LE CHÂTEAU DE BIDACHE.
La première mention du château ducal de Bidache, appartenant à la famille des seigneurs de Gramont, remonte à 1329.
Dans son histoire, il connaîtra de nombreux événements, avant de brûler en 1796.
Voici ce que rapporta La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, dans son édition
du 21 novembre 1931, sous la plume de René Cuzacq :
"Sur les rives de la Bidouze.
Les deux incendies du château de Bidache.
Venant des crêtes du haut pays, la Bidouze naît au Trou du Sorcier par un bel exemple de résurgence des eaux dans les terrains calcaires. Au sud surgissent des pics déchiquetés et des vallées profondes, des rouges poudingues se déchiquètent en ruiniformes escarpements.
CHÂTEAU DE BIDACHE - BIDAXUNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais bien vite la Bidouze quitte ce monde de la haute montagne : un premier plateau vallonné de 750 à 800 mètres, une seconde surface d’érosion analogue de 500 à 300 mètres, telles sont les formes de relief du Pays Basque à travers lesquelles elle déroule ses méandres puissants en s’en allant vers le nord, laissant à sa droite les landes et bois des Arbailles, puis la chapelle Saint-Antoine et le col très bas d’Osquich vers le Saison. Par les croupes voisines s'encaissent les ruisseaux aux innombrables moulins. Dans un vaste et fertile sillon marneux, Saint-Palais apparaît, mirant dans ses eaux blanches les diverses architectures de ses maisons aux types variés. Tout à côté, Garris conserve la rustique demeure où séjourna Jeanne d’Albret, à l'orée de ce Pays Basque réfractaire à ses prédicants de la Réforme. Domezain conserve encore son église fortifiée, ou Aroue ses sculptures romanes.
SAINT-PALAIS DONAPALEU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais en bordure des landes de Mixe, où les chênes têtards se mélangent aux ajoncs, parmi les ravines et les fermes blanches, la Bidouze ralentit son cours et s’alanguit paresseusement en grandes boucles pour achever les 85 kilomètres qui marquent son existence.
SOURCES DE LA BIDOUZE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et voici qu’en aval du confluent du Libourg, dans une proximité relative des célèbres carrières qui gardent la belle pierre à grain fin, d'imposantes ruines se dressent sur un pédoncule qui porte le nom glorieux de Bidache.
CARRIERES DE CAME PAYS BASQUE D'ANTAN |
Toute cette basse Bidouze formait en effet jusqu’à 1789 le domaine de la maison de Gramont : sur une certaine partie de la petite contrée, ils y étaient souverains, seuls seigneurs et maures, petite enclave minuscule au sein du royaume, comme les Grimaldi à Monaco ou la République de San Marin en Italie ! La puissance du roi de France expirait à leurs frontières : en 1611, rien ne put empêcher le chef de la maison de condamner à mort et de faire exécuter la femme infidèle entrée dans sa maison, Louise de Roquelaure; sous Louis XIV, les tentatives du Parlement de Pau se brisèrent contre la volonté des ducs. Par habileté et fatale nécessité, les Gramont servaient alors la royauté française : comme leurs ancêtres du Moyen-Age avaient guerroyé en Aragon et en Navarre, ils furent au service de nos rois hommes de guerre, diplomates, maréchaux ; l’un d’eux allait à Madrid demander la main de Marie-Thérèse; un autre, devenant un héros aussitôt célébré en prose et en vers, passait le Rhin à la tête de nos armées; leur descendant était ministre des Affaires étrangères en juillet 1870. Comment oublierions-nous aussi la belle Corisande d’Andoins qui reçut à Bidache, au dire de la légende, les vingt-deux drapeaux que son royal amant Henri IV avait pris au soir de Coutras ? Que de réceptions princières et fastueuses eurent lieu à Bidache ! Mais surtout nous n'oublierons pas davantage le rôle immense joué par la maison de Gramont dans l’histoire bayonnaise, labourdine et même basque tout court : ces fastes, glorieux entre tous, M. de Jaurgain les racontait des origines à nos jours dans un gros volume, tiré à quelques rares exemplaires, dont l’un d’eux lut offert par le duc à la bibliothèque municipale de Bayonne il y porte le numéro 546.
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Pourquoi donc, cependant, sur cette colline arrondie qui est l’un des hauts lieux de l’histoire basque et de l’histoire de nos contrées, le château des Gramont n'est-il plus qu’une ruine ? A deux reprises, la noble demeure fut en effet la proie des flammes — et nous sommes à même de préciser aujourd’hui quelque peu la date de ces incendies.
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Le premier eut lieu en 1523. Les documents découverts récemment par M J. Aubert et dus à la plume fidèle de Pierre Martyr d’Anghiera, le sage conseiller de Charles Quint, montrent qu’en septembre de la dite année les Espagnols firent une première attaque contre les remparts de Bayonne. Mais la grande invasion se produisit à la fin de 1523, avec l’intention éventuelle de rejoindre plus tard, et s’il était possible, l’autre armée espagnole attaquant la Provence. Par les Pyrénées couvertes de neige, l’armée d’invasion prenait Mauléon ; Sauveterre succombait le 16 décembre, mais déjà l’entreprise se révélait impossible. La retraite commençait, semant partout les dévastations et les ruines : Sordes, Peyrehorade, Hastingues furent ainsi brûlés par les incursions des Espagnols. Le 19 décembre, les 24 000 hommes de Philibert de Châlons, prince d’Orange, sont à Saint-Palais; le 26, ils sont à Ustaritz. C'est entre temps que le courage héroïque des 300 défenseurs de Bidache a osé leur barrer la route : le feu est mis partout, les habitants massacrés, la garnison passée au fil de l’épée. Dom Arnaud de Gramont, oncle de Jean II, fut au nombre des victimes. Peu après, de Ludde rendait honteusement aux Espagnols regagnant leur pays la ville de Fontarabie occupée depuis 1521 par les Français !
