LA COMTESSE DE NOAILLES CHEZ EDMOND ROSTAND EN 1903.
La Comtesse Anna-Elisabeth de Noailles, née Bibesco Bassaraba de Brancovan, est une poétesse et une romancière française d'origine roumaine, née à Paris le 15 novembre 1876 et morte également à Paris le 30 avril 1933.
Voici ce que rapporta le journal Les Annales Politiques et Littéraires, dans son édition du 3
mai 1925, sous la plume de Paul Faure :
"La Comtesse de Noailles chez Edmond Rostand.
Notre collaborateur Paul Faure, qui vécut longtemps à Cambo dans l'intimité d'Edmond Rostand, nous adresse les notes suivantes que nous sommes heureux de publier, et dans lesquelles, racontant une visite de l'illustre poétesse à l'illustre poète, il montre Mme la comtesse de Noailles au naturel.
La semaine dernière, dans un salon de Biarritz, on parlait de la comtesse de Noailles à propos de la rosette d'officier de la Légion d'honneur qu'elle a reçue dans la promotion Ronsard. Un journal, qui publiait son portrait à côté de celui d'Edmond Rostand, traînait sur une table. Quelqu'un le prit et demanda si le poète des Eblouissements était venu quelquefois à Cambo chez le poète de Chantecler. Je n'eus pas à chercher longtemps dans ma mémoire pour y rencontrer deux souvenirs qui répondent à la question.
COMTESSE DE NOAILLES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le 20 mars 1903 est une date dans ma vie, un point brillant. Dans lie wagon d'un train d'Espagne, je trouvai un volume qu'un voyageur y avait oublié. C'était La Nouvelle Espérance, le premier roman de la comtesse de Noailles, paru trois jours avant. Je remportai et le lus le soir même dans la petite ville de Guipuzcoa, où j'étais descendu. Passerai-je beaucoup de soirées comme celle-là, dans un tel enthousiasme, dans une telle frénésie d'admiration ? A vingt ans de distance, pour que la sensation d'enivrement que j'éprouvai me revienne quand je pense à La Nouvelle Espérance, il faut que le génie de Mme de Noailles ait quelque chose de bien particulier. Ce serait lui faire injure que de douter que par ses vers elle ne soit l'égale des plus grands lyriques. Ses poèmes sortent d'un souffle sublime, d'un éclair inouï.
EDMOND ROSTAND CAMBO - KANBO 1908 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Deux jours après ma lecture de ce livre féerique, je rentrai à Cambo, où j'habitais alors. J'avais pour voisin Edmond Rostand, qui, convalescent d'une pleurésie, était venu s'y installer sur les conseils du docteur Grancher. J'allais le voir chaque jour, dans sa villa Etchegorria ; et il va de soi qu'à mon retour de ce voyage en Espagne, mon premier soin fut de lui parler du livre de la comtesse de Noailles. Je me souviens qu'il nous le lut le soir, à table, et avec un enthousiasme qui égalait le mien. Rostand allait d'instinct à ce qui est beau ; et quand il avait une admiration, il voulait la communiquer aux autres. Généralement, les hommes de grands dons, n'admirent guère, soit qu'ils se sentent supérieurs à tous les talents, soit que la jalousie, qui fleurit aussi bien en haut qu'en bas, les contraigne au silence. A cette règle, Rostand faisait exception. Et jamais il n'admirait sans expliquer les qualités par où une oeuvre brillait, les défauts par où elle péchait. S'il n'eût été un merveilleux créateur, il eût fait un remarquable critique.
Les années passent. Rostand se plaît à Cambo, d'autant plus que sa santé s'y améliore. Aussi décide-t-il d'y bâtir une maison. C'est Arnaga.
PIGEONNIER D'ARNAGA CAMBO - KANBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Arrive 1914. La guerre. Arnaga subit les remous de la débandade de Paris. De nombreux amis de Rostand sont venus lui demander refuge dès les premiers jours de la marche des Allemands sur la capitale.
Au pays basque, c'est, comme ailleurs, un éparpillement général des êtres et des choses. A ce moment, il y a dans chaque foyer, dans chaque existence, un brisement plus ou moins complet. Rostand, tout à ses hôtes et à un hôpital qu'on vient d'installer à Larressore, village voisin de Cambo, a renoncé à travailler; il est tellement crispé par l'attente des événements, qu'il ne tient plus en place. Il va, vient, à travers la maison, sans but.
AUBADE A ROSTAND CAMBO - KANBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le mois se passe ainsi. Heureusement, dès les premiers jours de septembre, c'est la Marne. Puis, une radieuse présence va détendre un peu nos anxiétés.
Rostand me dit, un soir :
— Tenez, vous qui admirez tant Mme de Noailles, vous allez être servi à souhait. Elle vient demain à Arnaga pour y passer quelque temps.
