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lundi 5 février 2018

LA DANSE DES ÉPÉES À SAINT-JEAN-DE-LUZ (DONIBANE LOHIZUNE) EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN AOÛT 1897


LA DANSE DES ÉPÉES À SAINT-JEAN-DE-LUZ EN AOÛT 1897.


En 1897, les fêtes de la tradition Basque se déroulent à Saint-Jean-de-Luz.


saint jean de luz 1897
FÊTES TRADITION BASQUE ST JEAN DE LUZ 1897
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que racontait le Figaro, sous la plume de Pierre Loti, dans son édition du 30 août 1897 :

"La danse des épées.

Saint-Jean-de-Luz, 17 août. 


Sous le soleil de midi, la partie de paume allait s'achever. Au milieu de l'immense place, au sol de ciment gris aplani soigneusement pour que les balles y puissent bien rebondir, les six champions ruisselaient de sueur ; dans la détente de leurs bras, dans le jeu encore puissant de leurs muscles, dans leurs sauts encore agiles, on sentait la fatigue et la hâte d'arriver à la fin. 




saint jean de luz pays basque autrefois pelote
JEU DE PAUME ST JEAN DE LUZ - DONIBANE LOHIZUNE
PAYS BASQUE D'ANTAN

D'ailleurs elle n'intéressait plus, cette partie de paume, tant elle était inégale ; le résultat n'en laissait plus aucun doute, tant l'un des camps avait distancé l'autre. Et je cessais de suivre les joueurs, — tandis que machinalement mes yeux éblouis de soleil relisaient une inscription tracée à la chaux blanche sur ce mur arrondi du fond, où les balles venaient frapper avec des claquements secs. 



Viva Euskual Herria ! disait l'inscription, en grandes lettres gauchement tracées. (Vive la patrie basque !) Oeuvre de quelque passant fanatique du sol natal, de quelque enfant peut-être, voici qu'elle prenait pour moi une importance dominante : en ces mots d'une sonorité un peu étrange ; en ce cri de rébellion un peu sauvage contre le nivellement général, se résumait pour moi tout ce qui restait de vraiment basque ici, à cette heure, dans ce Saint-Jean-de-Luz de jour en jour plus défloré. 



saint jean de luz 1892
FÊTES DE LA TRADITION BASQUE ST JEAN DE LUZ 1892
PAYS BASQUE D'ANTAN

Quand on habite depuis longtemps la mourante Euskual-Herria, on en a tant vu partout, on en a tant joué, des parties de paume, qu'elles ont presque perdu le pouvoir de donner à l'imagination la note locale. Et aujourd'hui du reste — jour de grande fête dans une ville en train de devenir, hélas ! station de bains quelconque — ces gradins qui bordent la place étaient garnis d'une foule cosmopolite, à l'aspect navrant de banalité. 



Mais voici qu'arriva une troupe de paysans singuliers, tous pareillement vêtus. Et les Basques qui étaient là les accueillirent par des petits cris de gaie bienvenue : You ! you ! you ! auxquels ces visiteurs, en souriant, répondirent, à la mode de chez eux, par des cris semblables : You ! you ! you ! — avec de ces voix flûtées d'oiseau, comme s'en font, pendant les danses, les Peaux-Rouges de certaines tribus du Nord. 



Pantalons noirs, bérets noirs ; blouses noires à mille plis, très courtes, finissant au-dessus des reins ; figures entièrement rasées, expressions naïves, regards des vieux temps... C'étaient des "Souletins", danseurs délégués qui, pour prendre part aux fêtes, arrivaient de cette vieille contrée de la Soule, aux traditions encore immuables. Et leur musique les accompagnait : un tambourin, avec une sorte de grande flûte de Pan ayant forme de carquois. 



En leur présence, la partie s'acheva. Et, dès que le crieur, de sa voix traînante, eut annoncé en langue basque le dernier point, avant que la foule se fût levée, l'organisateur des fêtes pria ces Souletins de danser. 



pays basque 1900
PLACE JEU DE PAUME ST JEAN DE LUZ - DONIBANE LOHIZUNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Alors on vit le vieillard qui jouait la flûte de Pan s'avancer au milieu de la place, et les danseurs, une trentaine environ, former autour de lui un large cercle, sans se tenir la main. Au son d'un tout petit turlutu, mystérieux et comme venu de très loin, qui sortit de cette énorme flûte archaïque, les hommes commencèrent de se mouvoir gravement eh cadence... On entendit bien çà et là quelques rires bêtes s'échapper de dessous des chapeaux élégants, mais la majorité du public, même des plus vulgaires touristes, était conquise et s'intéressait. Un silence se fit autour de cette danse presque silencieuse, tandis que les espadrilles légères des Souletins effleuraient sans bruit le sol de la place. L'Esprit des âges passés venait de s'éveiller encore une fois au son de la flûte, communiquant aux délicats un frisson inattendu, et imposant aux plus grossiers une sorte de respect quand même... 



