LA CONTREBANDE EN 1931.
L'industrie de la contrebande fut, autrefois, très florissante sur la frontière franco-espagnole, en particulier au Pays Basque.
Voici ce que rapporta le journal Le Matin, dans son édition du 8 avril 1931, sous la plume de
Pierre Humbourg :
"Grandeurs et misères de la contrebande.
Chaque an, le directeur des douanes de Bayonne et son collègue de Perpignan adressent au conseiller d'Etat, directeur général des douanes, un rapport.
Depuis la guerre, ces rapports étaient dénués de pittoresque comme une route nationale. Mais, depuis quelques mois, une inquiétude sourde perce au travers des lignes administratives.
CONTREBANDE VERA DE BIDASSOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
La peseta, en tombant, a rallumé la flambée des bénéfices éventuels. Désormais, le tabac, le bétail et l'alcool sont propres à rentrer en France avec profit.
Mais il serait vain de croire que l'échange ne se fait que dans le sens Espagne-France, le seul qui intéresse les douanes françaises l'échange clandestin France-Espagne se fait sur une échelle aussi vaste et, j'ose le croire, aussi rémunératrice.
Il fut un temps où des demoiselles d'un pensionnat religieux de Fontarabie, furent les agents innocents de la contrebande. Chaque jeudi, ces jeunes filles, conduites par deux religieuses venaient en promenade à Hendaye. Leur vue réjouissait les douaniers espagnols, elles passaient deux par deux, leurs nattes au vent, riant, avec à la main un brin de jasmin ou de mimosa.
Au soir elles regagnaient l'Espagne. Sans doute ces jeunes filles craignaient la brume du crépuscule, si traître à l'embouchure de la Bidassoa, car elles avaient toutes acheté un chapeau. Petits bibis de feutre, toques de velours, charlottes brodées, capelines de paille, il,y en avait pour tous les goûts et pour toutes les bourses.
Le couvent se transformait, au soir, en chapellerie : c'est ainsi que rentraient en Espagne, les dernières créations de Paris.
Les demoiselles de pensionnat, chantées par Yvette Guilbert, fraudaient plus qu'elles ne frondaient.
II y a une légende à détruire, quand on parle de la frontière d'Espagne.
Jadis, pour la fraude France-Espagne, il n'y avait plus de Pyrénées. Mal payés, les douaniers d'Ibérie pactisaient volontiers avec l'impur négoce des contrebandiers. Il était facile de les acheter. Aujourd'hui, chacun vous dira que la chose est impossible. Bien payés, bien habillés, ils sont d'honnêtes et urbains fonctionnaires, scrupuleux, serviables et inflexibles.
Garde civile, carabiniers, douaniers veillent aux portes du royaume et le danger est égal des deux côtés. Pourtant, de l'autre côté des monts, les produits français sont goûtés : mèches de vilebrequin, compteurs de vitesse, soies lyonnaises et produits pharmaceutiques.
La nuit, des barques silencieuses appareillent parfois de la pointe Sainte-Anne, au-dessus d'Hendaye-Plage, pour aller mollement s'échouer vers le cap du Figuier, tandis qu'au-dessus de Fuentarrabia tourne mélancoliquement le phare de Guadalupe. Les avirons glissent de biais dans l'eau, doucement, doucement pour ne pas éveiller la méfiance des garde-côtes ; la cargaison est dans le fond de la barque, prête à être coulée au moindre bruit. C'est ainsi que vous allez vers l'Espagne, analgésiques, somnifères de nos laboratoires.
Cependant qu'en échange, par les cols déserts, passe le bétail espagnol.
En marge du négoce officiel, de la balance rigoureuse des trafics, la contrebande établit son bilan et croît, comme croît, impossible, à surprendre, l'activité des bookmakers à l'ombre des hippodromes.
- Bah ! pensent d'Olhetre, d'Ascain, de Dancharia, qu'est-ce qu'on risque ?
Peu de chose sans doute ; pour importations de marchandises prohibées sans déclaration, la justice, qui s'appuie sur les articles 1 et 4 de la loi du 2 juin 1875, 41, 42, 43 de la loi du 28 avril 1816, 37 du titre VI de la loi du 21 avril 1818, prévoit :
"La confiscation des marchandises, des moyens de transport et des marchandises servant à masquer la fraude, une amende égale à la valeur des objets introduits en fraude, mais sans pouvoir être au-dessous de 500 francs (plus les décimes) et un emprisonnement de 3 jours à 1 mois."
Mais le vrai contrebandier ne passe pas par le poste, il suit les chemins détournés, il répond au délit d'importation en contrebande les articles 48 et 51 de la loi du 28 avril 1816, auxquels il est bon d'ajouter l'article 37 de la loi du 21 avril 1818, lui imposent une amende égale au double de la valeur des objets confisqués (avec un minimum de 1 000 francs, plus les décimes) et un emprisonnement variant de 6 mois à 3 ans.
DOUANES ARNEGUY - ARNEGI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sur la frontière d'Espagne, les passages d'auto sont rares. Les chefs de brigade disent en souriant :
- Les touristes sont les seuls fraudeurs en automobile.
