L'IRRINTZINA EN 1909.
L'Irrintzina est le cri des bergers Basques ou Pyrénéens imitant le hennissement du cheval.
Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue pour Tous, dans son édition du 1er août 1909, sous la
plume de Xavier de Cardeillac :
"L'Irrintzina.
Certains prétendent que Pierre Loti n’a pu pénétrer jusqu’au fond cette âme basque, plus fermée qu’aucune autre. Cependant je témoignerai qu'il ne se contente pas d’envisager à fleur de peau ces physionomies impassibles ; pour mieux étudier les mœurs de ses contrebandiers, par exemple, c’est de jour pendant leurs parties de pelote, et de nuit pendant leurs expéditions mystérieuses, qu’il a voulu vivre leur vie.
PIERRE LOTI PELOTARI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Oui, un soir sans lune, il partit avec ses amis les pelotaris, à travers les sentiers de chèvre de la montagne et, au risque de recevoir une balle d’un carabinero peu artiste, portant un ballot sur l’épaule il fit, lui aussi, la contrebande.
Et de cette expédition, unique sans doute, avec une moisson d’impressions pittoresques, il rapporta et il conserve, comme un symbole de son ascension périlleuse, le douro d'argent qu’il gagna à la sueur de ses épaules et au risque de sa peau. Aussi, aime-t-il à vous confesser, en parodiant le grand jour du sabre de M. Prud’homme : "Cet écu de cinq pesetas est le plus beau soir de ma vie."
C’est au retour de cette équipée littéraire que Pierre Loti entendit, en traversant la Bidassoa, ses camarades, hors de l’atteinte des douaniers d'Espagne, pousser leur irrintzina :
"Un cri s’élève suraigu, terrifiant ; il remplit le vide et s’en va déchirer les lointains... Il est parti de ces notes très hautes, qui n’appartiennent d'ordinaire qu’aux femmes, mais avec quelque chose de rauque et de puissant qui indique plutôt le mâle sauvage ; il a le mordant de la voix des chacals et il garde quand même on ne sait quoi d’humain qui fait davantage frémir ; on attend avec une sorte d'angoisse qu'il finisse, et il est long, long, il oppresse par son inexplicable longueur...Il avait commencé comme un haut bramement d'agonie, et voici qu’il s’achève et s'éteint en une sorte de rire sinistrement burlesque comme le rire des fous...
Et c’est simplement l'irrintzina, le grand cri basque qui s’est transmis avec fidélité du fond de l’abîme des âges jusqu’aux hommes de nos jours, et qui constitue l’une des étrangetés de cette race aux origines enveloppées de mystère. Cela ressemble au cri d’appel de certaines tribus Peaux-Rouges, dans les forêts des Amériques ; la nuit, cela donne la notion et l’insondable effroi des temps primitifs, quand, au milieu des solitudes du vieux monde, hurlaient dès hommes au gosier de singe."
C'est en plein jour que j’entendis sur la Bidassoa un premier irrintzina. Mon batelier habituel de Fontarabie, Casimiro, l’ami des pelotaris et des contrebandiers, est le plus grand, le plus fort et le plus noble d’allures peut-être de tous les Basques de l’Estuaire. Trop fier pour vouloir se donner en spectacle, même à moi seul et entre le fond de sa barque et le plein ciel, il m’adressa à son beau-père, Grégorio, grand buveur de cidre et grand bavard en plusieurs langues. C’est le pousseur d'irrintzina, le plus dans la note, de tout Fontarabie. Ce cri des ancêtres préhistoriques, qu’ils se sont transmis, de voix en voix, à travers tant de générations, les Basques n’aiment pas à le proférer devant des étrangers railleurs. On dirait d'une épave pieusement conservée d'anciens rites abolis. Mais enfin, Grégorio voulut bien reconnaître en moi le fidèle et presque un concitoyen de Fontarabie et, la promesse aidant d’une visite en bande à la cidrerie réputée de la Gloria, il sentit tomber ses derniers scrupules. A terre, nous aurions fait scandale, sur l'eau, c’était profit double pour Grégorio, batelier et crieur et, pour mes oreilles, milieu plus approprié et plus dans le ton. Quand notre barque eut dépassé le Mac-Mahon, ce stationnaire espagnol ancré dans la Bidassoa, excité sans doute par le mauvais souvenir des longs jours passés sur les vaisseaux du roi Alphonse, Grégorio choisit ce moment pour pousser une suite d'irrintzinas de défi. J’entendis, moi aussi, ces notes très hautes avec le rauque et la puissance du sauvage, ce bramement d’agonie s’éteignant en un rire fou. Mais avant de laisser perdre sa voix dans une cascade d'éclats de rire, Grégorio accentuait ses cris répétés du début par un point d'orgue plus strident encore.
PASSEUR FONTARRABIE GUPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
NAVIRE MAC-MAHON FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
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