Libellés

jeudi 25 juillet 2019

LA BARRE DE L'ADOUR AU PAYS BASQUE EN NOVEMBRE 1842


LE PAYS BASQUE EN 1842.


Dans les années 1840, la barre de l'Adour est très dangereuse pour les bateaux entrant ou sortant de Bayonne.

pays basque autrefois
BAYONNE 1835
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta le journal Le Constitutionnel, dans son édition du 26 novembre 1842, 

sous la plume d'A. Germond de Lavigne :


"La Barre de l'Adour, 


Saint-Jean-de-Luz.



Au-delà de la Porte-Marine, à l'extrémité de la place d'armes à Bayonne, s'étendent les allées marines, promenade enchantée qui suit l'Adour jusqu'auprès de la dune de Blanc-Pignon ; de là, on aperçoit les collines vertes et accidentées de la commune de Tarnos dans le département des Landes, vis-à-vis est le banc de Saint-Bernard que l'Adour laisse à découvert à marée basse, et les ruines d'un, ancien couvent de Bernardines dans lequel on entretenait encore il n'y a pas trois ans, un âne que les femmes stériles venaient invoquer et embrasser processionnellement. Ce joli village, échelonné sur un monticule de sable au-dessus de la rive droite, est le Bouçau habité par une colonie de pilotes et de pécheurs ; là, abordent fréquemment les couralins et les tilloles du port de Bayonne chargés de convives ; car le Boucau possède deux ou trois restaurateurs grandement estimés des gastronomes bayonnais. 


adour pays basque
LES BATEAUX SUR L ADOUR EN 1840


Vis-à-vis, sur la rive gauche, sont les petites maisons rarement habitées du lazaret ; plus loin, à l'extrémité de la jetée, s'élève une tour des signaux qui communique avec les navires au large ; près de là une barre redoutable, placée en travers de l'embouchure, gronde tumultueusement et oppose au passage des navires des masses de sable que ne peut renverser le courant de l'Adour, et qui ne laissent que bien rarement à marée haute quelques pieds de profondeur. La barre de l'Adour est pour le commerce bayonnais un ennemi terrible, elle finira par le tuer ; le navire qu'elle saisit et qu'elle entraîne, est à l'instant désemparé, brisé, lancé à la côte et plus souvent encore englouti sans qu'il en reste de traces. Les plus habiles ingénieurs de France, Louis de Foix en 1579, MM. de Ferry et Vauban, un siècle après, M. de Touros en 1731, M. de Prony, sous l'empire, firent d'immenses travaux, dépensèrent des sommes énormes, pour aider le fleuve à combattre le terrible obstacle toujours victorieux, toujours invincible. 




pays basque 1900
ECHOUAGE NAVIRE BOUCAU 1904
PAYS BASQUE D'ANTAN



Aussi est-ce un magnifique spectacle que la sortie des bâtiments que le vent contraire, les caprices de l'Océan et les fureurs de la barre retiennent quelquefois un mois entier amarrés aux digues du Boucau ou mouillés dans la baie du Blanc-Pignon. Lorsqu'enfin la mer s'humanise, lorsque le vent passe à l'est et que le tonnerre de la barre cesse de gronder, lorsque M. Bourgeois, chef du pilotage de Boucau, envoie dire en ville qu'il y aura sortie à l'heure de la marée, toute la population sourit et prend ses habits de fête, les tilloles, les couralins, les gabarres, les canots de l'arsenal descendent le fleuve ; les digues sont couvertes de curieux, on se presse sur les sables voisins de l'embouchure et jusqu'à la pointe extrême où cesse l'Adour, où commence la mer. Les chasse-marées ; les bricks, les trois-mâts chargés pour Bordeaux, pour Nantes, pour le Havre ; les terre-neuviers qui vont à la grande pêche par delà l'Océan, lèvent l'ancre, font le branle-bas de départ, hissent leurs voiles et se groupent en ordre auprès de la barre. 