Ainsi passent ces cigares noueux ces cigarettes dénouées. Les autres frontières connaissent mieux le ronflement des moteurs. La douane a aussi ses voitures. Voitures puissantes, capables d'assurer les plus vives poursuites.
Pourtant à l'origine !... A l'origine ce fut courtelinesque. Je m'excuse de traverser la France d'un trait de plume, mais voici la chose :
Après la guerre, le directeur d'un service du Nord signala - fut le premier à signaler - la recrudescence de la fraude et l'emploi d'automobiles puissantes, capables de franchir tous les barrages.
Il demandait avec insistance, mais aussi respectueusement, de voir au plus vite les brigades dotées de voitures, car, disait-il, "les fraudeurs passent aujourd'hui la frontière avec des engins puissants, capables des plus grandes vitesses, et nos hommes n'ont d'autre ressource que de tirer dans les pneus, ce qui ne réussit pas toujours".
L'administration centrale comprit le danger, et n'hésita pas une minute à expédier ses agents... une voiturette de 5 CV - la plus légère, la plus inutile, la plus ridicule des voiturettes.
Il ne faut pas trop sourire, un grand pas venait d'être fait.
Cet ancêtre débile des voitures douanières a son mérite ; aujourd'hui, des 40 CV sont à la disposition des brigades mobiles.
Revenons aux Pyrénées.
Le lieutenant de douanes Gougy se promenait dans le bois de Saint-Pée, lorsqu'il vit venir à lui une auto suspecte. Il était seul, il ne put qu'esquisser un geste, l'auto le dépassait par la portière, le canon d'un revolver était braqué sur lui. Les flibustiers n'aiment pas les gêneurs. L'auto, pourtant, était repérée, elle devait se faire prendre deux mois plus tard, grâce au sang-froid du brigadier Béhocaray, qui, sur la route de Cambo, n'hésita pas à mettre sa voiture en travers, de la trajectoire de l'auto fantôme.
Trois hommes sautèrent sur le talus et disparurent.
Guérillas perpétuelles. Chaque jour la tactique change, chaque mois un fait nouveau se produit, qui force la douane à prendre de nouvelles précautions.
Il y avait jadis le coup du cercueil, l'enterrement mélancolique, où une caisse d'alcool était respectueusement saluée par les corps de douanes au garde à vous. Le coup du cercueil est mort. La liturgie romaine, la prière des morts ne peuvent plus masquer la contrebande.
Il y avait aussi cet orphéon aux cuivres éclatants dont chaque piston contrebasse ou trombone était lourd de pas redoublés et de dentelles... Ce n'est qu'une image d'Epinal.
Il y a l'enfant si tendrement enveloppé de dentelles de prix. La jeunesse n'est même plus une excuse.
Mais cette femme, qui passait chaque jour la frontière en poussant une voiture d'enfant, s'est laissée prendre par un douanier, père d'une famille nombreuse, qui aimait caresser les joues roses des nouveau-nés. Le bébé si tendrement promené n'était qu'un jambon de huit kilos. La contrebande pyrénéenne offre moins de ressources que toute autre, parce que les passages sont abrupts, les "ports" escarpés, les vallées facilement bouchées.
Du pays basque, il faut passer en Andorre et, plus loin, près de Cerbère.
Les cimes neigeuses sont économiques.
Qui donc risquerait la longue course de Panticosa au lac de Gaube par la brèche de la Bodette?
Un colporteur seul pourrait le tenter ; le bénéfice de cinq kilos de cocaïne le paierait assez des risques et des fatigues de sa course.
Aussi voit-on toutes les affaires éclater autour de Sare, d'Ascain - depuis Roland, Roncevaux a perdu en gloire..Les raillères y sont nombreuses et l'on peut facilement s'y cacher, et puis, surtout, il y a cet esprit fraudeur collectif de tous les frontaliers du pays basque.
C'est, si j'ose dire, un passe-temps national qui n'implique nullement un esprit rebelle, mais un état de fait.
La tentation est aux portes des villages comme une sonnette que l'on tire.
Ainsi, l'intérêt s'éparpille sur cent petites affaires sans importance, mais qui trahissent une habitude séculaire.
Les passeurs de bestiaux connaissent le zèle de la brigade de l'Espelette ; les fraudeurs d'alcool butent contre les douaniers de Sare.
C'est un peu comme ces grands matches internationaux de football où chaque joueur est marqué par un joueur du camp adverse.
Chaque douanier connaît un contrebandier ; il faudrait imaginer un fraudeur naïf, pour concevoir qu'il ne connaîtrait pas tous les douaniers.
Dans chaque camp, puisque la vie est ainsi faite, flotte une estime méfiante et réciproque.
Dans les soirs d'hiver où tout trafic est impossible, les deux camps signent une trêve. Les présomptions ne valent jamais un flagrant délit.
Alors, dans les auberges basques, douaniers et fraudeurs se côtoient, s'observent, racontent des histoires, les hauts faits de leur palmarès.
DOUANIERS BIRIATOU - BIRIATU PAYS BASQUE D'ANTAN |
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