UNE PROMENADE EN CACOLET EN 1842.
Le cacolet, sorte de bât, constitué de deux sièges, en osier, fixés sur une armature adaptée au dos de l'animal porteur, a été utilisé au Pays Basque, jusqu'au début du 19ème siècle.
PROMENADE EN CACOLET PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta Le Constitutionnel, dans son édition du 19 décembre 1842, sous la plume
d'A. Germon de Lavigne :
"Promenade en cacolet de Bayonne à Cambo.
La route qui conduit de la frontière à Bayonne par Urrugne et Saint-Jean-de-Luz est devenue triste et déserte comme, les pays qu'elle parcourt ; de ce grand chemin de l'Espagne, jadis si animé , si bruyant, jadis couvert de coches de voyage, de chaises de poste, de courriers d'ambassades, de laquais galonnés, il ne reste plus qu'une voie large et déserte, sur laquelle on ne rencontre maintenant, à rares intervalles, que la charrette bouvière dont l'essieu tourne en grinçant, la marchande de poisson de Bayonne et le cacolet.
Nous n'avons à visiter sur cette route et aux approches d'Urrugne que l'effigie moderne d'un noble château du 14e siècle, qui fut la demeure du sieur d'Urtubi, bailli du Labour. Maître Jehan de Troyes, greffier de l'Hôtel-de-Ville de Paris, et auteur d'une Chronique du roy Louis le unziesme, nous dira quel rôle ce vieux manoir joua de son temps.
"Et puis le samedy matin quatorziesme jour dudit mois de mars quatorze cent soixante deux, à l'heure de six heures, le roy qui estoit au Plessig du parc s'en partit à priuée compaignie et s'en ala à Bordeaux et à Bayonne....
Audit temps que le roy estoit à Bayonne à Sainct Jean de Luz et illec environ, les roys d'Arragon et de Castille vinrent par deuers luy pour aucuns differens qui estoient entre le roy et eux, et parlèrent aux champs ensemble en ung ehasteau nommé Urtubie. Et illec ainsi assemblez que dit est, parlèrent de leursdits differens mêmement pour raison dela prince et retenue que faisoit ledit roy d'Arragon du royaume de Navarre qu'il avoit pris et mis en sa main, et en déçhassé et bouté de hors le prince de Vianne; dont le roy de Castille fut bien maheontent."
Les fossés, les ponts-levis, les herses, les palissades, tout cela a disparu, le vieux château est devenu une jolie maison de plaisance, restaurée, revue, badigeonnée ; et peut-être le successeur actuel des sirs d'Urtubi, par droit d'acquisition, aurait-il peine à vous dire en quel lieu de sa demeure parlèrent ensemble de leurs différends le roi Louis et les rois de Castille et d'Arragon.
CACOLET PAR HELENE FEILLET MUSEE BASQUE BAYONNE |
C'est de la porte d'Espagne à Bayonne que partent les voitures, les omnibus, les véhicules de toute espèce qui portent les amoureux à la Chambre d'Amour, tout Bayonne à Biarritz et les malades à Cambo.— Suivons les malades, allons à Cambo et prenons un cacolet. — Un cacolet ? Permettez...
Un cheval de naissance inconnu, hors d'âge, passé de l'écurie d'un petit-maître basque au palonnier d'une diligence, et dont la diligence ne veut plus, les jambes faibles, les genoux couronnés ; une jeune femme court vêtue, la jambe bien faite, le pied grand, large, comme il en faut pour parcourir la montagne, le teint hâlé, le sommet de la tête couvert d'un large chapeau de paille ; un bât pour le cheval, faiblement sanglé, vacillant sur le dos de la monture, penchant à droite et à gauche sous la moindre pression ; deux paniers peu profonds, construits en bois en forme de cage à poulets, garnis chacun d'un coussin de paille et recouverts d'une toile à carreaux qui cache le peu d'élégance des formes, le peu de solidité de la construction ; puis un fouet pour stimuler l'ardeur souvent éteinte de la bête ; une branche de feuillage pour éloigner d'elle les moucherons, voilà la cacoletière et le cacolet.
