EN GUIPUSCOA EN 1934.
Pendant la Seconde République espagnole, en septembre et octobre 1934, des insurrections socialistes et anarchistes ont lieu dans plus de vingt provinces, entre autres en Catalogne, à Madrid et dans les mines des Asturies.
TIMBRES-POSTE IRUN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Pays Basque Sud n'est pas en reste et est lui aussi agité par divers mouvements politiques et
sociaux.
Voici ce que rapporta l'Echo Rochelais, dans son édition du 12 septembre 1934, sous la plume
d'André Bach :
"Voyage au pays sans municipalités.
S’il est une occasion sur laquelle j’ai sauté avec empressement, c’est celle qui m’était offerte d’effectuer un voyage rapide au pays basque espagnol.
Voyage rapide, certes, mais qui devait me mettre en contact avec des gens très au courant du conflit qui sépare les pays basques du gouvernement de Madrid, au moment précis où ce conflit prend une tournure aiguë.
Et puis, la dernière fois que j’avais traversé l’Espagne, elle n’était pas encore en République et j’étais curieux de voir quels changements étaient survenus ; non point, tellement, avec la sotte prétention de juger de l’ensemble sur une seule province, mais persuadé, néanmoins, de recueillir des détails.
C’est ainsi que l’autre matin, alors que l’aurore commençait à colorer la Rhune et le splendide cirque de montagnes d’où sort la Bidassoa, je débarquais en gare d’Irun pour gagner une localité où m’attendait un ami, localité dont le nom comporte tellement d’x et de z que j’ai renoncé à le prononcer correctement.
FÊTES IRUN 1934 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ce matin-là, les journaux de la région annonçaient la démission probable et totale de toutes les municipalités des provinces basques.
Chocolat "à la Espanola".
Chaque fois que je passe à Irun, je ne puis m’empêcher de me gausser intérieurement de moi-même en évoquant un premier passage il y a plus de vingt-cinq ans. C’était au mois d’avril et, certain de me diriger vers des pays dits "du soleil", j’avais quitté Paris vêtu d’un complet léger et sans pardessus. Mais, cette année-là, le printemps espagnol était en retard ; à Irun, je frissonnais ; à Burgos, j’étais gelé, et j’arrivais complètement frigorifié à la frontière portugaise. J’avais appris à mes dépens qu’il faut se méfier des clichés classiques lorsque l’on voyage à l’étranger.
Une autre mésaventure m’était survenue au buffet de la gare d’Irun à mon premier petit déjeuner en Espagne. La "moza" du buffet m’avait demandé si je désirais le chocolat à la française ou à l’espagnole. Or, j’aurais préféré me faire hacher en petits morceaux plutôt que de ne pas déjeuner comme un espagnol authentique ; je répondis donc en castillan (ce qui n’était pas difficile) "à la espanola !" ... et la "moza" plaça devant moi : un bol de chocolat aussi consistant que du goudron, un verre d’eau et un biscuit ! Embarrassé, mais héroïque, je trempai le biscuit dans le chocolat, trouvai au biscuit un goût bizarre, m’étouffai en suite avec le chocolat, le tout sous les yeux de la servante, qui semblaient cacher une jubilation intérieure intense.
GARE IRUN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ce ne fut que le lendemain que j’appris dans un autre buffet, en observant les autochtones, — mais en mangeant par prudence un chocolat "à la française" — que le biscuit était un biscuit spécial destiné à gazéifier l’eau du verre que l’on absorbait ensuite pour faire passer le chocolat ! Les voyages forment la jeunesse.
Le calme règne.
Mais nous sommes maintenant en 1934, et le chocolat de ma jeunesse est loin ! En sortant de la gare d’Irun, je cherche des signes extérieurs quelconques sans en trouver ; dans la petite ville, les gens vaquent à leurs occupations journalières, trois marchandes sont accroupies derrière quinze melons et des paniers de raisin, une vendeuse de poisson et de crevettes crie sa marchandise de façon incompréhensible, comme d’ailleurs toutes les vendeuses ambulantes du monde.
MARCHE IRUN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ah ! Voici, cependant, assis sur le parapet d’un pont, un soldat qui berce son fusil dans son bras gauche. Sans doute garde-t-il un point stratégique et va-t-il me crier : "Au large !" Non, il se laisse approcher, accepte une cigarette et m’apprend qu’il attend le tramway de Fontarrabie, où il se rend, avec armes et bagages, en permission.