Réguliers comme des automates, les Souletins exécutaient des pas compliqués, et rapides, sur un rythme triste. Par instants, un saut nerveux les élevait de terre, tous ensemble ; alors leurs petites blouses plissées, bizarrement courtes, s'éployaient sous leurs bras comme des jupes de ballerine, — et ils étaient si légers qu'on ne les entendait pas retomber. Malgré l'empressement de leurs pieds alertes, leurs visages demeuraient impassibles, naïvement graves. Toujours le vieux flûtiste tenait le centre du cercle, leur jouant sa grêle musique, ayant l'air de les mener par quelque sorcellerie ancienne... Et le soleil de midi faisait toutes courtes, presque nulles, les ombres de ces bonshommes noirs qui dansaient en rond sur l'asphalte gris. 



L'Angélus du milieu du jour commençait de sonner— car, Dieu merci, l'Angélus sonne encore aux vénérables clochers de ce pays — quand, la séance finie, le public se répandit dans les rues de Saint-Jean-de-Luz. 



Pour quatre heures était annoncée une danse d'antiquité millénaire (la danse des épées, par de jeunes montagnards de Guipuscoa), et il fallait, en attendant, déjeuner dans l'encombrement d'un hôtel, parmi des touristes de toute classe ; puis, errer d'une manière quelconque dans la ville en fête, où résonnaient çà et là des musiques basques, de tambourins et de fifres. 



Saint-Jean-de-Luz - conserve encore quelques recoins charmants, quelques tranquilles et honnêtes petites rues, empreintes, du cachet local :  toits débordants ; façades peintes à la chaux, où s'entrecroisent des poutres vertes ou rouges; grands arbres passant par-dessus des clôtures de jardin ; échappées de vue sur la mer bleue ou les Pyrénées brunes ; paix et silence, entre des murs blancs, sur un pavage de galets marins... Mais l'horreur des constructions modernes va se multipliant chaque jour. Pas un bout de plage, pas une gentille colline que ne déshonore à présent quelque grande bâtisse coûteuse, conçue par des rastaquouères extravagants, par des snobs en délire... Quand ce serait si simple, mon Dieu, pour ne pas défigurer ce pays, de bâtir des maisons basques, comme certains rares artistes ont eu le bon goût de le faire !... Hélas ! hélas ! qui nous sauvera de la pacotille moderne, du faux luxe, de l'uniformité et des imbéciles !... 



saint jean de luz autrefois
DANSEURS ST JEAN DE LUZ - DONIBANE LOHIZUNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



euskal herria lehen
DANSEURS SOULETINS
PAYS BASQUE D'ANTAN

Sous les arbres d'une place, devant certain café établi dans une ex-demeure royale du dix-septième siècle, je m'étais assis pour attendre, regardant passer des bicyclistes et des bicyclistes ; des femmes aux têtes emplumées, — des femmes qui étaient de toutes les nationalités et de tous les mondes, mais qui avaient copié les unes sur les autres, avec un complet dédain du type spécial à chacune, leurs accoutrements sans style ni raison. C'est un des bienfaits du siècle que, dans une ville balnéaire, il soit impossible de dire à première vue si l'on se trouve à Ostende, à Trouville ou encore à Saint-Sébastien. 




Elle était bien perdue, la note étrange que, le matin, ces danseurs m'avaient donnée. Un effort était même nécessaire pour se rappeler que dans ces montagnes, aperçues au loin, existent encore les débris d'un peuple tenace qui garde, avec l'énigme de sa provenance, la foi, les traditions et le langage des ancêtres. Cependant, deux guitaristes s'approchèrent, un vieil homme aveugle et une jeune fille, arrivés de l'Espagne voisine pour quêter des sous pendant les fêtes. Et, dès que se fit entendre leur petite musique sourde, presque éteinte par le bruit du vent qui soufflait de la mer et par la confuse fumeur de la ville, un voile commença de tomber, de tomber sur toutes les trivialités modernes. Ils jouaient une "malaguénia" très ancienne. L'une des guitares faisait le chant, et c'était un chant d'Arabie, comme une plainte épandue sur des plaines désertes. L'autre accompagnait en petites notes brèves et tremblotantes, qui imitaient le bruissement des sauterelles dans les solitudes où le soleil brûle. Et cela disait les tristesses des âmes d'autrefois, en Andalousie, à l'heure des midis accablants, au temps des Maures... Dans l'indéfinissable de la musique, dans le mystère des rythmes, se conservera pendant des siècles encore, malgré l'universelle fusion des hommes et des choses, ce qui fut le génie particulier des races... 




pays basque autrefois
BASQUAISE ESPAGNOLE AVEC GUITARE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Au coup de quatre heures enfin, les jeunes montagnards de Guipuscoa, venus pour danser la danse des épées, apparurent dans la cour du couvent des Frères, où la foule avait depuis longtemps pris place à l'ombre des arbres, sur quelques centaines de chaises. L'un tenait un immense étendard de soie, les autres, des épées nues. Indifférents et graves, comme ce matin leurs frères de la Soule, ils montèrent sur l'estrade qu'on leur avait préparée. 



