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jeudi 9 janvier 2020

AUTOUR DE BAYONNE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1855 (troisième partie)


AUTOUR DE BAYONNE EN 1855.


Le Pays Basque en 1855 est une destination prisée par les premiers touristes aisés, qui peuvent venir de Paris à Bayonne en train.


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ST JEAN DE LUZ 1850
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette nationale ou le Moniteur universel, dans son édition 

du 20 mai 1855 :



"Autour de Bayonne




... Les royales fiancées, ce fut d’abord Rigunthe, fille de Frédégonde, qui allait régner sur les Visigoths ; Blanche de Castille, qui fut mère de saint Louis ; Blanche de France, que Pierre le Cruel fit étouffer entre deux matelas ; Anne d’Autriche, qui épousa Louis XIII ; Marie-Thérèse, reine de France sur le trône de Louis XIV. 




Peu soucieux des souvenirs de l’histoire, le voyageur, assis sur une pierre au bord du grand chemin, considère un autre spectacle : il voit venir au milieu de nuages de poussière une cohue de véhicules de toute espèce qui, laissant la route et prenant à droite, courent en tumulte, à travers les sables, vers un groupe de rochers, au bord de la mer. Cet autre cortège est celui des promeneurs qui vont à Biarritz




C’est jour de fête : coucous, pataches, omnibus, diligences, carrosses de toutes formes, vieilles calèches démantibulées, le petit char à bancs attelé du tout petit cheval des Landes, qui court la crinière haute avec la fougue du cheval de bataille, et le cacolet, qui va lentement, pede claudo, en balançant sa charge, tout cela est mis en réquisition ; tout cela marche, ou trotte, ou roule, ou galope sur le grand chemin, au milieu des rires, des cris de joie, des chants, des provocations de toute la jeunesse indigène, chez laquelle le rire est l’état normal. 




Cependant, et en sens contraire, sur le chemin de Saint-Jean-de-Luz, le voyageur entend de bien loin des cris perçants, des éclats de voix ; cela ressemblerait à une querelle, si des rires ne diminuaient le tumulte. 




Le bruit approche : voici venir un essaim de femmes assez mal vêtues, courant à la file sur les sentiers qui bordent les deux côtés du chemin. Elles vont pieds nus, leurs jupes, retroussées jusqu’au genou, laissent voir une jambe nerveuse, une vraie jambe de Basquaise. Elles sont toutes robustes, élancées, bien faites ; le bras gauche s’appuie sur la hanche, le bras droit maintient une large corbeille posée sur la tète, et dans laquelle sautillent encore les poissons pêchés le matin à Ciboure et à Saint-Jean-de-Luz. 



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CASCAROTS
PAYS BASQUE D'ANTAN

Cet escadron volant de maréieuses a fait six lieues, de Saint-Jean-de-Luz à Bayonne : à peine les bateaux de pêche étaient ils rentrés au port, qu'elles prenaient leur vol, et elles courent jusqu’à la ville sans prendre haleine. Arrivées à la première enceinte, elles songent bien, vraiment, à essuyer la sueur de leurs frottis, à laver leurs jambes, noircies par la poussière du chemin ! elles s’inquiètent bien de laisser retomber leurs jupes du genou plus bas !...Elles s’élancent et se divisent, s’éparpillent, se répandent dans toutes les rues, criant, hurlant, glapissant sur les notes les plus aiguës de la gamme : 


"Croumpa la loubine ! — Croumpa maquereou ! — Croumpa crabes

A l'anchois ! A l'anchois ! Adare arribat, fresc et délicat

Asi lous bets anchois touts bibots




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MARCHANDES DE SARDINES BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Puis, après la vente, et sans s’arrêter davantage, sans prendre à peine du repos, nos Basquaises se rejoignent à la porte d’Espagne et repartent à la file sur le chemin de Saint-Jean-de-Luz. 




Maintenant voyez, sur l’un des sentiers qui rejoignent la route, ce jeune homme et cette jeune fille, les bras enlacés, la tête inclinée vers le sol, causant à voix basse et ne s’occupant de rien de ce qui se passe autour d'eux. C'est le promis et la promise, le senargheï et l'esmastégheï, comme disent les Basques. 




Le jeune homme est beau, comme le sont tous les fils de ce beau peuple ; il est de taille moyenne, mais élancé et musculeux ; il porte la longue chevelure, comme l’ont portée ses ancêtres, fiers de cet attribut de la noblesse et des races antiques ; la ceinture de soie rouge serre sa taille au-dessous d’un gilet couvert de boutons ; à son cou est négligemment attachée une cravate dont les bouts flottent sur sa poitrine ; le col de sa chemise est ample et rabattu ; ses pieds portent, sans liens étroits, de légères sandales garnies de grelots. 


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JEUNE HOMME BASQUE 18EME SIECLE
PAYS BASQUE D'ANTAN


La jeune fille marche nu-pieds ; mais, en arrivant au village, elle secouera la poussière du chemin et chaussera de petits souliers de velours noir qu’elle porte à sa ceinture. Sa taille est mince, sa figure jolie, son regard spirituel ; sur sa tête est attaché un madras aux vives couleurs, ou mieux, un mouchoir de blanche mousseline, qui laisse voir deux bandeaux bien lisses de cheveux noirs, et dont la pointe flotte sur les épaules. 




