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jeudi 1 février 2018

LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1929 (première partie)


LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1929.


Je vous ai parlé à plusieurs reprises de douaniers et contrebandiers, des douaniers en 1931, voici aujourd'hui un article sur les contrebandiers en 1929.


ascain autrefois
CIDRE DE CONTREBANDE ASCAIN - AZKAINE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le Journal des débats politiques et littéraires, dans son édition du 28 octobre 1929, en fit un 

article :


"La contrebande et les contrebandiers.

La frontière d'Espagne.



... "Quinze contrebandiers, échelonnés sur une cinquantaine de mètres, dans le noir épais de la montagne, sous l'arrosage incessant de l'averse nocturne... Tout à fait devant, chargés de marchandises d'un moindre prix, marchent deux hommes qui sont les éclaireurs..." On se rappelle cette page de Ramuntcho, ce défilé des vétérans de la contrebande, prenant des passages de chèvre, heurtant leur fardeau à des choses noires qui sont des branches de hêtre, chancelant, glissant des deux pieds, se raidissant, se rattrapant en piquant au hasard leur bâton ferré dans la terre... 



Il y a une région où la contrebande a encore du pittoresque, c'est celle de la frontière d'Espagne. Là, elle ne s'est pas pour ainsi dire industrialisée comme sur la frontière belge. Les hommes qui la pratiquent "l'ayant dans le sang", par un très ancien atavisme, n'empruntent que peu de procédés modernes. La plupart d'entre eux, pour qui la montagne n'a pas de secrets, usent toujours des vieux moyens. Moins occupés qu'autrefois, on retrouverait dans leurs rangs des figures caractéristiques comme le vieux chef de bande Itchoua et l'agile Arrochkoa, dessinés par Loti. 



Moins occupés ? Une raison majeure a diminué la contrebande : le cours de la peseta. Ce n'est pas la peine d'aller chercher en Espagne, des marchandises qu'on y paye plus cher qu'en France. Il n'en est que certaines qu'on a intérêt à faire passer frauduleusement. A cette atténuation, il y a aussi un autre motif : les habitants des villages de la frontière trouvent à s'employer honnêtement plus de facilités que jadis. Il s'en faut, toutefois, que la contrebande ait disparu et que la surveillance puisse se relâcher, bien que, pour des économies budgétaires, on ait réduit, dans une contrée dont la configuration rend la répression particulièrement malaisée, le nombre des agents du service actif de la douane, les uns ayant à explorer leur rayon d'action, leur "pantière", les autres formant des brigades ambulantes. Le Basque, notamment, de race nerveuse et souple, instinctivement indépendant, est né contrebandier : il le serait peut-être sans profit, par habitude, par tradition: "Faire les mêmes choses que, depuis des âges sans nombre, ont faites les ancêtres" est en quelque sorte sa devise. Il y a, dans Ramuntcho, le type de ce contrebandier amateur, ce Jean Detcharry, qui a de bonnes terres au soleil, mais qui a ce goût de la ruse, de la lutte, du danger. La vérité est, cependant, que ce type s'efface peu à peu, et que c'est pour le bénéfice qu'il attend de ses opérations que le contrebandier court des risques. 



Mais il est assuré d'une discrétion générale qui ressemble à une complicité. Est-il soupçonné et invoque-t-il un alibi ?. Personne ne le contredira ! Récemment, un fraudeur "professionnel" échappa à une embuscade, mais tout indiquait qu'il avait pris part à une expédition, et il fut interrogé. Il déclara qu'aucune imputation ne pouvait être portée contre lui, car à l'heure du soir où avait eu lieu le passage incriminé il était à confesse. Avec moins de grandeur d'âme que Mgr Bienvenu, des Misérables, car il connaissait l'homme et, sans doute, avait-il plus ou moins directement profité de son trafic, le curé du village, questionné pour la vérification de cette assertion, ne le démentit point. 



Ce curé était Basque lui-même et la contrebande, selon lui, n'était pas un gros péché. Il eût fallu, s'il eût eu d'autres idées, qu'il se montrât sévère pour toutes ses ouailles, car, s'il y a ceux qui font de la contrebande un métier, tout le monde, ou à peu près, fait de la petite fraude. 




Nous parlions d'atavisme. En 1794, les représentants du peuple en mission dans les Basses-Pyrénées estimèrent qu'ils avaient trouvé un moyen radical pour supprimer la contrebande qui s'exerçait avec les Espagnols, alors ennemis. Ils firent évacuer les villages d'Ascain, de Sare, de Biriatou, dont la population fut transportée ailleurs. Il n'y avait plus là que des déserts. Moins de quinze jours après, la contrebande était pratiquée, aussi active, sur les mêmes points de la frontière. 



