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mercredi 22 janvier 2020

L'IRRINTZINA AU PAYS BASQUE EN 1909


L'IRRINTZINA EN 1909.


L'Irrintzina est le cri des bergers Basques ou Pyrénéens imitant le hennissement du cheval.


soule pays basque autrefois
FONTAINE D'AHUSQUY ASSURUCQ 1909
PAYS BASQUE D'ANTAN




Ce cri est aussi vieux que la nuit des temps.



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue pour Tous, dans son édition du 1er août 1909, sous la 

plume de Xavier de Cardeillac :



"L'Irrintzina.




Certains prétendent que Pierre Loti n’a pu pénétrer jusqu’au fond cette âme basque, plus fermée qu’aucune autre. Cependant je témoignerai qu'il ne se contente pas d’envisager à fleur de peau ces physionomies impassibles ; pour mieux étudier les mœurs de ses contrebandiers, par exemple, c’est de jour pendant leurs parties de pelote, et de nuit pendant leurs expéditions mystérieuses, qu’il a voulu vivre leur vie.



ecrivain loti hendaye autrefois
PIERRE LOTI PELOTARI
PAYS BASQUE D'ANTAN



Oui, un soir sans lune, il partit avec ses amis les pelotaris, à travers les sentiers de chèvre de la montagne et, au risque de recevoir une balle d’un carabinero peu artiste, portant un ballot sur l’épaule il fit, lui aussi, la contrebande.




Et de cette expédition, unique sans doute, avec une moisson d’impressions pittoresques, il rapporta et il conserve, comme un symbole de son ascension périlleuse, le douro d'argent qu’il gagna à la sueur de ses épaules et au risque de sa peau. Aussi, aime-t-il à vous confesser, en parodiant le grand jour du sabre de M. Prud’homme : "Cet écu de cinq pesetas est le plus beau soir de ma vie."




C’est au retour de cette équipée littéraire que Pierre Loti entendit, en traversant la Bidassoa, ses camarades, hors de l’atteinte des douaniers d'Espagne, pousser leur irrintzina :


"Un cri s’élève suraigu, terrifiant ; il remplit le vide et s’en va déchirer les lointains... Il est parti de ces notes très hautes, qui n’appartiennent d'ordinaire qu’aux femmes, mais avec quelque chose de rauque et de puissant qui indique plutôt le mâle sauvage ; il a le mordant de la voix des chacals et il garde quand même on ne sait quoi d’humain qui fait davantage frémir ; on attend avec une sorte d'angoisse qu'il finisse, et il est long, long, il oppresse par son inexplicable longueur...Il avait commencé comme un haut bramement d'agonie, et voici qu’il s’achève et s'éteint en une sorte de rire sinistrement burlesque comme le rire des fous...


Et c’est simplement l'irrintzina, le grand cri basque qui s’est transmis avec fidélité du fond de l’abîme des âges jusqu’aux hommes de nos jours, et qui constitue l’une des étrangetés de cette race aux origines enveloppées de mystère. Cela ressemble au cri d’appel de certaines tribus Peaux-Rouges, dans les forêts des Amériques ; la nuit, cela donne la notion et l’insondable effroi des temps primitifs, quand, au milieu des solitudes du vieux monde, hurlaient dès hommes au gosier de singe."