Coiffés du béret rouge, en bras de chemise, tous, et sans cravate à la mode basque, en pantalon blanc et le gilet ou vert, ils portaient sur les mollets de traditionnels ornements de cuir : des lanières garnies de grelots qui, tout à l'heure, d'un bruit un peu sauvage, accompagneraient la danse. 



Elle ressemblait bien à un théâtre de foire, leur estrade enguirlandée, — malgré un je ne sais quoi de plus honnête cependant et de plus naïf. Il faudrait donc, pour les regarder et les comprendre, faire abstraction de cela, — abstraction aussi de la foule moderne et de mille petits détails ridicules, et, d'une façon générale, de toutes les choses ambiantes. 




Eux-mêmes d'ailleurs semblaient ne pas s'en préoccuper, de cette foule. Et la veille, ils avaient répondu, paraît-il, au directeur d'un casino des environs qui voulait les enrôler pour une soirée : "Non. Nous sommes des Basques qui dansons en plein air, devant d'autres Basques, les danses de notre pays pour en prolonger la tradition. Mais nous ne sommes pas des gens que l'on paye pour qu'ils se donnent en spectacle." Grands, découplés et forts, ils avaient l'air aussi à l'aise devant ce public de baigneurs que là-bas, dans leurs villages, quand il s'agit de danser entre soi, le dimanche, sur la place de l'église. 


D'abord ils s'agenouillèrent ensemble, le front incliné vers la terre, pour un salut superbe à leur étendard ; celui qui le portait, à genoux aussi au milieu du groupe maintenant immobile, se mit à brandir longuement la hampe, avec des gestes d'une plastique admirable, de façon à faire voler, comme de grandes ailes agitées, les plis de la soie au-dessus des têtes. 




Puis, ils se relevèrent, nobles d'attitudes, et la danse commença, au son d'une sorte de marche belliqueuse, jouée par un fifre et un tambourin. Le pas était compliqué singulièrement, avec, de temps à autre, des bonds d'une vigueur prodigieuse qui faisaient tinter les grelots et claquer, le long des mollets, les lanières de cuir. Il y avait de grands coups portés en cadence, avec des parades vives, des heurts simultanés de toutes les épées, de bruyants cliquetis d'acier. Et cela faisait songer à quelque scène de l'antiquité, à quelqu'une de ces pyrrhiques guerrières auxquelles se complaisaient les jeunes hommes de la Grèce... 



Sur cette même estrade, bien d'autres danses suivirent, toutes très anciennes, quelques-unes remontant à des époques incalculables, tant ce peuple est de vieille origine. Il y eut aussi l'antique pastorale d'Abraham, qui fut jouée là par "les jeunes garçons de la commune de Barcus" — et où figurent, à côté du patriarche, les anges, les démons, voire Chodorlahomor, roi de Sodome. 




PAYS BASQUE AVANT
PASTORALE ABRAHAM
PAYS BASQUE D'ANTAN

Ensuite, la nuit venue, on recommença sur la place publique, sans tréteaux cette fois et au milieu de la foule, la danse des épées, plus noblement barbare aux lanternes et sous la lune qu'à la lumière du jour. Puis enfin un immense fandango entraîna tout le monde, filles et garçons, dans une même griserie de mouvement et d'alerte joie. 



Ainsi, depuis une semaine, se succèdent à Saint-Jean-de-Luz ces fêtes de la Tradition basque : toutes les danses de jadis, toutes les sortes de jeux de paume ; des improvisations par des bergers inspirés, des concours de ces étranges cris de gaieté qui s'appellent Irrintzina et qui font frémir ; des chants, des hymnes sacrés dans les églises... Et les exécutants de toutes ces choses portent des noms tels que ceux-ci, pris au hasard, dont les consonances semblent venir des plus primitives époques : Agestaran, Lizarraga, Imbil, Olaïz et Héguiaphal...



Cela se passe, il est vrai, dans un décor de plus en plus quelconque, devant des assemblées où les béotiens dominent, et c'est si dépaysé, hélas ! que par instants cela semble lamentable au milieu des ineptes sourires. 



Mais, malgré tout, combien il est touchant, combien il est digne d'intérêt et de respect, l'effort de conservation, ou de religieux retour vers le passé, que ces fêtes représentent !"







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