M.WEBSTER, UN ANGLAIS, AMI DE LA FRANCE ET DU PAYS BASQUE EN 1902.
Wentworth Webster, né le 16 juin 1828 à Uxbridge, en Angleterre et mort le 2 avril 1907 à Sare, en Labourd, est un prêtre anglican, collecteur des contes traditionnels du Pays Basque, érudit de langue anglaise, française et basque.
Voici ce que rapporta le journal Le Figaro, dans son édition du 16 septembre 1902, sous la
plume de Gaston Deschamps :
"Un Anglais Ami de la France.
Sare (Basses-Pyrénées), le 14 septembre.
Les Anglais — nous pouvons bien le dire sans excès de vanité — nous doivent une partie de la bonne réputation dont ils jouissent dans le monde. Nous ne perdons jamais une occasion de leur faire, comme on dit, "de la réclame". Depuis Voltaire, Montesquieu et Rousseau qui vantèrent leur politique et leur morale, jusqu'à Taine qui consacra dix ans de sa vie aux beautés de leur littérature, les grands écrivains, ceux qui parlent au nom de la France, n'ont eu que des grâces et des sourires pour nos voisins d'outre-Manche. Et même les publicistes français, pour leur faire plaisir, ont, sinon inventé, du moins développé, dans ces derniers temps, la fameuse théorie qui divise les races humaines en "Anglo-Saxons" très beaux, très bons, très grands, et en "Latins" fort décrépits. Il est difficile d'être plus aimable... Nous avons juré d'être polis jusqu'au bout, et nous avons toujours envie de dire, comme dans le duel loyal de Fontenoy : "Après vous, messieurs les Anglais !" Mais nous devons reconnaître que plusieurs Anglais ont pris soin, très galamment, d'acquitter la dette de reconnaissance que tous ces compliments leur imposent envers notre nation. Nous ne saurions oublier les courtois procédés de M. Bodley, dont le beau livre, intitulé France, a révélé des sentiments si sympathiques pour notre pays. Voici un autre exemple, rencontré dans la patrie de Ramuntcho et digne d'être présenté au lecteur ami.
Tous les lettrés connaissent — au moins de réputation — ce pittoresque bourg de Sare, où Loti a situé l'idylle de Ramuntcho et de Gracieuse. J'y suis allé, afin de vérifier l'exactitude des descriptions qui encadrent cette exquise et touchante aventure d'amour et de mort... C'était justement la fête du village. Quelques-uns des plus célèbres joueurs de "pelote" lançaient et recevaient la balle avec une adresse et une agilité pleines de gestes harmonieux. Cependant, je dois dire qu'il y avait dans l'air un peu trop de confetti, et que l'organiste des chevaux de bois tournait sa manivelle avec une insistance regrettable. Les basquisants convaincus, tels que Léon Bonnat, Edmond Rostand, Camille Bellaigue, Hermann-Paul, Charles Bordes, Emile Ducourau, gémissent de ces innovations. Ils s'opposent énergiquement à la contagion des divertissements parisiens ou "banlieusards" que certains touristes indiscrets enseignent aux garçons et aux filles de ce pays. Ils vénèrent la mémoire de feu M. d'Abbadie, membre de l'Institut et châtelain d'Hendaye, qui en mourant institua des fêtes destinées à maintenir la pureté et l'intégrité des traditions basques. A ce sauvetage intellectuel et moral de toute une province pittoresque et vénérable, nul n'est plus appliqué, plus consciencieusement dévoué que M.Wentworth Webster, Anglais, domicilié à Sare.
M. Webster, amoureux des voyages comme la plupart de ses compatriotes, vint ici pour y passer quelques jours. Voilà bientôt trente ans qu'il y demeure. Il a cédé aux inévitables sortilèges de cette contrée. Il a aimé la baie de Saint-Jean-de-Luz, pendant les jours d'été,
Quand chaque vague apporte au sable blond des grèves
Son ourlet de saphir et sa frange d'argent,
Les sentiers de montagnes, où grincent les charrettes à bœufs, et où piaffa peut-être le destrier de Charlemagne, entraînent sa studieuse rêverie, sous bois à travers la végétation touffue des fougères, vers les rochers où se répercuta la plainte du cor de Roland. Il a suivi le cours de la Nive, de la Nivelle, jolies rivières vertes, gaiement descendues, par monts et par vaux, du haut des sommets pyrénéens, sans cesse partagées entre l'impétuosité du gave natal et le mouvement régulier des marées, et offrant aux yeux des poètes, dans cette lutte intime qui fait frissonner leurs eaux, je ne sais quel charme d'hésitation et d'incertitude, comme si elles redoutaient les houles du golfe de Gascogne. M. Webster a très bien exprimé l'attrait doux et fort du pays basque, en des pages que plus d'un écrivain français pourrait lui envier :
... Où trouver une contrée où, toute l'année, on puisse aussi doucement se laisser vivre? Les grands froids n'y sont jamais à craindre; jamais les chaleurs n'y sont insupportables. Sur les côtes, la brise du large entretient une fraîcheur délicieuse. Dans les terres, le relief très accidenté du pays tempère l'ardeur du soleil, et ses montagnes massives lui font un abri contre les vents glacés qui balayent le plateau de Castille pendant la mauvaise saison.