CACOLET PAR HELENE FEILLET |
— Là-dessus, nous nous hisserons, non pas sans quelque peine.
— Comment, sur ces paniers en balance ?
— Sans doute.
— Sur ce bât qui n'est pas sanglé ?
— Assurément.
— Les jambes pendantes ?
— Rien n'est plus agréable.
— Le dos sans appui ?
— Ce ne serait plus un cacolet.
— Mais ce cheval a les jambes ruinées.
— Il se nomme Brillant, que son nom vous rassure ; d'ailleurs, s'il s'abat, nous tomberons sur nos pieds.
— Mais je pèse moitié plus que vous.
— Ne craignez rien, notre cacoletière saura établir l'équilibre ; un pavé fera l'affaire et me mettra avec vous sur le pied de l'égalité.
— Allons, soit ; mais ce balancement me donne le mal de mer.
— Prêtez-vous au mouvement comme le marin sur le pont de son navire, dans quelques instants vous serez enchanté. Allons, gracieuse, en route ; anem partim Brillant, che eaou ana enta Cambo.
Maintenant, mon maître, si quelque frayeur vous prend, si quelque jolie fleur vous tente, sur les bords de la route, veuillez m'en avertir, et ne pas descendre à I'improviste, car le pavé et moi, abandonnés à nous-mêmes sans contrepoids, nous roulerions à l'instant, et l'un sur l'autre, dans la poussière. Voyez donc, Brillant s'anime, il trotte gaiement ; voyez encore, Gracieuse fait comme son cheval, et tantôt à la tête, tantôt à la queue, elle fouette d'une main et chasse les mouches de l'autre ; Brillant peut trotter jusqu'à ce soir, la cacoletière ne demandera pas merci.
CACOLET |
— Qu'est-ce que ceci, Gracieuse, ce parc entouré de murs, ces beaux ombrages, ce château à demi-ruiné ?
CHÂTEAU DE MARRACQ BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
— Es Marrac, Moussu, boulets i ana ?— (C'est Marrac, Monsieur, voulez-vous y aller ?)
— Ce château fut bâti, au commencement du siècle dernier, par la veuve du roi Charles II d'Espagne. Napoléon vint l'habiter en 1808, et y fit faire d'immenses travaux, une route magnifique, des quartiers pour sa garde, des champs de manœuvres pour son armée. Là il a passé en revue les régiments qui entraient en Espagne avec Suchet, Junot, Monçey, Harispe, Soult, Grouchy et bien d'autres. Là s'est déroulé ce grand drame politique, qui comptait, comme nos drames des boulevards, un traître, don Manuel Godoy ; un père infortuné, Charles IV d'Espagne ; une épouse infidèle, la reine Marie-Louise ; un fils ingrat et rebelle, Ferdinand VII, et qui eut pour dénouement la royauté de Joseph Napoléon et la captivité de Valançay. Puis, comme si ce petit coin de terre avait eu assez de célébrité, un incendie vint qui dévora ce château, n'en laissa que les murs et, respecta à peine quelques meubles et un chapeau de l'empereur, que conserve religieusement aujourd'hui un chapelier de la rue Bourgneuf à Bayonne, M. Lapoujade.
— Qu'est-ce que ce vieux château, Gracieuse ?
— Es Moussu, lou castet de Garat.
— Ce château, mon maître, vit naître l'un des plus nobles cœurs de la révolution française. M. le comte Garat est le chef, le premier, de toute cette population basque du Labourd, à laquelle nos institutions nouvelles n'ont encore rien ôté de son antique individualité.
— Qu'est-ce que ceci : Gracieuse, ce joli village groupé sur le penchant de la montagne, et dont les maisons semblent avoir roulé au hasard dans la vallée ?
— Es Ustarilz, Moussu.
