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lundi 29 janvier 2018

LA RÉUSSITE DES BASQUES EN AMÉRIQUE EN 1907


LA RÉUSSITE DES BASQUES EN AMÉRIQUE DU NORD ET DU SUD EN 1907.


Parmi les centaines de milliers de Basques ayant émigré de par le monde, certains d'entre eux ont réussi de façon exceptionnelle.


emigration basque autrefois
PIERRE LURO
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que racontait à ce sujet le journal La France, dans son édition du 2 octobre 1907 :


"On se plait à dire que notre race ne possède pas l'esprit de colonisation. C’est d’ailleurs une erreur, en dépit des apparences. Sans doute on est fondé à professer quelque pessimisme quand on considère l'envahissement de la France par la main-d’œuvre étrangère ; et l'impossibilité de mettre en valeur nos colonies avec un peuplement purement français. Il n'en reste pas moins cependant que l’audace et l’initiative de notre race ne sont nullement épuisées et que l'esprit d'aventures et de conquêtes qui anima les fondateurs de nos colonies n’est pas davantage aboli. 


On ne peut que s’en convaincre à visiter nos colonnes. Là, se trouvent, en effet, d’ardents foyers de belles et vaillantes énergies. Et ces centres d’émigration ne sont pas, quoi qu’on dise, si difficiles à rencontrer. Ils attestent tout au moins que la volonté et le don de l’action ne dépendent point de conditions favorables ni de circonstances heureuses. mais qu’ils s’affirment au contraire par les obstacles à vaincre lorsqu’ils ne naissent pas purement et simplement à leur contact.

 

Ces foyers d’émigration sont parfois très éloignés des ports d’embarquement et des frontières maritimes. Ainsi, par exemple, dans la seule région du Sud-Est, on en rencontrera dans les Hautes et Basses-Alpes, dans l'une et l’autre Savoie, mais peu ou point dans le Var ou les Alpes-Maritimes. 


Savions-nous, notamment. qu’une multitude de petits pâtres descendus des gorges profondes des Pyrénées occidentales, s’en allaient, chaque année tenter fortune en Californie dans l’Uruguay, dans la République Argentine, au Canada ? 


Ce courant ne date pas d'hier. Il y a là un vieux sillage traditionnel depuis longtemps dessiné. Et le type du pionnier de la pampa, celui dont Indiens et gauchos gardent le plus vivant souvenir, fut Pierre Luro, originaire de Gamarthe, en basse Navarre. 




argentine autrefois
PIERRE LURO
PAYS BASQUE D'ANTAN


Après ses premiers débuts dans un "saladero", Luro achète, avec ses économies, 200 hectares de terre, dans la grande prairie et un petit troupeau. Les soins de son champ et de ses brebis ne suffisent pas à son activité. Alors, par manière de passe-temps, il plante des arbres.


Derrière la haie vive, un riche propriétaire voisin l'observe. On cause, et l'opulent "vecino", pris d'amitié pour cet actif et ardent jeune homme, lui propose de planter aussi des arbres dans son "estancia" à lui, à raison de 1 fr. par arbre à la fin du bail. Mais le terme venu, une telle quantité d'arbres recouvrent le champ que leur valeur est supérieure à celle du terrain, et le riche "vecino" aime mieux abandonner à Luro les 7 500 hectares qu'il vient de boiser, plutôt que de lui payer ses arbres.


Devenu grand propriétaire, Pierre Luro rassemble alors autour de lui une équipe de Basques et de gauchos. Quand le travail des champs est raflé par ces travailleurs d'élite, maître de maison et ouvriers partent à cheval pour la prairie indienne : ils font des "contre-razzias" chez leurs sauvages voisins et reviennent poussant devant eux le bétail conquis.



emigration basque autrefois
MME LURO ET DEUX DE SES NEVEUX
PAYS BASQUE D'ANTAN

Chemin faisant, Luro, toujours au guet, note les terres favorables, les points de la côte qui se prêteront mieux au débouché des moussons. Aussi quand le gouvernement, vingt ans plus tard, mettra en vente des millions d'hectares dans la pampa, Luro se hâtera d'acheter, dans les parages qu'il connait, 500 000 hectares, soit 200 lieues de terrain à 2 000 francs la lieue. Or, aujourd'hui, une seule de ces 200 lieues, restées en la possession de la famille Luro, vaut les 400 000 francs que l'intelligent acheteur paya, en 1879 pour la totalité.


Suivant les besoins. Luro se fait contrebandier, chasseur de la prairie, ingénieur et constructeur. Un jour, conduisant par la pampa, avec quelques Basques, cinq mille têtes de bétail, il est attaqué par les Indiens, qui lui enlèvent son troupeau et lui tuent plusieurs hommes. Il se sauve comme par miracle. 


Les marchandises qu’il fait venir de Buenos-Ayres lui coûtent fort cher. Il va à la capitale, achète des vaisseaux, les charge de denrées et, rasant les côtes, remontant les fleuves, les passe en contrebande, aborde à un de ses hangars du littoral. Pour débarquer son chargement il lui faut un wharf : qu'à cela ne tienne. Il remplit de pierres un long vieux bateau, le noie à demi, et le wharf est construit. 


Les fils de ce Basque-gaucho ont tous occupé des situations importantes. L’aîné a été président de la Chambre des députés de la province de Buenos-Ayres; le second, gouverneur de la pampa, que son père avait conquise ; le troisième est député et président de la commission des finances : les plus jeunes dirigent les affaires de la famille. 


Depuis le départ de Pierre Luro, cela s’est su au pays. Et l’émigration basque s’est affirmée, qui n’offre aucun des caractères de l’émigration italienne ou juive. 