C'est en plein jour que j’entendis sur la Bidassoa un premier irrintzina. Mon batelier habituel de Fontarabie, Casimiro, l’ami des pelotaris et des contrebandiers, est le plus grand, le plus fort et le plus noble d’allures peut-être de tous les Basques de l’Estuaire. Trop fier pour vouloir se donner en spectacle, même à moi seul et entre le fond de sa barque et le plein ciel, il m’adressa à son beau-père, Grégorio, grand buveur de cidre et grand bavard en plusieurs langues. C’est le pousseur d'irrintzina, le plus dans la note, de tout Fontarabie. Ce cri des ancêtres préhistoriques, qu’ils se sont transmis, de voix en voix, à travers tant de générations, les Basques n’aiment pas à le proférer devant des étrangers railleurs. On dirait d'une épave pieusement conservée d'anciens rites abolis. Mais enfin, Grégorio voulut bien reconnaître en moi le fidèle et presque un concitoyen de Fontarabie et, la promesse aidant d’une visite en bande à la cidrerie réputée de la Gloria, il sentit tomber ses derniers scrupules. A terre, nous aurions fait scandale, sur l'eau, c’était profit double pour Grégorio, batelier et crieur et, pour mes oreilles, milieu plus approprié et plus dans le ton. Quand notre barque eut dépassé le Mac-Mahon, ce stationnaire espagnol ancré dans la Bidassoa, excité sans doute par le mauvais souvenir des longs jours passés sur les vaisseaux du roi Alphonse, Grégorio choisit ce moment pour pousser une suite d'irrintzinas de défi. J’entendis, moi aussi, ces notes très hautes avec le rauque et la puissance du sauvage, ce bramement d’agonie s’éteignant en un rire fou. Mais avant de laisser perdre sa voix dans une cascade d'éclats de rire, Grégorio accentuait ses cris répétés du début par un point d'orgue plus strident encore.



guipuzcoa pais vasco antes bidassoa
PASSEUR FONTARRABIE GUPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




guipuzcoa pais vasco antes bidassoa barco
NAVIRE MAC-MAHON FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Au milieu, la plainte aiguë et précipitée s'élève encore plus déchirante et tombe dans un hululement de fantastique oiseau de nuit.




Les Basques, qui parlent toujours la langue de leurs ancêtres, les Ibères, ont hérité aussi de leur cri de guerre, l'irrintzina. Mais ce cri, déformé, se retrouve encore dans les régions celtibériennes du Nord et du Midi des Pyrénées. C’est le hénilhet des montagnes du Béarn. Dans les collèges d’Oloron et de Laressore, les jeunes Béarnais et les jeunes Basques font assaut entre eux de hénilhets et d'irrintzinas. Ce terme de hénilhet vient sans doute, en harmonie limitative, du hennissement des chevaux.




J’ai souvent entendu dans les Pyrénées de la Bigorre, à Arrens en Azun, un hénilhet qui reproduit celui du Béarn. L’éclat de rire final de l'irrintzina n’existe plus, et les cris précipités s’achèvent sur le point d’orgue de la plainte déchirante.




Les paysans des montagnes des Asturies conservent un cri d’appel ou de défi : l'ijuju. A l’inverse de ce que font les Béarnais et les Bigourdans qui n’en prirent que le commencement, les Asturiens crient la fin de l'irrintzina des Basques, ils débutent par où ceux-ci finissent : le point d’orgue strident qui s’achèvent en éclat de rire.




Est-il bien sûr que Jean Cottereau ait emprunté à la chouette ce cri de ralliement qu’il poussait, après que ses partisans s’étaient égaillés, et qui devait servir de nom à ses chouans ? Ce gourou des Celtes bretons ressemble beaucoup à l'ijuju des Celtibériens des Asturies. Les résiniers de la région forestière landaise s'interpellent encore, à grande distance, à travers les pins, par un hululement frère du houhou breton et de l'ijuju asturien.




Il y a une vingtaine d'années, je traversais, par une nuit obscure, ces interminables landes boisées qui, sur la route de Mugron à Mont-de-Marsan, vont du Leuy à Saint-Perdron. Pendant dix kilomètres, les pins se succèdent sans qu’une maison vienne y apporter un peu de vie. Il était minuit, et dans le noir sans étoiles, éclata soudain, sous l'épaisseur plus noire encore de la forêt, un cri lointain, sauvage, prolongé, de bête qu’on égorge. Devant cet inconnu, j’éprouvai le frisson de l'indéfinissable et je fouettai mon cheval. A présent je le devine : c’était un irrintzina ou un hénilhet landais — oublié aujourd'hui — que poussait un vieux berger, monté sur des échasses et gardant ses moutons."



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