LE CLOÎTRE D'URDAX EN 1920.
Urdax est une commune Navarraise, dans le Baztan, située à 80 kilomètres de Pampelune, la capitale de la province de Navarre.
Voici ce que rapporta le journal Le Figaro Supplément Dimanche, dans son édition du 1 août
1920, sous la plume de Paul Faure :
"En voyage.
Un cloître inconnu (Urdax).
Prendre au hasard un sentier, sans but, pour le simple plaisir de se promener, pousser une porte banale et se trouver tout à coup devant une chose tellement enchanteresse qu'involontairement une exclamation monte aux lèvres, quel plaisir ! Cette sensation d'enthousiasme, je la dois à un cloître d'Espagne; bien que situé à deux pas de la frontière française et de la route dont les lacets mènent à Pampelune, en passant par Elizondo, pays de Carmen, il est à peine connu et les guides se contentent de le mentionner en deux lignes. Rien de plus secret que l'endroit où se cache ce cloître abandonné. Les capucins de San-Norverto, qui l'édifièrent au dix-septième siècle, le choisirent sans doute pour son éloignement de toute cité, pour les murailles que lui font les montagnes, pour sa profondeur de bas-fond arrondi en cirque et dont l'accès exige quelque fatigue.
ELIZONDO NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je venais de quitter le village basque d'Ainhoa. Le soleil était si chaud, la route si sèche, si nue, que j'allais m'en retourner lorsque j'aperçus à droite, sous des chênes bas, un sentier qui avait dans ses sinuosités je ne sais quoi de paresseux qui allait à merveille avec la lenteur indolente de ces chars à bœufs particuliers au pays basque et dont le conducteur marche toujours en chantant. Je le pris. Le sentier descendait, franchissait un pont de pierre, puis s'arrêtait devant un vieux village, dont les maisons aux portes ogivales étaient surmontées presque toutes d'un écusson armorié. Je sus par une inscription qu'il s'appelait Urdax. Autour de ces maisons, tout près, la montagne couleur de vieux bronze dresse un rempart si fermé, si sauvage, qu'on ne peut croire qu'après, il y ait des êtres, des régions habitées, de la vie. Je demandai à ce passant si ce village contenait une curiosité quelconque, il me répondit : aucune. Je voulus tout ou moins voir l'église. Je la trouvai sur une sorte de place très longue, entièrement veloutée par l'herbe. Massive, carrée, ridée, sans autres ouvertures que des espèces de meurtrières percées très haut, elle avait l'air rébarbatif. Je voulus ouvrir la porte, elle était verrouillée; j'allais partir, lorsque j'aperçus dans un bâtiment long, bas, collé à l'église, une autre porte, qui était entrebâillée. Je la poussai.
URDAX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Où suis-je ! Se peut-il qu'en une seconde le décor ait changé à ce point ! Derrière moi, à trois pas, cette place de village aveuglante de soleil, puis brusquement ceci...De quelles verrières tombe la lueur verdâtre qui règne en cet endroit; à travers quelles nappes d'eau marine passe-t-elle, de quelles dalles monte cette fraîcheur de souterrain; et ce silence qui a l'air d'attendre du mystère, d'où vient-il ?...Est-ce la fantaisie d'un rêveur qui a composé ce lieu romanesque, ou le hasard; est-il la demeure d'un poète épris de silence ou de quelque princesse recluse; et n'est-ce pas sacrilège d'y entrer?...Lieu enchanté !...Il me donne cette sorte de saisissement qui vous force à parler bas une fascination telle en émane que je n'ose avancer il me semble que le moindre de mes mouvements, le moindre bruit, ne serait-ce qu'un éclat de toux, briserait l'extraordinaire charme au pouvoir duquel sont toutes choses ici et en brouillerait cette lumière mystérieuse que je n'ai vue nulle part ailleurs. Le cloître ! Haut et carré, entouré de deux galeries superposées au milieu desquelles a grandi un faible jardin, tout en cette pierre du pays qui est exactement rose, il est sans architecture, sans sculptures, sans ornements, il est même d'une simplicité qui indiquerait que ses constructeurs étaient pauvres; et sa beauté pourtant est incomparable. Des éléments occultes, les siècles, l'abandon, l'humidité la composèrent, mais on dirait qu'une main en dirigea sans cesse le lent travail, qu'une volonté tenace voulut qu'ils fussent les seuls artistes de ce lieu, tout en le préservant de l'effondrement et de la ruine. Ce cloître, quand on le regarde bien, il semble qu'il n'ait été qu'une armature dressée jadis pour recevoir les coloris que lui mettraient les saisons et les siècles, qu'un moyen de voir quelles beautés saurait en faire le temps. Et maintenant, le chef-d'œuvre est à son point de perfection, à ce moment fragile où les choses semblent donner dans un effort suprême leur plus grande beauté, à cette limite au delà de laquelle commence l'effritement.
