LE PAYS BASQUE EN 1842.
Dans les années 1840, la barre de l'Adour est très dangereuse pour les bateaux entrant ou sortant de Bayonne.
BAYONNE 1835 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Constitutionnel, dans son édition du 26 novembre 1842,
sous la plume d'A. Germond de Lavigne :
"La Barre de l'Adour,
Saint-Jean-de-Luz.
Au-delà de la Porte-Marine, à l'extrémité de la place d'armes à Bayonne, s'étendent les allées marines, promenade enchantée qui suit l'Adour jusqu'auprès de la dune de Blanc-Pignon ; de là, on aperçoit les collines vertes et accidentées de la commune de Tarnos dans le département des Landes, vis-à-vis est le banc de Saint-Bernard que l'Adour laisse à découvert à marée basse, et les ruines d'un, ancien couvent de Bernardines dans lequel on entretenait encore il n'y a pas trois ans, un âne que les femmes stériles venaient invoquer et embrasser processionnellement. Ce joli village, échelonné sur un monticule de sable au-dessus de la rive droite, est le Bouçau habité par une colonie de pilotes et de pécheurs ; là, abordent fréquemment les couralins et les tilloles du port de Bayonne chargés de convives ; car le Boucau possède deux ou trois restaurateurs grandement estimés des gastronomes bayonnais.
Vis-à-vis, sur la rive gauche, sont les petites maisons rarement habitées du lazaret ; plus loin, à l'extrémité de la jetée, s'élève une tour des signaux qui communique avec les navires au large ; près de là une barre redoutable, placée en travers de l'embouchure, gronde tumultueusement et oppose au passage des navires des masses de sable que ne peut renverser le courant de l'Adour, et qui ne laissent que bien rarement à marée haute quelques pieds de profondeur. La barre de l'Adour est pour le commerce bayonnais un ennemi terrible, elle finira par le tuer ; le navire qu'elle saisit et qu'elle entraîne, est à l'instant désemparé, brisé, lancé à la côte et plus souvent encore englouti sans qu'il en reste de traces. Les plus habiles ingénieurs de France, Louis de Foix en 1579, MM. de Ferry et Vauban, un siècle après, M. de Touros en 1731, M. de Prony, sous l'empire, firent d'immenses travaux, dépensèrent des sommes énormes, pour aider le fleuve à combattre le terrible obstacle toujours victorieux, toujours invincible.
Aussi est-ce un magnifique spectacle que la sortie des bâtiments que le vent contraire, les caprices de l'Océan et les fureurs de la barre retiennent quelquefois un mois entier amarrés aux digues du Boucau ou mouillés dans la baie du Blanc-Pignon. Lorsqu'enfin la mer s'humanise, lorsque le vent passe à l'est et que le tonnerre de la barre cesse de gronder, lorsque M. Bourgeois, chef du pilotage de Boucau, envoie dire en ville qu'il y aura sortie à l'heure de la marée, toute la population sourit et prend ses habits de fête, les tilloles, les couralins, les gabarres, les canots de l'arsenal descendent le fleuve ; les digues sont couvertes de curieux, on se presse sur les sables voisins de l'embouchure et jusqu'à la pointe extrême où cesse l'Adour, où commence la mer. Les chasse-marées ; les bricks, les trois-mâts chargés pour Bordeaux, pour Nantes, pour le Havre ; les terre-neuviers qui vont à la grande pêche par delà l'Océan, lèvent l'ancre, font le branle-bas de départ, hissent leurs voiles et se groupent en ordre auprès de la barre.
La tour arbore un pavillon rouge, c'est le signal de sortie ; un long canot noir, poussé par huit rameurs portant la chemise rouge et le béret bleu, glisse sur les flots et s'arrête sur la barre même. Au gouvernail est assis M. Bourgeois ; il sonde la profondeur de la passe et arbore d'abord un seul pavillon rouge pour la sortie des navires du moindre tonnage. Les chaloupes de lamaneurs s'élancent à ce signal, s'amarrent aux chasse-marées et les remorquent vers la passe. La marée monte, la barre ne gronde plus, mais elle moutonne, et de longues vagues s'arrondissent lentement et viennent baigner les pieds des curieux. Le premier bâtiment s'avance en tanguant, un pilote tient le gouvernail, et son commandement s'entend sur la grève, car toute cette foule se tait, regarde et pâlit, le navire est à une encablure de la passe ; il s'élève avec le flot, plonge, s'arrête un instant, semble hésiter, puis il s'élance, livre ses voiles au vent, quitte ses remorqueurs et gagne le large aux cris de joie de la foule et des équipages. Un second le suit ; puis un troisième, puis d'autres encore. Le canot-major arbore un second pavillon, c'est le signal de sortie générale, le vent qui s'élève rend la remorque inutile, alors tous s'ébranlent, grands et petits ; tous s'acheminent, quelques-uns se présentent de travers, et la foule pousse des cris d'effroi, quelques autres pesamment chargés talonnent sur le fond, mais la mer est bonne, le flot les soulève ; tous sont dehors ; alors la tour des signaux et le canot-major amènent leurs pavillons, les lamaneurs rentrent au Boucau, et la foule, avant de reprendre le chemin de la ville, regarde un instant toutes ces voiles éparpillées dans l'espace et dans toutes les directions, au nord, à l'est vers la grande mer, au sud et au sud-ouest vers Saint-Sébastien, Santander et les côtes cantabriques ; une heure encore et il ne restera de tout ce tumulte que quelques points noirs à l'horizon et sur le sable des milliers de pas que la brise et les vagues auront bientôt effacés...
TOUR DES SIGNAUX BOUCAU PAYS BASQUE D'ANTAN |
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