pays basque 1900
VUE GENERALE DE LA BARRE BOUCAU
PAYS BASQUE D'ANTAN



La tour arbore un pavillon rouge, c'est le signal de sortie ; un long canot noir, poussé par huit rameurs portant la chemise rouge et le béret bleu, glisse sur les flots et s'arrête sur la barre même. Au gouvernail est assis M. Bourgeois ; il sonde la profondeur de la passe et arbore d'abord un seul pavillon rouge pour la sortie des navires du moindre tonnage. Les chaloupes de lamaneurs s'élancent à ce signal, s'amarrent aux chasse-marées et les remorquent vers la passe. La marée monte, la barre ne gronde plus, mais elle moutonne, et de longues vagues s'arrondissent lentement et viennent baigner les pieds des curieux. Le premier bâtiment s'avance en tanguant, un pilote tient le gouvernail, et son commandement s'entend sur la grève, car toute cette foule se tait, regarde et pâlit, le navire est à une encablure de la passe ; il s'élève avec le flot, plonge, s'arrête un instant, semble hésiter, puis il s'élance, livre ses voiles au vent, quitte ses remorqueurs et gagne le large aux cris de joie de la foule et des équipages. Un second le suit ; puis un troisième, puis d'autres encore. Le canot-major arbore un second pavillon, c'est le signal de sortie générale, le vent qui s'élève rend la remorque inutile, alors tous s'ébranlent, grands et petits ; tous s'acheminent, quelques-uns se présentent de travers, et la foule pousse des cris d'effroi, quelques autres pesamment chargés talonnent sur le fond, mais la mer est bonne, le flot les soulève ; tous sont dehors ; alors la tour des signaux et le canot-major amènent leurs pavillons, les lamaneurs rentrent au Boucau, et la foule, avant de reprendre le chemin de la ville, regarde un instant toutes ces voiles éparpillées dans l'espace et dans toutes les directions, au nord, à l'est vers la grande mer, au sud et au sud-ouest vers Saint-Sébastien, Santander et les côtes cantabriques ; une heure encore et il ne restera de tout ce tumulte que quelques points noirs à l'horizon et sur le sable des milliers de pas que la brise et les vagues auront bientôt effacés...

 

pays basque autrefois
TOUR DES SIGNAUX BOUCAU
PAYS BASQUE D'ANTAN



En suivant le cercle immense que forment les côtes du golfe de Gascogne, et à quelques lieues de l'embouchure de l'Adour, ou découvre, à demi-noyés par la mer, les môles blancs de Saint-Jean-de-Luz. 




La ville de Saint-Jean-de-Luz n'est plus aujourd'hui qu'une vieille fille réduite à parler de ses succès d'autrefois ; on l'appelait la capitale du Labourd et du vieux pays Basque ; elle faisait le commerce des deux frontières ; elle était grande, vaste, riche et bien bâtie, et les édifices qui s'élèvent sur la grande place attestent son ancienne Importance. Louis XlV y parut avec toute sa cour en juin 1660, il y occupa une jolie maison, qu'on voit encore à gauche de l'unique rue de la ville ; et Mlle de Montpensier, l'historien des coteries de Versailles, qui avait trouvé Bayonne une jolie petite ville fort de son gré, et où l'on voit beaucoup de vaisseaux, daigna dire que Saint-Jean-de-Luz était un village très agréable. Jean d'Olce, évêque de Bayonne, y célébra le mariage du roi et de Marie-Thérèse d'Autriche, fille de Philippe IV ; et de celte fortune du temps passé, de cette gloire de quelques jours, il ne reste plus que le souvenir et un dicton populaire : Seu Jan de Luis petit Paris... 



pays basque autrefois
ST JEAN DE LUZ 1850
PAYS BASQUE D'ANTAN




La mer a déclaré à la vieille capitale une guerre acharnée ; dans ses jours de grande colère, elle la couvre d'écume, renverse ses digues, engloutit ses jetées, comble son port, emporte ses quais et ses maisons. C'est maintenant une lutte incessante ; le terrible fléau réclame impérieusement tout ce terrain qu'on lui dispute ; un jour, il se fatiguera d'attendre, et, dans sa redoutable furie, il ne respectera pas même la jolie maison sculptée où dormit le grand roi. 