ERTCHEGORRIA DE ROSTAND CAMBO - KANBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le roulement soyeux d'un auto sur le sable, le grincement des freins, le claquement de la porte qu'on ouvre vivement; puis, sans transition, dans le vestibule sonore d'Arnaga, un tumulte, un bruissement de vie, des voix, des petits cris, des exclamations, un brouhaha.
Nous nous précipitons.
Deux personnes seulement; et encore l'une d'elles, occupée à ranger des valises que lui remet le chauffeur, ne souffle mot.
Rostand me présente à Mme la comtesse de Noailles.
Ce n'est point instantanément, certes, que je pourrais me faire une idée du visage de Mme de Noailles. Je m'applique à en saisir au vol un aspect, une vue d'ensemble, mais vainement. II apparaît et disparaît tour à tour, selon que les pans d'un vaste voile bleu qu'elle ne cesse d'enrouler et de dérouler autour d'elle le couvrent et le découvrent. Teint, ligne des traits, je ne discerne pas; mais à la faveur des espèces d'éclairs que font l'enroulement et le déroulement du voile, j'ai surpris les yeux : vastes, pareils à des foyers d'étincelles, les plus beaux yeux du monde.
En vingt minutes, Mme de Noailles nous a, dans une crépitation électrique de paroles exactes et colorées, raconté le difficile voyage de Paris à Cambo ; les foules affolées, l'encombrement des hôtels, l'engorgement des routes. Son étonnante précision verbale fait passer tout cela devant nos yeux, met autour de nous l'atmosphère du dehors tourmenté.
Au salon, où Rostand l'a entraînée pour qu'elle se repose, elle continue à planter devant nous les mille petits tableaux de son voyage. Tout en parlant, elle jette la longue soie bleue de son voile, se débarrasse des épaisseurs argentées de ses fourrures; et elle en sort révélée, si différente par sa minceur, brusquement scintillante par les broderies dorées d'une blouse sur laquelle s'évase l'ornement oriental d'un collier d'ambre. Pareils à des raisins muscats, les grains énormes ne cessent de glisser entre ses doigts, qui semblent, en même temps, pétrir des fleurs, d'où s'exhalerait cette odeur de géranium dont les méandres vont et viennent autour d'elle, et qui est son parfum préféré.
Très souvent, les êtres qui manifestent les plus beaux dons, une plume à la main, sont, dans la conversation, ternes et même muets. On dirait qu'en écrivant, ils ont épuisé leur sève et que le recueillement du silence ou la détente des propos quelconques leur est nécessaire ; ils ne sont, semble-t-il, exceptionnels que par une sorte d'intermittence.
Avec la comtesse de Noailles, rien de tel. Le moindre sujet happé par son éloquence se révèle sous des aspects que personne n'avait aperçus, découvre des horizons insoupçonnés du plus perspicace. Mme de Noailles a tout le clavier, elle joue avec aisance de toutes les notes qui le composent. Ceci m'amène à plaindre ceux qui, ne l'ayant pas approchée, ignorent certains côtés de son esprit, invisibles dans son oeuvre : par exemple, son sens du comique, qui est prodigieux. Et je pense à la moisson que ferait celui dont les soins recueilleraient le ruissellement de sa parole. Tant de rares propos jetés au hasard ! Tant de joyaux semés, aperçus un instant dans une fulguration et oubliés à jamais ! Quelle richesse perdue !
Je m'attristais de ce regret, en regardant la comtesse de Noailles aller et venir dans le jardin d'Arnaga, au milieu de ceux dont l'attitude disait assez qu'ils étaient à ce point attentifs à elle que toutes les splendeurs étalées par le couchant sur le jardin et le paysage n'existaient pas pour eux. Certes, plus émouvante que le jardin et que le soir était la contemplation de la miraculeuse femme. Silhouette de petite fille, si fragile d'aspect, et sur laquelle, pourtant, reposent les immensités de la pensée et de la poésie. Frêle et magique archet par lequel nous en sentons toutes les puissances.
Pendant le séjour de Mme de Noailles à Arnaga, nous visitâmes plusieurs fois l'hôpital de Larressore, que dirigeaient Mme Louis Barthou et le médecin-chef, le docteur Jacquemin. Je voulus l'initier au pays basque, mais elle m'avoua que son enthousiasme pour la nature était fini ; que les paysages, si beaux qu'ils soient, ne l'intéressaient plus; qu'elle ne se passionnait désormais que pour les êtres, les mouvements de la pensée et toutes les énigmes entre lesquelles nous cheminons.
HOPITAL SANITAIRE LARRESSORE - LARESORO PAYS BASQUE D'ANTAN |
HOPITAL SANITAIRE LARRESSORE - LARESORO PAYS BASQUE D'ANTAN |
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