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mardi 23 janvier 2018

CHARIVARI BASQUE À SAINT-JEAN-DE-LUZ (DONIBANE LOHIZUNE) EN SEPTEMBRE 1923


UN CHARIVARI À SAINT-JEAN-DE-LUZ EN 1923.


Je vous ai déjá parlé des charivaris au Pays Basque, et des charivaris à Briscous, mais il y eut aussi des charivaris à Saint-Jean-de-Luz.


saint pee sur nivelle autrefois pays basque charivari
CHARIVARI ST PEE SUR NIVELLE - SENPERE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce qu'en raconta la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays Basque, dans son édition 

du 13 septembre 1923 :


"Le Basque.


Rien de plus curieux, de plus captivant, pour qui s’intéresse non seulement au pays basque, mais encore à l'histoire intellectuelle de la France, que ce que nous avens vu et entendu dimanche à Campos-Berri. En moins de deux heures, ces danses naïves, cette tenue hiératique des acteurs, cette musique mêlée d'airs populaires et de mélodies extrêmement intéressantes tant comme tonalité que comme rythme, ces farces truculentes cachant souvent un sens profond, ces improvisations balancées et fraîches d’aèdes montagnards, tout cela nous a fait remonter aux origines même des peuples d'Europe, à travers tout le Moyen-Âge ! Et comme je les plains ces jeunes gens, ce groupe de jeunes filles qui ne se décidèrent pas à demeurer jusqu’à la fin du spectacle, sous prétexte de monotonie ! Certes, il est difficile, délicat, de saisir la différence des mesures, les nuances entre les divers sauts basques, le mythe renfermé dans les gestes ainsi que dans un coffret ancien; cela demande une attention plus avertie, un sens artistique plus aiguisé, que pour connaître un Blues d'un Tango ! Mais quelle satisfaction intime, quel plaisir pour qui peut démêler dans la trame innombrable de cette fête, tout ce qu'elle contient d'art vrai, de tradition vénérable !


Le cortège !


- Parti vers 16 heures, de la Place Louis XIV, il se déroula, dansant et coloré, à travers la ville pour amener les artistes à Campos-Berri. Les "cachcarots", - héritiers directs de ces hérauts moyenâgeux qui précédaient les Cortèges de seigneurs et de chevaliers, pour leur frayer un passage et prévenir la foule, - dansèrent tout au long du chemin, le pas classique, plein de grâce et de digne lenteur, qui convenait à la gravité de MM. les Juges fermant la marche. N'est-ce-point, en même temps, que du XIVe siècle, une réminiscence de ces danses sacrées des lévites devant l'Arche, des guerriers de Pyrrhos dans la Pyrrhique ?




saint jean de luz 1923 pays basque charivari
PLACE LOUIS XIV ST JEAN DE LUZ - DONIBANE LOHIZUNE 1923
PAYS BASQUE D'ANTAN


Au milieu d'une foule énorme encombrant les gradins et pelouses de Campos-Berri, la théorie des danseurs et chanteurs pénétra dans le Fronton. Un soleil éclatant faisait miroiter les glaces des casques, étinceler les ors, les grelots et les boutons des pantalons; sur les chemises blanches comme neige, les bijoux précieux, les vieilles chaînes d'or des aïeules, les broches d'or des fiancées, les épingles d'or encore des soeurs, toutes ces parures des grands jours, là-bas, sur la montagne, jetaient mille feux pétillants ; et c'étaient, sur ces plastrons de chemise, tout le passé et tout le présent, les souvenirs des vieux déjà disparus, les joyaux transmis de génération en génération, l'orgueil des mariées de demain. Qu'il y en avait de curieux parmi ces bijoux parmi ces bijoux aux formes archaïques, aux dessins naïfs ou précieux !


Les juges.

- Ils portent la robe noire et le bonnet. A vrai dire, il n'y a qu'un Juge. Les deux autres magistrats sont l'Avocat et le Procureur qui discuteront presque sans arrêt, les frasques de cet Huissier qui est vraiment un homme bien encombrant, bien gênant, amusant pour la galerie certes, mais exaspérant pour le Tribunal et la Police.


Evidemment, il a tort cet Huissier de renverser la chaise de M. le Juge, de culbuter M. le Procureur, de jouer mille mauvais tours aux gendarmes, de les bousculer , de leur échapper, de les mettre sur les dents !...Mais les gendarmes, le Procureur, le Juge, ne sont-ils pas les ennemis nés du Pays Basque lui-même un peu contrebandier, amateur de pêche sans permis et de chasse en tous temps ? Alors ?...Les spectateurs basques ne s'y trompent pas. Cet Huissier qui tape sur Képis et Bonnets, les venge tous un peu ; on l'applaudit, on l'encourage, on lui prête assistance, on le cache, et, quand il est pris, on le plaint. Satire de l'autorité, évidemment ; manifestation d'un esprit volontiers frondeur, soit. Je me laisse aller à penser à Rabelais, à Marot, à la satire Ménippée !