L’émigration basque a pour principal caractère l’esprit d’initiative et de grande entreprise. Parti de sa vallée, avec l’intention presque toujours arrêtée d’y revenir et de dégager, après fortune faite, le bien ancestral hypothéqué fort souvent, il substitue immédiatement à "l’influence modératrice du sage maître de maison", au "respect des usages ancestraux", à la "crainte de compromettre le bien de famille" qui retenaient ou atténuaient ses tendances naturelles les qualités de hardiesse et d’ingéniosité qui ne se peuvent développer dans de médiocres emplois. 


Parmi les innombrables formes d’activité où s'est exercé le génie inventif des Basques, la grande industrie, l’élevage et la culture dans la pampa sont celles qui lui ont le mieux réussi, parce qu’elles lui offraient ces largeurs de champ et d’horizon et comme ce "souffle de désert" dont se nourrit l’esprit d’initiative.


Mais, comment le petit apprenti, ignorant la langue, ignorant les mœurs, ignorant la comptabilité, parviendra-t-il à diriger un jour une grosse maison de commerce ? Généralement il devra sa fortune à ses qualités de travail et d'honnêteté d’abord, mais surtout, peut-être, aux façons qu’aura son esprit initiateur de se faire jour dans les affaires.

 

Récemment, un Souletin, M. Céré, prévoyant qu’avec le développement de l'agriculture, il se produirait une énorme demande de sacs pour ensacher les graines et les céréales, monte aussitôt cette industrie. Il commence par faire coudre les sacs à la main ; peu à peu, il perfectionne ses moyens et en arrive à construire une grande usine qui occupe aujourd’hui un millier d’ouvriers et produit journellement deux cent cinquante mille sacs. 


Un Labourdin, M. Sansinena, à l’affût de récentes expériences tentées vers 1882, par des industriels français, substitue la viande congelée à la viande salée et tue l’énorme industrie des "saladeros".


Un autre Basque, de Hasparen, est le premier à produire du vin dans l’Uruguay : il emprunte quelques ceps de vigne à un autre émigré d’Irouléguy et développe son vignoble qui produit aujourd'hui quatre à cinq mille barriques de vin. 


Un Bayonnais, M. Ribes, organise un superbe service de navigation sur le Parana et l’Uruguay. Entré petit commis dans une borgne compagnie de navigation, il voit péricliter les affaires, mais il a ses idées : il se fait écouter des gros bonnets, indique les réformes à faire, et au bout de quelques années, relève la compagnie. Celle-ci, jugeant pouvoir se passer désormais des conseils d'un employé, le congédie.


Ribes ne désarme pas : il a quelques économies auxquelles s'ajoutent celles d'un Basque ami ; il achète un modeste vapeur et commence la lutte. Il s'attache deux Anglais ouvriers mécaniciens, nomme l'un capitaine du bateau et crée avec l'autre un chantier de réparations et de constructions. Les bénéfices qu'il obtient avec ce premier vapeur lui permettent d'en faire venir un second, puis un troisième d'Angleterre : il en arrive successivement d'autres comme on n'en a pas encore vu dans le pays et, quinze ans après, Ribes se rend maître de la Compagnie qui l'avait si mal récompensé jadis.


Dès ce moment, il fait construire des bateaux qui sont de véritables villes flottantes pour le transport des voyageurs ; il va même jusqu'à prendre à bail, en Angleterre, un chantier pour lui, où il construit des bateaux à son idée et selon sa conception, ce qu'il ne peut obtenir des constructeurs anglais.


Il arrive à posséder une flotte estimée 20 ou 25 millions ; il eut, avant de mourir la joie de voir mouiller les eaux de la Plata son dernier vapeur "Paris", lequel est considéré, encore aujourd'hui, comme le plus beau et le plus luxueux de ceux qui naviguent sur ces fleuves.


Mais le triomphe industriel de l’émigration basque, consiste dans l'élevage du bétail et l’industrie de la salaison : Buenos-Ayres, Montevideo et les rives du Rio-Uruguay ont leurs "saladeros": partout, ou à peu près partout, les Basques en sont les propriétaires. Ils sont presque maîtres de cette industrie dont on peut juger l’importance si l’on sait, qu’un million de bœufs environ sont abattus et préparés, par an, par les différents "saladeros" du Rio de la Plata. 


Un Bayonnais est allé fonder un de ces établissements au Brésil, dans un endroit peu sûr, visité surtout par des bandits. Il monte son "saladero", pose 14 kilomètres de voie Decauville pour la manipulation des marchandises (ce que n'a encore fait aucun autre "saladero"), et, tout en même temps, il reçoit des remingtons pour se défendre, le cas échéant, contre les brigands. Huit mois après, son "saladero" est construit : ce moment coïncide avec la saison du travail : il abat quatre vingt mille bœufs. 


L’année suivante, un village de sept à huit cents habitants s'est formé où il n'y avait rien auparavant en dehors des chaloupes à vapeur et du matériel flottant nécessaires pour le service de vingt à vingt-cinq mille tonnes de marchandises manipulées dans le "saladero", dix ou douze embarcations font le service du passage de la rivière qui le sépare de l'Uruguay, lui avait dû utiliser d'autres moyens. 


Tels sont relevés  en passant, quelques exemples de ce qui nous reste, çà et là, d'incoercible d'énergie nationale. Que ne ferait point, du Maroc, par exemple, une race pareille s'il lui était donné de l'exploiter après l’avoir conquis ? 


Cette énergie, cet esprit d’aventure, cette volonté d'aboutir et de réussir, ce sont là des qualités bien françaises qui demeurent latentes dans l’âme de notre race. Il suffirait de les exciter, de les encourager quelque peu pour les voir se manifester au profit de la patrie, pour que, par elles, le nom Français rayonne de plus en plus sur le monde entier."




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