— Ustaritz, mon maître, fut, pendant la révolution, le chef-lieu du district, parce qu'il était la patrie des Garat. Bayonne n'était que chef-lieu de canton.
— Et là-haut ce grand bâtiment au sommet d'une colline ?
LARRESSORE PAYS BASQUE D'ANTAN |
— Es Laressore, Moussu.
— Laressore, mon maître, est un séminaire, et presque toute la bourgeoisie du pays y fait élever ses enfants ; c'est là aussi que fit ses premières études et ses premiers pas dans la carrière sacerdotale, un jeune homme, enfant du pays basque, dont le nom a acquis une des grandes célébrités de ce temps-ci ; les directeurs du séminaire de Laressore vous diront qu'il était studieux, sage, zélé ; les jeunes Bayonnais, ses camarades d'étude vous diront qu'il était doux, humain, aimé de tous, et cependant on le nommait Eliçabide.
Et maintenant, à l'extrémité de cette jolie route accidentée qui suit les contours de la montagne et les sinuosités de la Nive, voilà une belle et riche vallée et un double village, es Cam...bo, comme dit Gracieuse. Le bas Cambo a semé des métairies à travers, la plaine comme des fourrageurs au milieu des champs. Le haut Cambo a rangé ses belles maisons blanches sur une immense terrasse pour jouir tout à son aise de ce magnifique paysage. C'est un beau tableau que cette jolie rivière qui serpente, cette éclatante verdure, cette végétation vigoureuse et ce beau peuple qui anime tout cela !
Le haut Cambo est pour la montagne ce que Biarritz est pour la mer. Les deux villages alternent et déploient tour-à-tour leurs plus belles parures, leurs attraits les plus enchanteurs pour complaire à l'heureuse population qui les visite.
A Cambo, le printemps et l'automne, à Biarritz l'été ; à Cambo, les premiers rayons du soleil qui renaît, les dernières lueurs du soleil qui s'en va ; à Biarritz, cette bonne et douce brise du large qui tempère les fortes chaleurs du Midi. A Cambo comme à Biarritz, la santé : une source minérale qui ne manque ni de buveurs, ni de baigneurs, et dont on vante les bienfaisants résultats ; le plaisir : des danses, des promenades admirables et d'excellents dîners ; à Cambo comme à Biarritz, le tumulte, le bruit, l'affluence et une irruption des Basques de la montagne. La veille de la Saint-Jean, à minuit, ils accourent de toutes parts, entourent les deux sources, sulfureuse et ferrugineuse, boivent à provision pour toute l'année, puis, pendant le jour et la nuit suivante, courent, dansent, sautent, crient et chantent comme ils le feront à Biarritz deux mois après. Ce peuple-là ne sait rien faire avec calme et avec mesure.
CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Vous verrez à Cambo une jolie église entourée d'un cimetière planté de rosiers et de fleurs, comme tous ceux du pays basque ; hors Cambo, vous irez voir les vestiges d'un camp appelé camp de César, près de la route d'Espelette, le village d'Itxatsou, un vrai village basque, et une église remarquable où abondent les dorures, les sculptures sur bois, et dont la voûte peinte en bleu est parsemée d'étoiles d'or. Plus loin, vous trouverez un souvenir du pieux Roland, car dans nos montagnes tout parle de lui. A quelques lieues est la vallée de Ronceveaux, on il mourut. Dans le département voisin, s'élèvent les remparts de granit du Marbosé, dans lesquels il fit d'un coup de sa masse d'armes une brèche de cent mètres en carré. De ce même côté s'étend une vallée aride et sombre où fut élevé ce trophée de ses armes au pied duquel Zerbin avait écrit ces mots :
......Nessun lo mueva
Que star non possa con Orlando a prova,
Enfin, au-delà d'Itxatsou, est un large rocher sur lequel il mit le pied pour passer en Espagne ; et le rocher a conservé les empreintes ineffaçables du pas de Roland et du fer de son cheval.
PAS DE ROLAND ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
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