Saint-Jean-de-Luz, d'où partirent au 16e siècle ces hardis capitaines basques qui poursuivirent les baleines jusqu'au Spitzberg, et qui, les premiers, abordèrent à Terre-Neuve, n'a plus aujourd'hui que quelques barques de pèche et quelques trincadoures qui se hasardent rarement au-delà de Saint-Sébastien ; ces femmes, qui, chaque matin, parcourent les rues de Bayonne avec une lourde corbeille sur la tète, en poussant des cris étranges : croumpa maquereou, croumpa crabes, à l'anchois, à l'anchois, adare arribat fresc e délicat ; asi lous bels anchois touts bibots , aou baralou, à un so le doutzène. Ces robustes Basquaises sont parties de Saint-Jean-de-Luz, dès le point du jour, chargées de la pèche de la nuit ; elles ont fait en courant les six lieues qui séparent les deux villes, nu pieds, les jupons retroussés au-dessus du genou ; le froid, la chaleur, la pluie, l'ouragan , rien ne les retient ; sans reprendre haleine aux portes de Bayonne, elles s'abattent à la fois sur tous les points de la ville comme un vol de harpies ; et la vente faite jusqu'au dernier poisson, jusqu'à la dernière douzaine de ces délicieux anchois, qui se pêchent à la pelle sur tous les points de la côte, elles repartent pour Saint-Jean-de-Luz sans avoir pris un instant de repos. 




culture cagots agots
CASCAROTS
PAYS BASQUE D'ANTAN


Ciboure, que nous rencontrons après Saint-Jean-de-Luz, au-delà de la Nivelle, eut aussi au 18e siècle une forte population et des navires à la mer, ce n'est aujourd'hui qu'un pauvre village, habité par des pécheurs et par des Gitanes ou Egyptiens. 




Sur la droite, s'élèvent au sommet d'un rocher qui domine la mer et la plage, les bâtiments et la tour du fort de Socoa. Ce vieux fort, cette baie qui s'arrondit à ses pieds, ce môle auquel sont amarrés quelques trincadoures et de pauvres chasse-marées, ces rares maisons autour desquelles se groupent de sales marins espagnols, des Basquaises aux jambes nues, des douaniers et des soldats, forment un tableau des plus pittoresques ; mais tout cela est pauvre et misérable : plus de commerce, point d'industrie, point de culture, une population décimée, privée de ses meilleurs bras par cette fureur émigrante qui pousse les Basques vers les malheureuses colonies de la Plata et de l'Uruguay, et des maisons sans maîtres, des villages en ruines. Voilà Urrugne, triste et désert ; voilà Hendaye qui fut une jolie petite ville, un village très agréable, comme disait la grande mademoiselle, qui eut une certaine célébrité industrielle, et qui n'est aujourd'hui, grâce aux bombes espagnoles et au canon de Fontarabie, qu'un amas de cendres et de ruines. En voyant les riantes habitations garnies de treilles et de fleurs qui ont survécu, en bien petit nombre, à cette impitoyable destruction, on se sent le coeur serré ; cela ressemble au rire, aux chants d'allégresse d'une folle entourée des cadavres de ceux qu'elle a aimés. 



pays basque 1850
HENDAYE 1850
PAYS BASQUE D'ANTAN



Béhobie seul a conservé encore un peu de mouvement ; c'est le dernier poste de France : la Bidassoa passe à ses pieds ; l'Espagne est là, de l'autre côté, au bout de ce pauvre pont de bois que les deux pays entretiennent à frais communs, et le village français, ainsi placé en évidence, se bat les flancs pour affecter une activité qu'il n'a plus ; il déploie ses douaniers, ses contrebandiers, ses soldats, et semble dire : "On nous regarde, soyons gais, animons-nous, ayons l'air de quelque chose." Quelque chose ! Demandez à M. Daguerre Dospital, le commissaire spécial de police de la frontière, ce que c'est que Béhobie..."


(Source : https://www.centrecultureldupaysdorthe.com/l-eau-en-pays-d-orthe/la-batellerie/les-bateaux/ et www.bilketa.eus/fr/collections/textes-choisis/882-saint-jean-de-luz-stendhal-1838)




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 5 500 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/

N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire