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dimanche 29 juillet 2018

À LA FRONTIÈRE AU PAYS BASQUE EN AOÛT 1904

À LA FRONTIÈRE EN 1904.


La frontière franco-espagnole est la frontière internationale terrestre et maritime séparant les deux pays, de l'Atlantique à la Méditerranée.

PONT INTERNATIONAL BEHOBIE - PAUSU 1904
PAYS BASQUE D'ANTAN

Après ma publication de plusieurs articles sur la frontière franco-espagnole, au Pays Basque, 

en 1879, en 1911, en 1895, et quelques autres, voici aujourd'hui un article sur la frontière en 

1904.



Voici ce que rapporta le Journal des débats politiques et littéraires, dans son édition du 27 août 

1904, sous la plume d'Henri Lorin :


"Lettres espagnoles.


Sur la frontière du pays basque.


Au temps où l'on voyageait par petites étapes, en diligence, il était difficile d'établir autrement que par mer des relations de commerce à grandes distances, et près de la frontière franco-espagnole, par exemple, Bayonne était le grand entrepôt où s'accumulaient, apportées par bateaux, les marchandises d'échange pour l'Espagne ; pendant la plus grande partie du dix-neuvième siècle, Bayonne vivait encore ainsi de ses transactions avec l'Espagne. Plus tard, le progrès des communications l'aurait vite dépouillée de cette ressource, si l'élévation des droits de douane en Espagne n'eût soutenu la concurrence, en stimulant la contrebande ; des chargements considérables de tissus de coton, de soieries, de draperies arrivés à Bayonne par mer ou par voie ferrée étaient répartis en dépôts secondaires, dont Oloron était le principal, et entraient en Espagne par ballots, sur les épaules de contrebandiers experts. L'abaissement des droits espagnols, dû à l'initiative de Canovas del Castillo, en 1882, ralentit la contrebande, dont l'intérêt était devenu moindre ; en 1892 nos tarifs protecteurs, frappant durement les vins espagnols, il s'ensuivit une raréfaction générale des échanges entre la France et l'Espagne et la contrebande elle-même, bien plus lucrative que de 1882 à 1892, perdit toute son ampleur d'antan ; de plus les entrepôts intermédiaires ont cessé d'être utiles, et les transactions de Bayonne, d'Oloron et des Basses-Pyrénées avec l'Espagne sont aujourd'hui très réduites. 




D'Espagne en France, par notre frontière continentale du Sud-Ouest, il ne passe que peu de marchandises ; cette année, en raison de la mauvaise récolte de la Normandie, on signale une importation exceptionnelle de pommes ; toutes les collines du Guipuzcoa sont couvertes de pommiers et le cidre de Saint-Sébastien (Donostiaco Sagardua) figure avec honneur dans les chansons populaires ; mais ce n'est là qu'un mouvement tout local et temporaire ; d'autre part, des contrebandiers de la montagne font passer en France du bétail espagnol, quelques bidons d'alcool, quelques paquets de dentelles ou d'allumettes. De France en Espagne, par les voies régulières, transitent des tissus, en particulier des lainages fins, malgré les droits très élevés ; d'autres, plus communs, destinés surtout aux villes espagnoles de la frontière, passent en contrebande, et l'on ne saurait s'en étonner si l'on pense que, pour l'étoffe nécessaire à un pantalon bleu d'ouvrier, valant au plus 3 pesetas, il y a 7 pesetas de taxes ! La contrebande est organisée à Irun ; les marchandises sont assurées!... On affirme, et j'ai plusieurs raisons de le croire, que le douanier français est sans pitié. Son collègue, le carabinero espagnol, vraiment trop peu payé, se voit forcé de vivre comme il peut et de battre monnaie avec son emploi ; les hauts fonctionnaires de l'administration centrale le savent et l'avouent ; il y a là des traditions qu'expliquent l'indigence budgétaire, l'indifférence de certains chefs et parfois leurs mauvais exemples ; une répression capricieuse et mal distribuée n'est pas de nature à les corriger. 






