L'ÉMIGRATION BASQUE EN 1914.
Des centaines de milliers de Basques, du Nord et du Sud, ont émigré, partout dans le monde, et en particulier de l'autre côté de l'Atlantique, pendant des décennies, depuis 1830 environ.
EMIGRATION BASQUE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Depuis le début de mon blog, en novembre 2016, j'ai publié plusieurs articles sur l'émigration
Basque, comme par exemple : les Messageries Maritimes, les agents d'émigration en 1900,
l'émigration Basque en 1857, l'émigration Basque en Argentine en 1911, les Basques en
Amérique du Nord et du Sud en 1928 ou la réussite des Basques en Amérique en 1907.
Voici ce que rapporta la presse, en particulier La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-
Luz, dans son édition du 11 janvier 1914 :
"Le passé et l’avenir de l’émigration Basque.
Les Emigrants Basques.
Parmi les grands mouvements migrateurs qui entraînent les éléments de la vieille Europe vers les pays nouveaux de l'Amérique, comme mûs par une force instinctive vers l'Ouest, celui des Basques français se recommande a l'attention. Cependant, jusqu’à ce jour, les pouvoirs publics l'ont considéré avec une certaine indifférence. S’ils ne l’ont pas encouragé, ils ne l’ont pas non plus contrarié et n'en ont pas dressé le bilan des profits et des pertes. A relever le chiffre de ces dernières, la conviction s'établit que l'indifférence à l'égard de celte émigration constitue une faiblesse, un préjudice aux intérêts de nos compatriotes, et par suite à ceux de la métropole.
Cette attirance de nos Basques vers l'Argentine, l'Uruguay, le Chili, est née du spectacle des grosses fortunes que leurs consanguins, les Basques-Espagnols, retirèrent de leurs établissements américains. Pendant longtemps, la course de corsaires qui convenait à leur tempérament de contrebandiers dans les événements de la guerre de la Succession d'Espagne, dans celle de Sept ans, dans les campagnes de la Révolution et du Premier Empire, leur fut une occasion de réaliser de brillantes opérations aux dépens des galions qui rentraient chargés des richesses occidentales. Alors d'intrépides marins qui arboraient le pavillon rouge et noir de Saint-Jean-de-Luz, les Harismendy, Larréguy, Berindoague, Dufourcq, Pellot, Destebetcho, Hiriart, Larague, Etchebaster, jetèrent l'effroi et la désolation dans tous les ports de la côte cantabre. Dans les périodes de paix, les Basques français eurent l'idée de s’associer aux expéditions espagnoles. Plusieurs réussirent et revinrent avec des fortunes qui semblaient fabuleuses. Il n’en fallut pas davantage pour déterminer le courant d’expatriation.
EMIGRATION BASQUE AU CHILI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Jusqu’en 1830, ce mouvement se manifesta par des cas isolés. Dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, avec le développement de la marine marchande, il prit de l'ampleur jusqu'à donner l’impression d’un exode presque général, de 1875 à 1885. Entre temps, les agences d’émigration s’étaient entremises pour activer le mouvement. A ce jeu qui n’est pas soumis à un contrôle suffisant, elles ont fait et elles font encore d’excellentes affaires.
Ces agences, internationales par essence, sont à l'affût des dispositions financières que les Etats américains votent sur leur budget pour le service d’immigration. Les plus pauvres font les plus gros bénéfices.
AGENCE D'EMIGRATION COLSON PAYS BASQUE D'ANTAN |
Actuellement, le Canada tient la tête du mouvement, et il s'y emploie avec une certaine correction. De 1898 à 1908, il a consacré à ce chapitre une somme de 6 millions 799 832 dollars, sur lesquels 2 500 432 dollars ont été affectés à l'installation intérieure des immigrés : concessions, chemins, services publics, etc... Le reste a été employé à l’extérieur, c'est-à-dire en frais de réclames dans les journaux et brochures, en subventions aux Sociétés maritimes et surtout en remises aux agents rabatteurs. Ces remises sont ainsi calculées : 3 dollars pour chaque émigrant, 2 dollars pour chaque émigrante, 1 dollar pour chaque enfant.
Le "Dominion" fait état de ses recettes.
Dans cette même période décennale, il a reçu 502 264 immigrants, dont 377 800 provenaient d'Angleterre et du pays de Galles : 94 279 d'Ecosse et 30 184 d’Irlande. Le reste de la contribution européenne a été de 17 079 Allemands ; 14 119 Suédois ; 12 408 Français ; 9 909 Finlandais ; 65 509 Ruthènes de Galicie et de Hongrie ; 48 340 Italiens ; 40 347 Israélites de Pologne, Russie et Roumanie ; 28 106 Russes orthodoxes et Polonais catholiques, et 10 113 Roumains.
Cette immigration a ses scrupules : à la station d’Ellis-lsland, près de New-York, elle fait un tri à l'arrivée et n'accepte que les individus absolument sains, ayant une avance d’argent, un livret justificatif de métier. Le reste est rejeté : "undesired".