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PLAGE ST JEAN DE LUZ - DONIBANE LOHIZUNE 1923
PAYS BASQUE D'ANTAN


Cet huissier ne tardera pas d'ailleurs à abuser de son succès auprès de la foule, de son agilité, de son esprit inventif, de l'indulgence du public. Il traverse les cordons de danseurs, ridiculise leur pas, ne respecte pas l'ordre traditionnel de la fête. Et puis, on se souvient qu'il a parfois servi ce Tribunal qu'il bafoue aujourd'hui. Il est venu en terre basque, saisir de pauvres gens, faire vendre leur champ, ruiner des familles; il a été l'instrument de ces mêmes gendarmes, douaniers, procureurs, agents du fisc qui les traquent. Tant pis pour lui! Ses facéties ont cessé de plaire ; la faveur du public l'abandonne, on l'applaudit au coup de fusil qui l'abat !



Curieuse manifestation de l'esprit basque que cette aventure de l'Huissier. Curieux détail à noter que celui-ci : tandis que poètes, danseurs, cachcarots, etc...parlent toujours basque, les gendarmes et agents de la police ne se servent que de la langue française. En avaient-ils besoin, les basques, de ces gendarmes, de douaniers inventés par le gouvernement de Paris ? La tradition affirme que les anciens, il y a trois ou quatre siècles, assurèrent que non.


Les Poètes.


- Ils étaient deux ; l'un plus jeune, l'autre plus âgé; tous deux portant la blouse noire aux plis larges des vieux basques, et le petit béret ; tous deux laissant, sous leurs paupières plissées, pétiller leurs petits yeux gris tour à tour profonds, railleurs, malicieux ou spirituels. Deux médailles antiques, ces deux poètes au profil net, au menton volontaire, au front haut et bombé plein d'images, d'idées et de pensées, au sourire fin mais loyal.



Le public basque leur fit un succès considérable ; ils le méritaient par la richesse de leur imagination, le coloris de leur style, le charme de leurs couplets, l’harmonie de leur langue. Ils sont connus d’ailleurs et réputés les meilleurs aides, de Baïgorry jusqu’à Saint-Michel. Pour ceux qui n’entendent pas le basque, ce fut un régal de suivre sur les visages des auditeurs, les mille expressions diverses provoquées par ces improvisations. 




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CASINO ST JEAN DE LUZ -DONIBANE LOHIZUNE 1923
PAYS BASQUE D'ANTAN

La langue basque se prête merveilleusement à la versification à cause des inversions que lui permet sa syntaxe. Ces inversions aboutissent à des variantes de désinences qui facilitent la venue du vers Tout basque donc d'imagination, possédant bien sa langue, ayant un peu d’esprit de répartie et de couleur dans son langage, pourra devenir une sorte de barde qui chantera tout ce qui, dans les événements du jour, frappera ses compatriotes. 



N’est-il pas tout naturel de voir, dans les deux poètes que nous applaudîmes dimanche, les successeurs, les héritiers directs et probablement uniques actuellement, de nos jongleurs, trouvères et troubadours du Moyen-Âge, des aèdes de la Grèce héroïque ! 


Les danseurs.


— Ils furent admirables d'adresse, de précision, de gravité sereine, d'agilité et de résistance. Un auteur fort documenté, écrit : "La riche organisation des montagnards basques, comprimée plutôt qu’épuisée par les travaux agricoles les plus fatigants, ne connaît guère la réparation des  forces par le repos; elle a besoin de mouvement, elle se retrempe dans le mouvement libre. Leur travail accompli, les basques trouvent leur plaisir dans la danse et le jeu de pelote. C’est d’eux que Boileau écrivait en 1659 : "Un enfant y sçait danser avant que de sçavoir appeler son papa  ni sa nourrice". Rien de grossier ni de raffiné non plus, dans la danse basque. L’air en est vif et entraînant. On n’y voit point de mélange des sexes, ni, chez l'homme, des poses contraires à sa dignité. C’est vraiment "un délassement sain". 



Les danseurs de Bidarray nous ont prouvé, dimanche, que cela était bien exact : ils nous ont démontré aussi tout ce que ces danses anciennes contenaient d'art subtil et pur de tout alliage moderne. 



J'aurais beaucoup à dire encore; il faut se borner. Et cependant comment ne pas vous avouer encore que, devant les femmes du cortège de Bidarray, j’ai pensé aux Vierges sages et aux Vierges Folles. 


Qu’il me soit permis, en terminant, de féliciter le Syndicat des Fêtes de Saint-Jean-de-Luz, de son initiative. Puisons dans le trésor de la tradition basque : il y a encore des merveilles à faire connaître. Je sais que le Syndicat y est décidé." 










Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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