URDAX NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Rien de plus silencieux que l'aspect du jardin qui, lentement, a poussé à l'ombre de ces murs; mais peut-on appeler jardin quelques arbustes d'où fuse un magnolia, dont les feuilles vernies comme du caoutchouc semblent faire un effort désespéré pour dépasser ces murs et atteindre la vaste lumière qui est pourtant là, si près? Le vent, qui n'est jamais descendu ici, ne les a pas contrariés, aussi ont-ils poussé droit, mais la privation de lumière, l'humidité du sol, l'étreinte de l'ombre leur ont donné un je ne sais quoi d'étiolé que n'ont pas les arbres venus au grand air, un aspect de consomption, un air mélancolique, comme le regret d'avoir vécu dans un endroit qui est presque ce quelque chose de si particulièrement triste qui se, nomme un préau. Quand on sort de la galerie d'en bas pour voir le ciel, on a l'impression d'en regarder l'azur du fond d'un puits. Autour de la galerie supérieure, sur la balustrade, un pot de géranium vif rouge est posé ; dans ce décor d'abandon, cette plante éblouissante est seule à indiquer une présence humaine, et on ne sait pourquoi elle a l'air, toute seule là, si seule, d'appartenir à un prisonnier. En bas, c'est le domaine de la mousse et de l'humidité. Je fais quelques pas sur les dalles dont l'une est un tombeau; lentement, je fais le tour de la lueur verdâtre. Dans le mur, deux portes presque démolies donnent sur des couloirs déserts et pleins d'ombre; si je laissais aller mon imagination, j'aurais presque peur, tant est complet le silence, tant sont sonores les échos de mes pas, tant sont menaçantes ces portes béantes sur de la nuit sinistre. Mais voici qu'un pas, un pas qui n'est pas le mien, vient de résonner sur les dalles; et c'est tellement inattendu que je ne puis réprimer un sursaut, rapide comme l'effet de la terreur. Une vieille femme, dont le dos courbé est recouvert d'un long châle noir, s'avance, vient à moi, fait de sa main droite qui tient une énorme clef, un geste circulaire, tremblant, lent, puis me dit sans préambule, comme se parlant à elle-même : "Le cloître." Gardienne de ce lieu désert, habitante de la galerie où brille le géranium, on ne sait?...Le cloître, répète-t-elle puis, silence; après une respiration longue, la voix cassée qu'un souffle court arrête à chaque mot, reprend et dit : "Autrefois, des moines habitèrent ici; ils étaient pauvres, ils vivaient de la charité publique. Pendant deux siècles, ils eurent la paix; puis vint la guerre carliste, alors le cloître servit de caserne et d'arsenal; le général Zumalacarréguy avait dans les moines, des soldats dévoués, prêts à défendre le drapeau de son maître Don Carlos, puis, quand le roi Charles V fut vainqueur, il les chassa. Zumalacarréguy mourut au siège de Bilbao; et depuis, le cloître est seul, et personne, jamais, ne vient le visiter, personne." Ces choses du passé, elle les a dites lentement, en épelant les syllabes, en les détachant une à une, donnant l'impression qu'à chaque mot, il lui fallait faire provision de souffle. Au nom du général illustre, de celui qu'un poète appela L'homme à la grande épée, du soldat dont les hautes qualités furent ternies par des actes cruels, la voix faible s'est arrêtée comme si la vieille femme avait voulu fixer sa mémoire un instant sur les souvenirs lointains du Carlisme, puis elle s'est tue tout à fait. Un instant la vieille reste là, exténuée, les coudes à ses hanches maigres, son visage couleur de buis tourné vers les arbres, et elle va vers une des portes sinistres, puis s'accroupit sur la pierre, à l'entrée de l'ombre.
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Mais que vois-je? En face, sur le balustre de la partie supérieure, une tache rose vient de se former; on dirait une fleur qui vient d'éclore; la tache grandit puis bouge lentement, devient d'un rose de flamme de Bengale; un instant je suis là, fasciné ; je n'avais point reconnu le soleil. Rien n'a plus de mélancolie que ce soleil qui entre à pas sourds, pose une fleur vermeille sur la pierre, continue son court trajet sur ce balustre et s'en va, disparaît peu à peu, telle une buée qui s'évapore.
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Je pense à ceux qui vécurent ici....Quel prix devait avoir pour les solitaires de ce cloître ce soleil du soir qui arrive discrètement et ne fait que passer ! Avec quelle tristesse' ils devaient regarder défleurir la pâle tache rose !
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