EMIGRATION ELLIS ISLAND NEW-YORK PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les Etats du Sud ne s’embarrassent pas de ces formes. Ils ont pris et ils prennent tout ce que leur envoie le râteau des agences travaillant dans les centres populeux. A l'entrée. les portes sont grandes ouvertes. La susceptibilité américaine ne surveille que les retours. Ainsi l'Argentine a fait le compte qu'en 1901, 126 000 arrivants avaient correspondu à 80 000 sortants. C’était beaucoup. Aussi elle a porté son attention à ce que ces chiffres se corrigent et elle est arrivée, en 1910, à ce que 289 000 arrivants correspondait à 98 000 sorties. L'accentuation de cet écart est une indication de bénéfice.
Au Pays Basque, les effets de la poussée américaine ont passé depuis cinquante an par deux phases. De 1875 à 1890. les agents d'émigration pratiquèrent les levées en masse. Des villages entiers furent vidés de leurs populations qu’enlevaient, moins les promesses, que la contagion et la folie du départ. Il suffisait de donner son nom à l'agent rabatteur et on était engagé. L’Agence se chargeait des formalités. Au jour dit, les voitures arrivaient et organisaient l'exode qui s'effectuait nuitamment, comme une mauvaise besogne. Pendant deux ou trois kilomètres, jusqu’au tournant voisin, jusqu'au pied de la côte, ceux qui restaient, faisaient la conduite à ceux qui partaient, et ensuite les cris échangés retardaient encore la séparation définitive. Dans celte période de quinze ans, 60 000 Basques français sont partis de cette manière. Ces grandes opérations ont dû changer de terrain. Maintenant l'émigration s'est régularisée, par petits paquets, les 3 et 22 de chaque mois, de préférence dans l'hiver. A ces dates, les trains qui descendent de Mauléon ou de St-Jean-Pied-de-Port sont bondés pour correspondre aux départs des 5 et 25 sur Bordeaux ou La Palice. Les bazars qui vendent la petite valise de toile où l'émigrant met son "baluchon" réalisent d’excellentes affaires. Le nombre de ces départs oscille entre 3 000 et 5 000 chaque année.
NAVIRE DE L'EMIGRATION PAYS BASQUE D'ANTAN |
D'une façon générale, les Etats de l'Amérique du Sud ne se chargent plus des frais du voyage. Soit de suite, soit à tempérament, les émigrants ont à les payer. Des gens de métier obtiennent de temps à autre des réductions sur les paquebots. Mais c'est l'exception.
L'émigrant sans avances s'abouche ici avec un des nombreux agents d'émigration qui tiennent état des offres et des demandes. Au client qui ne connaît que le travail de la terre, l'agent, sans hésiter, signe une feuille de route pour l’Argentine, après lui avoir soumis un contrat en bonne et due forme, aux termes duquel il sera tenu de rembourser les avances qu’il recevra, les frais de voyage, par un prélèvement sur son premier salaire. Il ne tarde pas à être embarqué. A bord, il est un peu mieux que le bétail, mais s’il se débrouille, le cambusier améliorera son régime. Sitôt débarqué, un correspondant de l'agence vient prendre sa livraison et le dirige sur un hôtel où, sans manquer du nécessaire il attend les embaucheurs. Celui qui devient son patron se fera caution de sa dette.
EMIGRATION BASQUE EN ARGENTINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cet embauchage est également pratiqué au Colorado et au Canada. Ces deux Etats font une sélection parmi les immigrés. En revanche, l’argent n’y perd pas au change. Le dollar fait même prime, tandis que le "peso" ne donne pas la moitié de sa valeur.
Si l'émigrant a quelques ressources, si sa famille, pour se débarrasser de lui, vend une paire de bœufs ou consent une hypothèque, s’il possède quelque instruction, l’agent l’envoie au Chili, muni d’une lettre de recommandation qui le fera entrer provisoirement dans une grande maison, où il sera reçu au pair. Cette maison lui procurera un emploi. Pendant que l’Argentine est toute agriculture, le Chili est tout commerce. Le jeune homme qui travaille arrive rapidement à être intéressé aux bénéfices de la maison. Pour le moment, le Chili est le pays immigrateur de choix. Les Basques s’y sont fait une place.
EMIGRATION BASQUE AU CHILI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Par ces procédés et cet entraînement, l’émigration a enlevé depuis cinquante ans, aux deux arrondissements de Bayonne et de Mauléon, un chiffre de 150 000 sujets français basques. C’est à peu près l’équivalent, de la population restée au pays natal. On avait espéré au début que ce prélèvement serait compensé par la natalité de la race. Les familles qui élevaient huit, dix, douze enfants étaient, il y a quelque temps, très fréquentes ; mais les tableaux démographiques tendent à donner un nombre de décès se rapprochant de plus en plus de celui des naissances. Les maisons qui tombent ne se relèvent pas ; des champs reviennent en friches. Ce sont là de fâcheuses indications de dégénérescence.
Les Profits.
A ne considérer que les apparences, l’émigration basque américaine serait un bien. I.e pays de Ramuntcho a de l’originalité et du caractère ; il est un de ceux dont s'enorgueillit avec raison la province française. On a déclaré que les vallées et les plaines arrosées par les Nives se classaient parmi les plus belles du monde. Au milieu de la verdure et des frondaisons, les maisons blanches et spacieuses, les cultures, les troupeaux, tout y révèle sinon la richesse, du moins l'aisance. Dans la moindre commune, il y a toujours quelque résidence qui donne l'impression de la première. L'émigration a contribué à cet état de choses.
BERGERS BASQUES PAYS BASQUE D'ANTAN |
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