C’est ainsi qu’on rencontrait, à une époque dont la légende ne donne pas la date, Laorens et Saubade, deux beaux enfants qui s’aimaient et qui s'étaient promis l'un à l'autre. Laorens était d'Ustaritz, l'ancien chef-lieu de la république labourdine, où se tenait jadis, autour d'un chêne vénéré, l'assemblée des anciens du peuple, le bilzaar. Son père était riche de cette richesse du pays, la plus estimée de toutes, qui consiste en beaux troupeaux, en terres bien cultivées. Saubade était l’enfant de modestes métayers de ce charmant village d’Anglet, qui court éparpillé sur la plaine de sable entre Bayonne et Biarritz. Dès qu’elle avait eu l’âge de raison, on l’avait envoyée à la ville avec un pauvre cheval et des cacolets, pour accroître, par quelques bénéfices quotidiens, les faibles ressources du ménage paternel. 




Chaque matin, levé avant le jour, Laorens venait d’Ustaritz attendre sa maïthagaria (la bien-aimée de son cœur) sur le chemin d’Anglet, et l'accompagnait jusqu’à la ville, pendant que Brillant, le lion cheval, les suivait tranquillement en portant ses cacolets. 




Chaque soir, après le travail de la journée dans les champs de son père, le jeune homme, à la suite du souper de la famille, prenait son bâton de néflier et s’élançait vers Anglet à travers champs. Laorens parcourait cette distance en courant, franchissant les haies et les murs de clôture. Dès qu'il avait atteint le territoire d'Anglet il s’arrêtait, respirait longuement, et faisait vibrer l'air d’un cri éclatant, semblable à celui que nous avons entendu auprès de Saint-Jean-Pied-de-Port, le matin de la chasse aux palombes. A ce signal un autre signal répondait, une lumière paraissait puis disparaissait à une métairie de la campagne, et le jeune homme, reprenant sa course, arrivait tout joyeux sous les fenêtres de Saubade. 




Combien de nuits se passèrent ainsi pendant lesquelles Laorens, hissé sur quelques pierres, échangea avec sa bien-aimée ces longues causeries qui, toujours les mêmes, sont toujours nouvelles ! Il repartait avant le jour, en courant, comme il était venu, et le matin, au soleil levé, son père le retrouvait aux champs, la main à la charrue, frais et dispos comme s'il n'eût pas quitté l'échaltea (le domaine). 




Laorens fut bientôt aux yeux de tous le senargheï le mari futur de la belle Basquaise ; mais le père de Laorens était riche, celui de Saubade était pauvre ; le riche cultivateur signifia à son fils qu’il s’opposerait à un mariage, et le métayer intima à sa fille la défense d’ouvrir sa fenêtre chaque soir. Le jeune homme n’alla plus le matin attendre sa bien-aimée sur le chemin d’Anglet, le soir, il ne fit plus retentir dans les airs le sinka amoureux, mais, en attendant qu'il put fléchir la rigueur paternelle, on le vit, à la chute du jour, errer sur le bord de la mer et vers ces dunes qui s’étendent entre l’embouchure de l’Adour et le phare de Biarritz




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LAORENS ET SAUBADE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Là s’ouvrait, au milieu d’un groupe isolé de rochers, une grotte que la mer envahissait dans les gros temps. La cacoletière passait près de là ; c'était le seul refuge où les deux pauvres enfants pussent se retrouver loin de la surveillance paternelle ; Laorens et Saubade y renouvelèrent avec Dieu seul pour témoin, en présence de l'immensité, au bruit de la vague se brisant à leurs pieds, le serment de mourir en s’aimant. 




Cette promesse fut, hélas ! bientôt tenue. Un jour, l’orage grondait sur le golfe, l’horizon était sombre, les barques rentraient précipitamment au port comme s’abattent vers leur retraite les colombes effrayées ; les goélands et les mouettes poussaient des cris sinistres en tournoyant au-dessus des roches ; la mer, soulevant ses montagnes liquides, faisait entendre au loin cette grande voix mystérieuse, précurseur de la tempête. 




Les deux amants, blottis au fond de la grotte, priaient Dieu de leur être favorable. Le jour baissait, les éclairs sillonnaient le ciel, la pluie tombait à torrents ; les pauvres enfants se croyaient loin du danger. Mais la mer, poussée par le vent du large, montait plus rapidement que de coutume, elle envahissait les sables, elle gagnait les roches, elle pénétrait dans la grotte et roulait les cailloux sur le sol. 




Bientôt une lame furieuse s'abattit avec bruit aux pieds des deux amants et les couvrit d’écume. De ce moment, la fuite n’était plus possible. Une seconde vague succéda à la première, puis vingt autres, et la grotte fut envahie. 




La mer monta ; les pauvres enfants luttèrent un instant ; leurs plaintes, leurs cris ne furent entendus de personne, et le lendemain, lorsqu’on accourut à leur recherche, on les trouva étroitement embrassés, et couchés sur le sol où la nier les avait doucement déposés en se retirant. 




On appela Chambre d'Amour cette grotte fatale qui fut le but de bien des pèlerinages amoureux. La vogue dure encore ; et du haut du phare de Biarritz, qui domine tout ce pays, le voyageur découvre aujourd'hui des guinguettes et des couples joyeux auprès de ce retrait, aux trois quarts englouti, qui a vu périr Saubade et Laorens."



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CÔTE DES BASQUES 1843
PAYS BASQUE D'ANTAN


A suivre...


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