Les provinces basques d'Espagne, dans lesquelles on pénètre en quittant notre département français des Basses-Pyrénées, sont un des coins les plus originaux d'Espagne. Les habitants, restés très jaloux de leur indépendance, possèdent encore quelques privilèges pour le recouvrement et la répartition de l'impôt ; les députaciones (Conseils généraux) des trois provinces basques font un usage intelligent de ces derniers fueros ; elles expriment leur autonomie en s'entourant d'employés vêtus et armés comme des soldats, miqueletes du Guipuzcoa, mignones et forales de la Biscaye et de l'Alava. Les visiteurs français de Saint-Sébastien ne manquent pas de remarquer le coquet uniforme des miqueletes, pantalon rouge, tunique bleu clair avec petite pèlerine de même, béret rouge timbré d'or aux armes de la province. Il y a quelques années, un ministre avait eu l'idée de recruter dans la province, un bataillon enfantin, destiné à la garde et sans doute à l'amusement du jeune roi, pendant ses villégiatures ; les meilleures familles du Guipuzcoa s'empressèrent d'enrôler leurs fils, flattées que l'on eût adopté pour ce service national le costume tout local des miqueletes. Ce détail n'était pas indifférent non plus que le choix même de Saint-Sébastien comme résidence d'été de la cour : les provinces basques ont été carlistes, elles n'aiment pas à sentir, trop raide et tracassière la direction administrative qui part de Madrid. En venant chaque été, pour deux ou trois mois, se fixer à Saint-Sébastien, la reine-régente, puis le roi lui-même, ont rallié beaucoup d'irrésolus, conquis (le mot n'est pas trop fort) beaucoup de sympathies personnelles ; le gouvernement a pu s'assurer que le carlisme n'était pas dangereux par son prétendant mais seulement par les sentiments particularistes qu'il exprime ; avec quelques prévenances, quelques concessions, il n'est pas malaisé de le désarmer. 


MIQUELETE A FONTARRABIE - HONDARRIBIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

On ne saurait trop encourager, par exemple, les efforts de la Deputacion pour améliorer l'agriculture et l'élevage dans le Guipuzcoa : elle a fait aménager dans la zone moyenne des montagnes, le domaine de Fraisoro, étendu d'une vingtaine d'hectares, acquis en 1896 du pelotari Portal. Fraisoro est une ferme-école et un jardin d'essais ; on s'y occupe particulièrement de l'élevage des bovidés et des porcs; des taureaux ont été achetés en Suisse et en Danemark; des vaches, en Normandie ; la fabrique de beurre et fromage vend ses produits et déjà couvre presque ses frais. Puisse la leçon profiter, car Dieu sait que les Espagnols ont beaucoup à apprendre pour le travail de la laiterie ! Deux ingénieurs agronomes, l'un Français, sorti de Grignon, et l'autre Danois, dirigent Fraisoro... L'automne dernier, Alphonse XIII a voulu visiter cet établissement ; il y est monté avec le ministre des affaires étrangères, dans un break à quatre chevaux qu'il conduisait lui-même ; il a minutieusement tout examiné, notamment des machines agricoles qui avaient figuré, peu de jours auparavant, dans un comice à Irun. Ses compliments, très mérités, ont été surtout à la Deputacion, représentée par son distingué vice-président, don Thomas Balbas. C'est, en effet, d'excellente besogne que font là les députés provinciaux : pendant la guerre du Transvaal, beaucoup de bétail espagnol a été vendu aux Anglais, si bien que le cheptel est aujourd'hui très réduit : il y a urgence à le reconstituer et ce sont maintenant les méthodes modernes que nos voisins emploient. 



DOMAINE DE FRAISORO
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le Guipuzcoa, très différent de la Biscaye limitrophe, n'a encore que peu d'industries. Saint-Sébastien a grandi surtout comme ville de luxe, et ce fut l'occasion pour d'importantes maisons françaises de bijoux, de modes, de confections, d'y ouvrir des succursales que fréquente la plus aristocratique des clientèles.


