COQUELIN CHEZ ROSTAND EN 1903.
Benoit Constant Coquelin, dit Coquelin aîné, est un acteur français, né à Boulogne sur Mer le 23 janvier 1841 et mort à Couilly-Pont-Aux-Dames le 27 janvier 1909.
COQUELIN L'AÎNE A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il fut surnommé ainsi pour le distinguer de son frère Ernest, dit Coquelin cadet.
Il fut l'un des comédiens les plus notoires de son temps.
Il a notamment créé au théâtre le rôle de Cyrano de Bergerac, personnage d'Edmond Rostand.
Voici ce que rapporta le journal Le Figaro, dans son édition du 15 septembre 1903, sous la
signature de Gaston Derschamps :
"Coquelin chez Rostand.
Cambo, le 10 septembre.
Ce fut un après-midi si délicieux, que je ne résiste pas au désir de le raconter.
L'autre jour, un charmant billet m'annonçait la prochaine arrivée de Coquelin à Cambo, chez un poète qui se lasse un peu de s'entendre appeler l'auteur de Cyrano, des Romanesques, de l'Aiglon et qui, je crois, nous prépare de nouvelles surprises...
J'aime Coquelin. Je l'aime en tous les aspects de sa personne changeante et multiforme. Je ne l'aime point parce qu'il est comédien, attendu qu'il sait, comme pas un, nous attendrir et nous faire pleurer. Je ne l'aime point parce qu'il est tragédien, vu que cet homme excelle à nous faire rire. Je l'aime parce qu'il est Coquelin ou, plus familièrement, Coq, c'est-à-dire quelqu'un d'unique et quelque chose d'exceptionnel, — un être à part, une force de la nature, une incroyable puissance d'expansion, de rayonnement et de métamorphose, Coquelin-Mascarille, Coquelin-Chicot, Coquelin-Jourdain, Coquelin-Cyrano, Coquelin-Flambeau, et aussi Coquelin philanthrope, Coquelin fondateur de retraites pour la vieillesse abandonnée et innocente, Coquelin-Roscius, ami de nos Cicérons et de nos hommes d'Etat, Coquelin voyageur, commensal des têtes couronnées, — et enfin Coquelin pêcheur à la ligne, Coquelin estival et bon garçon, Coquelin sans rapière et panache, Coquelin, marchant de plain-pied avec l'humanité, causeur foisonnant d'anecdotes, moraliste fertile en maximes judicieuses, satirique mordant sans méchanceté, narrateur plein de souvenirs et philosophe débordant de verve,— le Coquelin de tous les jours, qui n'est pas, je vous assure, le moins étourdissant Coquelin de tous les Coquelins !
COQUELIN L'AÎNE A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
COQUELIN L'AÎNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
COQUELIN L'AÎNE DANS CYRANO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Une dépêche m'invitant à déjeuner chez Rostand avec Coquelin me combla de joie. Je partis, allègre, à travers les montagnes vertes et les vallées fraîches du pays basque. La campagne matinale, lavée par une pluie récente, était limpide et claire comme une aquarelle. Un cocher fantasque, vêtu de bleu, galonné de rouge, chamarré d'argent, me menait gaiement, dans ce paysage de féerie, au trot d'un attelage tintinnabulant de grelots et de clochettes. Quel voyage délicieux ! Les oiseaux chantaient. Le ciel souriait. Les montagnes étaient contentes, après une nuit pluvieuse, de se chauffer au soleil neuf. Toute la nature était imprégnée d'eau vive et en même temps auréolée de lumière, embaumée de poésie. J'étais grisé sans doute par ces influences enivrantes. Car je voulus, moi aussi, me mettre à l'unisson de ce concert. Et (tel le sous-préfet aux champs) je rimai, au rythme de l'attelage alerte et sonore, je.rimai un- sonnet en l'honneur de Coquelin :
COQUELIN L'AÎNE DANS CYRANO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Coquelin, Cyrano, ces deux noms désormais
Chez nos petits-neveux iront de compagnie :
Tous les échos feront sonner leur euphonie
De vallons en vallons, de sommets en sommets ;
O nez prodigieux qu'on n'oublîra jamais !
Musique d'une voix sans cesse rajeunie !
Fier courroux devant qui tremble la félonie!
Feutre florituré de triomphants plumets!
Coquelin, furieux quand Cyrano se fâche,
Est doux quand Cyrano roucoule ses amours...
