas le premier car le motif de la fin qui s’élève et cesse, sans retomber, ne dit pas la fin du jeu d’eau, mais de votre attention.
La "Forlane, la "Toccata" sont plus couperiniennes. Elles exposent, l’une que rien ne tient bien fort sur la terre, ni cette petite danse gracieuse et triste, ni cette tombe florale, et l’autre, peut-être que la tombe du génie n'est jamais close et que montent toujours de sa profondeur des éléments de vie éternelle.
Madeleine Grey chanta ensuite des mélodies hébraïques, avec une telle foi, une telle compréhension du texte sacré qu'on se demande si elle n’a pas déjà chanté ce Kadisk dans les siècles anciens avec le Kol Nidré ordonné par les rites. Maurice Ravel lui-même semble à ce moment avoir été rejoint pat l’inspiration qu’il repoussait, la cohésion, l'homogénéité du texte de la musique, du compositeur, de l'interprète fit, de ce moment, le plus délicieux de la soirée. Rappelée; Madeleine Grey chanta encore avec une verve canaille "Oh ! la pitoyable aventure" et avec émotion un air de "l'Enfant et les Sortilèges".
Lucienne Lamballe dansa ensuite avec beaucoup de grâce et de charme "Alborada del Garcioso" et "Rigaudon", jouée par Mlle Mordant. Elle y montra de grandes qualités techniques de danseuse et elle acquerra bientôt cette aisance et cette volonté qui manquent à sa prime jeunesse.
LUCIENNE LAMBALLE PAYS BASQUE D'ANTAN |
J. Thibaud et M. Ravel jouèrent alors la sonate pour piano et violon qui est la dernière œuvre du maître. Il s’y montra complètement renouvelé, en avant des plus audacieux compositeurs d’a vant-garde, avec sa perpétuelle polytonie, sa volonté d’opposer perpétuellement la sécheresse du piano au bel canto du violon, et son rythme impitoyable, du "blues" au "mouvement perpétuel". C’est une sonate, disons, métallurgique, une usine avec des machines tournant chacune dans son rythme. (Ce côté comique des machines qui fait souvent une machine de deux tonnes accoucher d’un bouton était même sous-entendu, car Ravel a de l’esprit.)
Jacques Thibaud, violoniste merveilleux, à la sonorité riche et ardente, a mis tout son talent dans cette exécution difficile. On a pu reconnaître sa probité, sa modestie — et son magnifique violon sensible et chantant comme les pierres touchées par Orphée.
Nous remercions spécialement J. Thibaud d’avoir bien voulu apprendre rapidement pour nous l’œuvre nouveau-née du maître dont il nous donne ainsi la primeur.
La soirée fut un triomphe. Tout Biarritz intellectuel et aristocratique était là. Claude Farrère profilait son visage souriant sur toutes les tentures. Mme Hirigoyen avait autant de perles au sourire qu’au cou. M. Hirigoyen, M. Duhau et M. Garat oubliaient un instant leur gravité officielle dans la musique. Philippe Gaubert, après s’être amusé à être flûtiste, s’amusait à être public.
CLAUDE FARRERE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les deux choses ne lui arrivent qu’en vacances.
Les jeunes filles ne parlaient pas trop fort et semblaient être presque aussi heureuses qu’au dancing.
Un souper dansant réunit ensuite dans la grande rotonde de l’hôtel du Palais le public élégant et probablement affamé, du concert : neuf heures et demie à Biarritz représentent sept heures et demie à Paris et il est certain qu’on n’a guère le temps de dîner auparavant.
Grande réussite pour l’organisation de ce concert qui fait honneur à M. Mapou et qui a certainement atteint le but souhaité de l’art, de l’intérêt passionné du public et de l’efficace secours aux œuvres d’assistance régionales."
(Source : WIKIPEDIA)
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