Le commerce de détail s'approvisionne surtout d'articles allemands, fréquemment renouvelés par les soins de commis voyageurs actifs et peu exigeants. 



Entre la frontière et Saint-Sébastien, Renteria fabrique des biscuits et travaille le jute, avec des contremaîtres français ; une petite papeterie y a été récemment fondée, où l'on se sert de pulpe de Norvège, importée par Anvers.

 

BISCUITERIE OLIBET RENTERIA
PAYS BASQUE D'ANTAN



PUBLICITE BISCUITS OLIBET RENTERIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Près de Renteria, les entrepôts de coupage des vins de Pasajes, ce port si pittoresque qu'aimait Victor Hugo, n'ont pas remplacé les entrepôts spéciaux de Bordeaux, sacrifiés à nos protectionnistes ; le vin de Bordeaux n'entre plus que pour 20 0/0 dans les coupages, alors qu'il comptait pour 40 à 50 0/0 dans les sortes préparées jadis à Bordeaux pour l'exportation ; nous nous demandons ce que les viticulteurs girondins y ont gagné !



PORT DE PASAJES - PASAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le Guipuzcoa, pays d'excursions merveilleuses, ignore les premiers rudiments de l'industrie suisse du tourisme. Depuis, deux ans seulement, un tramway électrique gravit le mont Ulia, belvédère incomparable, qui domine Saint-Sébastien ; sur le site en corniche, une route exécutée à frais communs par la Biscaye et le Guipuzcoa traverse des villages de pêcheurs où manquent encore les commodités les plus rudimentaires, et cependant peu de rives au monde présentent une aussi riche variété de sites riants ou farouches, des hautes falaises tombant à pic dans la mer, des baies couronnées de collines verdoyantes, des vieilles maisons nobles à écusson de pierre, enfouies au cœur de hameaux pauvres et sans voirie... Sur le chemin de fer de Saint-Sébastien à Bilbao, pas d'express, pas de buffets, pas d'abris aux stations et pourtant à tous les pas on voudrait s'arrêter, tant la nature apparaît aimable, attirante, sous son manteau de verdure éternelle, piquetée de pommiers, de chênes et de châtaigniers ; il ne faut pas moins de cinq heures pour franchir les 115 kilomètres de ce parcours, et l'on passe successivement sur les rails de trois Compagnies différentes ! A Cestona, les antiques pataches de l'établissement thermal stationnent au ras de la voie; partout la gare est un lieu de réunion, au moment du passage des trains, pour les gens de loisir du village ; des gamins jouent à cache-cache autour de la locomotive et dans les fourgons, les employés descendent de leurs wagons pour trinquer avec des amis... et tout marche pourtant, à peu près, poco mas o menos, suivant le grand principe d'Espagne ! 



PUBLICITE POUR LES EAUX DE CESTONA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Mais le passage du chemin de fer a déjà bouleversé la quiétude de ces sociétés patriarcales, et l'industrie s'empare chaque jour d'un coin nouveau du Guipuzcoa. Toutes les chutes d'eau sont captées, le moindre moulin possède une dynamo pour faire de l'électricité, de tous côtés les fils se croisent, grimpant dans la montagne, portant la lumière et la force jusque dans les maisons isolées. Déjà, à Eibar, des ouvriers fabriquent chez eux, avec des machines mues par l'électricité, les armes et les bijoux d'acier incrusté d'or. Lorsqu'on approche de la Biscaye, on découvre de toutes parts des mines à ciel ouvert ; les villages bâtissent, avec une véritable fièvre, des usines, des maisons, des écoles. Dans toute cette nature, presque fruste encore, fermentent les germes d'une prochaine transformation ; sur la ligne de Saint-Sébastien à Bilbao, les locomotives portent, en lettres de cuivre, des noms basques, à côté du timbre de Glasgow ou de Pittsbourg, symbole suggestif de cette confusion souvent déconcertante qui amalgame aujourd'hui, d'un bout à l'autre de l'Espagne, les résistances des traditions et l'ardeur du progrès." 







Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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