Un miracle s'opère à l'ombre du panache
Qui sur cet héroïsme est piqué pour toujours :
Dieu, que Rostand toucha par de brillants discours,
Fit pour ces deux héros une seule moustache.
Quand on va de Saint-Jean-de-Luz à Cambo, on passe près d'Ascain où Loti apprit naguère le jeu basque de la pelote, et où se trouvent, en effet, les meilleurs pelotaris, notamment le célèbre Otharré, ami et professeur du poète de Ramuntcho. Ensuite, on traverse des bourgs aux noms pimpants, fluides et légers : Saint-Pée, Souraïde, Espelette.
A l'entrée de Cambo, je demande à un douanier vêtu de bleu :
— La maison de M. Rostand, s'il vous plaît?
ETCHEGORRIA MAISON D'EDMON ROSTAND CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le nom de Rostand illumina de naïve fierté le visage de ce douanier, qui me parut rêveur et qui, je suppose, n'est pas méchant pour les contrebandiers au clair de lune.
— Oh ! me dit-il; vous n'en êtes pas loin. Suivez seulement cette allée fleurie, jusqu'à ce que vous trouviez, sur une grille ornée de glycines et de clématites, ce mot : Etchegorria.
Comme j'ignore, hélas ! le vocabulaire et même la syntaxe de la langue basque, ce mot, Etchegorria, me fit l'effet d'une formule cabalistique, d'un "Sésame, ouvre-toi", d'un de ces mystérieux mots de passe que l'on prononce, dans les contes de fées, lorsqu'on veut pénétrer en quelqu'une de ces retraites où les gens d'autrefois cherchaient des princesses lointaines et des trésors cachés.
Le bon douanier avait raison. J'arrivai tout de suite à Etchegorria. Mon cocher d'azur, d'écarlate et d'argent poussa sur le sable d'une allée sinueuse ses chevaux dociles, dont les grelots semblèrent, à ce moment, chanter, une chanson plus joyeuse et plus claire.
ETCHEGORRIA MAISON D'EDMON ROSTAND CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
La voiture s'arrête. Et tout d'abord je n'entends aucun bruit. Est-ce le château de la Belle au bois dormant ? Dans ma hâte, bien légitime, suis-je venu trop tôt à ce rendez-vous de gaie science et de cordiale amitié ? Mais non. Un bonjour retentit dans l'atmosphère pure et vibrante. Je lève les yeux vers une galerie de bois ajouré qui fait songer au balcon de Roxane. Et je vois Coquelin, nu-tête, simplement costumé, très accueillant, à son ordinaire, l'air un peu grave toute fois et les traits volontairement rétifs à l'admirable instinct de mobilité qui habituellement en modifie l'expression plusieurs fois par minute.
COQUELIN L'AÎNE DANS CYRANO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Qu'y a-t-il? et quelle est la raison de cette préoccupation peinte sur le visage de Coquelin ?
Un mot, sans tarder, me tire d'embarras :
— Voyez ! me dit Coquelin, je pose ! Je suis en scène, même en vacances !
En effet, j'aperçois le jeune sculpteur Auguste Maillard, en longue blouse de toile grise, fort occupé à modeler dans la glaise les contours et les méplats de cette tête universellement connue, quasiment mondiale, qui, sur tous les théâtres de l'univers, a représenté l'infinie variété des passion humaines. L'œuvre est déjà très avancée. Et c'est étonnant de ressemblance. C'est l'œil de Coquelin, le nez de Coquelin, la lèyre de Coquelin, prête à lancer une tirade éloquente ou une cinglante repartie... Et pourtant, un autre nom, spontanément, se présente à notre esprit :
SCULPTEUR AUGUSTE MAILLARD PAYS BASQUE D'ANTAN |
— Le P. Didon !
Et ce nom, jeté dans la conversation, éveille dans la mémoire de Coquelin une série de souvenirs et d'images qui partent, brillent, s'épanouissent comme un bouquet de feu d'artifice. Voilà Coquelin lancé. Et je sais que, toute la journée, il sera ainsi, pareil à lui-même et cependant varié, incessamment prodigue de sa verve, de sa mémoire, de sa fantaisie, de toute sa personne essentiellement communicative, sympathique au suprême degré, faite pour entrer en communication avec la totalité de la terre habitable. Je ne me figure pas Coquelin seul dans une île déserte. Ah ! le diable d'homme ! Je parierais que s'il n'avait pas d'interlocuteur, il s'arrangerait de façon à converser avec un écho.