ASCAIN 1900
FANDANGO A ASCAIN - AZKAINE
PAYS BASQUE D'ANTAN

On s'explique, par cette connivence, que les dénonciations soient très rares, malgré les garanties données au dénonciateur, dont, par les précautions prises en sa faveur, le nom ne peut être connu. S'il y a de ces avis envoyés à la douane, ils sont ou faux ou dérisoirement tardifs. Ils constituent quelque malicieuse vengeance contre les douaniers trop zélés, de façon à les faire accuser de négligence. Ce sont précisément les agents qui font avec le plus de conscience leur service qui sont ainsi exposés au reproche d'avoir manqué une bonne occasion de sévir. On n'ajoute pas toujours foi à ces captieuses informations ; on flaire leur perfide intention; mais il peut arriver aussi qu'un rapport suive toute la filière administrative et qu'il soit une cause d'ennuis pour ceux qui ont été taxés de mollesse, avant qu'ils aient été justifiés. 



C'est encore un personnage de Ramuntcho, un contrebandier retiré des affaires, qui dit philosophiquement "que la douane et la contrebande, dans le fond, ça se ressemble et que c'est jouer au plus fin et au plus hardi", mais Loti a un peu poétisé, en des tableaux riches de couleur, au milieu de paysages où se retrouve son don d'évocation, les contrebandiers. Ce n'est plus jouer au plus fin que d'employer comme représailles contre les douaniers et leurs chefs d'aussi vilains moyens. Il n'y a pas longtemps qu'une perquisition fut faite dans une maison qui servait évidemment de dépôt pour de l'alcool passé en fraude. On trouva les preuves de cette fraude. La perquisition avait été minutieuse et avait duré longtemps. L'homme à qui appartenait cette maison, fort dépité d'avoir été découvert, imagina d'accuser les douaniers de lui avoir volé trois mille francs. Cette accusation était absurde, mais elle était si nettement portée que les douaniers, si irréprochables qu'ils fussent, eurent, avant d'en être lavés, à s'en défendre, en subissant toutes les formalités judiciaires. 



Ce qui n'est pas non plus du Loti, et qui n'a rien de prestigieux, c'est le complot formé dans un village, non contre un officier de douanes, qui était de taille à se défendre, mais contre la femme de celui-ci. Elle sortait de l'église quand, par un accident simulé, elle fut entourée, pressée et meurtrie gravement. 



N'allons point dire, cependant, que ce sont là dès faits fréquents. Ils indiquent seulement cette tendance à voir dans la répression de la contrebande une sorte de persécution. Pour le montagnard pyrénéen, la contrebande n'a rien d'immoral ; elle n'est qu'un délit de convention. Des hommes qui le commettent sans aucun trouble de conscience peuvent, en d'autres circonstances, attester leur probité. C'est cette idée, ancrée dans leur cerveau, d'une persécution qui les pousse parfois à la lutte par la force, quand ils sont sur le point d'être pris, avec les douaniers. 



La contrebande a diminué comme quantité, pour les raisons que nous avons exposées, mais il y a toujours des contrebandiers. Selon un vieux dicton, si on demandait à un Basque de faire passer clandestinement un château-fort tout entier, avec son donjon, ses créneaux, son pont-levis, il ne réussirait peut-être pas, mais il entreprendrait l'affaire. 



Les bandes de Français et d'Espagnols ne se mêlent pas. Les unes et les autres "travaillent" de leur côté. Il en est à peu près ainsi non seulement en pays basque, mais tout le long de la frontière, où, selon son aspect, la douane a une ou deux lignes. Le décret de 1926 permet, d'ailleurs, d'en augmenter la profondeur. Dans la grande montagne, dans les Hautes-Pyrénées, la ligne a toujours été plus reculée. Là, l'hiver interrompt forcément les opérations ; la nature leur impose la plus sûre barrière.



L'Andorre fut, avant la guerre, la terre bénie de la contrebande. C'était le vrai métier qu'exerçait tout Andorran. Pour plus de sécurité, toute ébauche de route était détruite, pour que, dans les replis de la montagne, on ne put apercevoir de loin les porteurs de ballots. Il y avait des bandes rivales qui, près de la frontière, usaient d'aventure, d'un artifice ingénieux. L'une de ces bandes, distinguant des concurrents qui s'avançaient, faisait avec entrain pétarader des fusils, en tirant en l'air. L'autre, croyant à un engagement avec les douaniers et redoutant pour elle-même le danger, prenait la fuite, abandonnant une partie des ballots, dont la première s'emparait doublant ainsi, ou presque, la valeur des charges transportées, et à bon compte. Elles consistaient principalement en tabac et en tissus, mais, là aussi, l'élévation des cours du change s'est trouvée être moralisatrice, et a restreint la contrebande mieux que ne l'eussent pu faire toutes les mesures de police. 



Dans la région basque, où nous allons la suivre, elle a surtout pour objet l'alcool venant de Navarre (car, en traversant l'autre province limitrophe espagnole, le Guipuzcoa, il aurait des droits à acquitter). C'est de l'alcool de maïs, à 90 degrés, laissant un bénéfice d'une dizaine de francs par litre, si l'entreprise réussit. Ce sont aussi des passages de moutons et de chevaux, malgré une réalisation difficile. La plupart de ces contrebandiers-là, hardis, aventureux, agiles —c'est un proverbe qu'on ne rattrape pas un Basque qui a sur vous deux mètres d'avance — sont demeurés du type classique ou plutôt romantique." 







Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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