Après ces justes considérations, sagement britanniques, sur les avantages que le climat de la Basse-Navarre, de la Soule et du Labourd offre à la culture et à l'hygiène de la plante humaine, M. Webster retrace un tableau fort exact de la province française qui est son séjour préféré :
Tel climat, tel pays. Il ne faut pas demander au pays basque les neiges, les glaciers étincelants des Alpes, leurs précipices vertigineux plongeant à pic dans l'abîme, leurs cascades vaporeuses. Mais les montagnes sont juste assez hautes pour encadrer dans la plus charmante proportion les vallées qui s'étendent à leur pied. La mer qui brise ses vagues sur le littoral est une des plus belles du monde. Elle n'offre pas les teintes sombres et ternes des eaux de la Manche ou du Nord; elle est claire et bleue comme le ciel qui se reflète dans ses profondeurs. Les rivières du pays basque, petites et presque inutiles à la navigation, ne le cèdent en rien, pour la grâce pittoresque, à celles des autres contrées. Le voyageur qui en veut suivre les bords, souvent perdus au fond de quelque vallée, loin des routes et des villages, les voit tantôt endormant leurs eaux transparentes dans des gouffres verts et profonds, au pied des falaises verticales, tantôt rejaillissant en écume perlée sur les rochers qui s'opposent à leur passage ; elles filent comme une flèche le long d'une étroite cluse, pour s'épancher en suite doucement sur les prairies riantes et parmi les bosquets de jeunes chênes, afin d'y trouver un repos qu'elles ne connaîtront plus une fois confondues dans les flots du tumultueux Océan.
Et M. Webster, célébrant les louanges de ce coin de France, conclut ainsi :
C'est une terre de prédilection pour l'artiste : elle abonde en sites "bocagers" et charmants. L'architecture de ses fermes et de ses "châteaux" rustiques est d'un style plus original que partout ailleurs en France. Quel contraste avec la monotonie des hameaux et des bourgs du Nord ! Une commune basque se compose en général d'habitations isolées, éparses sur le coteau. Souvent on est obligé de demander où se trouve le village, le centre de toutes ces maisons clairsemées. Il n'y a guère de stations maritimes plus jolies que celles qui s'échelonnent, sur ses rivages, de Biarritz à Bilbao. Elles rivalisent de grâce et de beauté.
On conçoit qu'étant animé de pareils sentiments, M. Webster ait conquis l'amitié de plusieurs Basques ou basquisants notoires. M. Gustave Leremboure, maire de Sare, et M. Mendiboure, adjoint, professent pour sa personne et pour ses écrits la plus vive estime. M. Amarin, instituteur, reçoit, chaque année, de sa part, des dons pour l'école de la commune, et lui témoigne, en toute occasion, la plus cordiale reconnaissance. M. Camille Jullian, professeur à la faculté des lettres de Bordeaux, membre du Conseil supérieur de l'instruction publique, vient de consacrer un article à ses travaux dans la Revue universitaire. Et, enfin, M. Vinson, le premier basquisant de France, honore M. Webster d'une particulière amitié.
C'est qu'en effet l'aimable Anglais de Sare ne se contente pas d'adorer le pays basque et d'en savourer les délices. Il prêche, comme une sorte de religion touchante, le culte de sa patrie d'adoption. Sur le chalet de son ami M. Mendiboure, à Sare, il a lu ces deux mots : Gauden Eskualdun! Ce qui veut dire : "Restons Basques !" Il a fait, de cette devise, la règle de sa conduite, et le texte de sa prédication. Il recommande aux riverains de la Bidassoa, contrebandiers ou joueurs de pelote, le respect de la couleur locale. Ce n'est pas sa faute si les danseurs et les danseuses de Saint-Jean-de-Luz ont quelque peu désappris le fandango, et si de bizarres flonflons remplacent, peu à peu, les naïves chansons d'autrefois :
Oiseau, joli chanteur, — Où donc chantes-tu ? — Depuis longtemps je n'ai point entendu ta voix. — Ni heure ni moment -- Je ne passe — Sans me souvenir de toi. Il est dans la mer — Une jolie chanteuse,— Si je ne m'abuse, — Qui s'appelle sirène. — Elle trompe — Ceux qui vont par la mer, — Comme moi, ma bien-aimée...