Nous sommes tous émerveillés de cette aubade, qui nous met en appétit. Rostand, gaillard et souriant, et dont la bonne mine fait honneur au climat de Cambo, Rostand est habitué à cette prodigieuse dépense d'une activité nerveuse dont la réserve est apparemment inépuisable. Il regarde son hôte avec une attention visiblement charmée. Et, connaissant la psychologie de Coquelin mieux que personne — sachant comment on obtient le "maximum d'effet" de cette nature franche, loyale, vraiment "aimable" au sens exact de ce beau mot,— il s'amuse, avec un plaisir amical, à provoquer, dans l'esprit et dans le cœur de ce grand artiste "brave homme" des réminiscences, des associations d'idées ou de sentiments, des émotions vraies, des enthousiasmes fougueux, voire des indignations qui sont touchantes à force de sincérité.
COQUELIN L'AÎNE DANS CYRANO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Tandis que nous écoutons ainsi — presque tentés d'applaudir, — voici venir les convives, peu nombreux, mais choisis : une jeune Anglaise, ingénieuse et jolie, passionnément dévote au prestige de l'art et des artistes ; — une fine Basquaise, résumant dans l'opulence de sa chevelure et dans la sveltesse de sa taille souple les gracieuses qualités d'une race aimée des peintres et des sculpteurs; — un auteur dramatique applaudi chez Antoine; — un mélancolique romancier; — un portraitiste remarqué au Grand Palais...
Entre artistes et amis de l'art, la conversation n'a jamais rien de gourmé, ni de guindé, ni de prévu. C'est pour quoi, dans ces sortes de groupes sympathiques, uniquement déterminés par des affinités électives, on peut causer pendant des heures sans apprêts ni cérémonies, et l'on ne cède point à ce puéril désir qu'ont les hommes réputés sérieux, de s'ennuyer les uns les autres. J'adore les artistes. Ils composent, à présent, une véritable aristocratie. Ils ont l'honneur d'appartenir, comme les prêtres et les savants, à la seule catégorie sociale où l'on vive pour quelque chose d'extérieur à soi-même.
COQUELIN L'AÎNE A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ce que dirent, à table, Coquelin et Rostand, je ne saurais le résumer sans risquer d'en éteindre la flamme ou d'en émousser la saveur. On parla de tout, à bâtons rompus, sans préméditation aucune et sans le moindre souci de cette méthode rigoureuse qui, ailleurs, fait tourner l'entretien en conférences indigestes. Ce fut un agréable colloque, où chacun, selon sa fantaisie, était libre de parler et de se taire. La maîtresse de là maison, attentive, très délicatement, à maintenir l'harmonie parfaite de cette réunion, fut spirituellement prévenante pour tous ses hôtes et n'éprouva pas le besoin de symboliser son autorité par une de ces sonnettes présidentielles qui, parfois, à Paris, donnent aux dîners académiques un relent de réfectoire.
On causa longtemps, autour de la nappe fleurie. Un portrait de Sarah Bernhard, par Chartran — Sarah dans la blanche tunique de l'Aiglon — emplissait la salle d'un geste mélancolique et superbe. Un "Cyrano", modelé par Rostand, d'un coup de pouce très adroit, dans la glaise molle, se cambrait crânement, auprès d'une ravissante figurine où le sculpteur Maillard a fixé les traits du plus jeune fils de notre poète... On alla ensuite sur la galerie pour fumer des cigares. Le buste de Coquelin, ensoleillé par la beauté du jour, prenait un relief de plus en plus saisissant, une vie de plus en plus intense.
SARAH BERNHARDT ET COQUELIN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Au delà de cette avenante villa Etchegorria, trop petite pour contenir les Rostand, et où l'illustre auteur de l'Aiglon, en attendant le spacieux logis, que lui construit l'architecte Tournaire, se plaît aux obligations volontaires d'une libérale hospitalité, le décor du pays basque étalait jusqu'aux lointaines perspectives de l'horizon un magnifique panorama de pelouses inclinées, de collines verdoyantes et de sommets capricieusement dé coupés en silhouettes aiguës, sur la limpidité du ciel bleu. La vallée de la Nive, à Cambo, ressemblait à une conque d'émeraude sous une coupole de saphir; Cette rivière, la Nive de Cambo, la Diva, la Divine, est bien nommée. Elle ondule en flexibles détours au pied des coteaux, et les maisons éparpillées sur les pentes, reflètent leurs façades et leurs toits rouges dans la transparence de ses eaux.
ETCHEGORRIA MAISON D'EDMON ROSTAND CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
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