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Ainsi disparut en décembre 1523 le moyenâgeux château de Bidache. Qu’étaient ses tours et ses remparts, ses créneaux et ses mâchicoulis? Nous ne le saurons jamais : nulle miniature de parchemin ne nous a conservé la vue de la féodale demeure.
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Dès 1530 commença sa reconstruction. Antoine 1er la continua ; elle se continua au XVle siècle, au temps d'Henri IV puis de Louis XIII. Une belle bibliothèque s'y trouvait et aussi des armes que la municipalité de Bayonne fit enlever en 1790. Avec la Révolution prit fin la souveraineté de Bidache, attestée dès 1205, après une histoire de six ou sept siècles. Avec la guerre d'Espagne, l’Etat installa au château un hôpital militaire. La somptueuse bâtisse avait été si bien pillée qu'une commission d’enquête fut nommée. C'est alors que par une nuit de mars 1796, dans des conditions mystérieuses, brûla pour la seconde fois le château. Les gens du pays racontent encore comment le feu fut mis par le sous-régisseur qui, pris de remords, se noya peu après dans la Bidouze.
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C'est ici que nous sommes à même d’apporter quelques précisions. Sur notre demande, ce prêtre intelligent et même un tantinet original et brusque, qui s'appelait l'abbé Phésans, voulut bien faire quelques recherches sur cet incendie mal connu, dont la date exacte était même contestée. Il nous trouva "le document Lucet" : il s’agissait d'une lettre écrite d'Espagne par M. de Gramont que possédait Madame Duclerc, fille de l'ancien fermier général des Gramont et qui existait parmi les documents détenus par M. Samanos. M. l'abbé Phésans découvrit aussi une lettre antérieure du 26 mars 1796, toujours de M. Lucet, conseil de M. Gramont, écrivant à M. Samanos qui s’était fidèlement offert à être le fermier général de M. de Gramont. M. Lucet demande à M. Samanos de faire un procès-verbal de "l'horrible incendie" qui vient d'avoir lieu et d’en rechercher les auteurs. Il lui recommande de faire ce procès-verbal en présence de l’agent national et des membres de la municipalité du canton — ces éphémères municipalités cantonales créées par la Constitution de l’an III. Qu’il agisse de concert avec les Daudignon, intendant des Gramont. Ce document est daté du 26 mars 1796.
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En rendant hommage à la mémoire de M. l’abbé Phésans, rappelons aussi avec lui que le bourg de Bidache posséda un corps de chanoines institué par Corisande d’Andoins. En dehors de quelques documents d’archives, du brillant passé de la petite ville lié à celui de l'illustre famille des Gramont, il ne reste là-bas que "le cimetière des Juifs, une porte très abîmée d’une vieille maison sans doute israélite, quelques ruelles et des ponts antiques, et une assez curieuse serrure à la maison Samanos". La crypte funéraire des Gramont est située sous le maître-autel de la crypte paroissiale : plusieurs cercueils vermoulus ont été recueillis dans une ou deux grandes bières, dépourvues de sculptures. Rien n’est moins certain qu'une vague tradition attribuant à 1793 la destruction des tombeaux sculptés. Le dernier cercueil qui y repose est celui de l'officier aviateur Sanche de Gramont, tombé dans les lignes allemandes durant la dernière guerre, son portrait figure au Musée régionaliste de Pau. Par une faveur sans doute unique dans l'histoire de la guerre, à la suite de l'intervention de son père feu Arnaud de Gramont, membre de l’Institut, Guillaume II permit que le corps de l'héroïque victime fût renvoyé en France au cours même des hostilités : il fut confié à la crypte de Bidache.
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Mais les ruines du château brûlé en 1785 sont toujours là avec le fier et archaïque donjon à créneaux, toujours conservé, le portail d’entrée appareillé dans "l’ordre français", son grand fronton triangulaire, les fenêtres à meneaux surmontées de frontons triangulaires et incurvés, les fossés, les douves et les terrasses immenses. Un des pavillons subsiste et aussi les grandes écuries, "en partie refaites aux XVle et XVIIe siècles". L'herbe pousse dans la cour d'honneur, le lierre grimpe au long des ruines. L’ample et magnifique demeure se laisse entrevoir avec sa lointaine souvenance du style Louis XIII, sévère et pure dans ses lignes, déjà claire, grandiose et élégante, encore atténuée d’un dernier reste de la grâce de la Renaissance et n’atteignant point une régularité absolue : cet édifice prend place ainsi entre nos châteaux de la Renaissance et le pur style Louis XIV. M. Léon l’étudia jadis d’assez près en 1888, dans le Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne.
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