Ou bien:
Une fois que j'allais, — Par un chemin, — Olandabera vint vers moi, — Du mitan d'un bois. — Comme j'avais cent écu's, — II me les vola ; — Et il me vola aussi quelque chose que j'aimais mieux que cela : — Un mulet que j'avais avec moi... — Il me fit promettre — De ne rien dire à personne. — Seigneur, Dieu du ciel, — Je ne le dis qu'à vous, — Afin que vous fassiez pincer Olandabera.
Ces cantilènes, où se révèle l'âme passionnée, méfiante et narquoise du peuple basque, valent bien, après tout, les refrains de bouibouis que certains artistes en tournée vont beugler dans les cafés des villes de garnison, et dont le lamentable écho se prolonge, hélas ! pendant l'été, de plage en plage. M. Webster se plaît à entendre les vieillards, eu seuil des portes, sous les platanes, fredonner ces mélopées anciennes. Les airs et les paroles, inintelligibles au commun des mortels, lui sont un sujet de méditations sans fin. Il retrouve, dans ce passé lointain, dont la figure est presque aussi effacée qu'une vieille fresque, les physionomies avenantes qui, dès son arrivée au pays basque (il y a trente ans !) ont séduit ses regards et retenu son cœur. S'il se plaint du déclin des coutumes héréditaires et du discrédit où tombent les moeurs ancestrales, du moins il constate que, parmi tant de, métamorphoses, l'essentiel, le fond du caractère local n'a point changé :
Le bon accueil, l'amabilité que j'ai éprouvés pendant les premières années de mon séjour au pays basque ne m'ont jamais fait défaut ; ils n'ont fait qu'augmenter et qu'ajoutter à ma dette de reconnaissance pour ce bon, fier et religieux peuple basque chez qui j'ai vécu tant d'années.
M. Webster a amplement rendu aux Basques ce qu'il a reçu de leur bienveillante hospitalité. En mainte rencontre, il a prouvé sa connaissance profonde de l'histoire locale, la rigueur scientifique de son enquête, l'abondance et l'importance des résultats que son infatigable recherche a obtenus. En 1897, notamment, des juges fort experts ont pu apprécier les mérites de ce pèlerin passionné. Cette année-là, une exposition basque et une série de fêtes et de réunions furent organisées, à Saint-Jean-de-Luz, par la "Société d'ethnographie nationale et d'art populaire", fondée sous les auspices de MM. Gaston Paris, Paul Deschanel, Gabriel Hanotaux, André Theuriet, Xavier Charmes, Georges Lafenestre, le prince Roland Bonaparte, Henry Roujon, Arsène Alexandre, Armand Dayot, Dubufe, Régamey, etc. Parmi les communications sollicitées par ce congrès, la conférence de M. Webster sur "les Pastorales basques" fut l'objet d'une attention spéciale et d'une faveur marquée. Modeste comme tous les vrais savants, M. Webster a longtemps refusé de publier ses écrits. On vient enfin de le décider à faire imprimer quelques centaines de pages, qu'il n'a pas voulu mettre dans le commerce et qu'il distribue simplement à ses amis. Ce livre (intitulé discrètement : les Loisirs d'un étranger au pays basque) est un précieux répertoire de faits et d'idées, où se précisent, dans l'exactitude d'une méthodique notation, les poétiques intuitions et les rêves émouvants de Pierre Loti.
LIVRE LES LOISIRS D'UN ETRANGER DE WENTWORTH WEBSTER PAYS BASQUE D'ANTAN |
LIVRE LEGENDES BASQUES DE WENTWORTH WEBSTER PAYS BASQUE D'ANTAN |
Au moment où chacun parle de décentralisation et de régionalisme, et où le haut enseignement, le théâtre populaire, la mode parisienne elle-même encouragent le réveil des énergies provinciales, je n'ai fait que suivre le mouvement de l'actualité en signalant ce dévouement d'un Anglais, ami de la France, aux intérêts intellectuels et moraux d'une province française."
(Source : WIKIPEDIA)
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