TRAMWAY IRUN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Alors, je décide d’aller, moi aussi, revoir Fontarrabie, et je me laisse cahoter par le petit tram archaïque qui, comme ses confrères de la Charente-Inférieure, est vivement concurrencé par des autocars multicolores de fabrications diverses.
Une vive animation règne dans la petite ville qui, durant ces dernières années, a tellement grandi qu’elle en a fait éclater son corset de remparts ; mais cette animation n’a rien à voir avec la politique. On va fêter, pendant cinq jours, "Nuestra Señora de Guadalupe", qui, au XVIIe siècle, intervint en faveur des armes espagnoles et força le grand Condé à lever le siège ; des affiches proclament qu’il y aura processions, défilés, illuminations, feu d’artifice, courses de toros pour les gens sérieux et corrida de veaux pour les amateurs de comique, ce qu’on appelle "charlotada" en style tauromachique.
SANCTUAIRE ND DE GAUADALUPE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Salon de coiffure. Accouchements. Chirurgie.
Seul indice des événements politiques, une affiche manuscrite apposée dans le vestibule de la "Casa Consistorial", l’hôtel de ville, informe le public que la Municipalité est démissionnaire, qu’il n’y a plus d’alcalde, ni de sous-alcade, donc personne pour signer les pièces. Voilà qui me semble sérieux et, pour en savoir davantage, je décide d’aller aux nouvelles chez le coiffeur, toujours pour obéir aux classiques.
MAIRIE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici justement une "barberia" bien attrayante dont l’enseigne, ornée du plat à barbe don quichottesque, porte, à côté du maître des lieux, les indications: "Accouchements, chirurgie". Mais, à l’intérieur, il y a tous les ustensiles perfectionnés destinés à la fabrication des indéfrisables les plus standardisés. Je n’ose pas demander au "barbero" quelle influence les ondulations qu’il effectue ont eu sur la statistique des accouchements qu’il opère, mais, pendant qu’il manie son blaireau, je l’interroge sur la démission de son Conseil municipal. Il me répond :
— Les Basques ne veulent pas se laisser embêter par les "señoritos" de Madrid.
Il n’v a donc pas grand’chose de changé en Espagne, puisque, de tout temps, les gens de la province ont traité dédaigneusement de "señoritos" les graves messieurs qui, à Madrid, veillent aux destinées de la nation.
Mais j’attaque à nouveau le coiffeur :
— Voici votre vie municipale paralysée, on ne peut plus ni venir au monde, ni mourir légalement ; on ne peut pas non plus se marier.
Magnifique réponse :
— On verra après les fêtes.
Et je n’en tirerai rien d’autre. Cette fois-ci, je trouve un changement, le coiffeur n’est pas bavard.
Compensation, la barbe ne m’a coûté que l’équivalent de quatre-vingts centimes français.
Pauvre M. Daladier !
EDOUARD DALADIER PRESIDENT DU CONSEIL 1934 |
Ce petit crochet sur Fontarrabie ne m’a pas appris grand’chose et je reprends le tram cahotant pour retourner à Irun, d’où un train électrique dernier cri mène à Saint-Sébastien par les splendides paysages du pays basque.
TRAMWAY FONTARRABIE - HONDARRIBIA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Chacun sait que Saint-Sébastien, lieu de villégiature, n’a rien de spécifiquement espagnol, sauf dans sa vieille ville, qui n’est guère visitée par les touristes, pas plus que par le soleil, d’ailleurs.
C’est dans cette vieille ville, en flânant par les rues étroites et noires, tout près de cette "Plaza de la Constitucion" qui est un carré entouré de porches comme ceux de La Rochelle, que je fais une trouvaille merveilleuse.
PLACE DE LA CONSTITUTION ST SEBASTIEN - DONOSTIA PAYS BASQUE D'ANTAN |
A la façade d’un immeuble qui abrite le siège du parti communiste basque, se trouvent des panneaux où l’on affiche des coupures de journaux et des placards avec les dernières nouvelles intérieures et extérieures. On peut y lire une littérature politique peu différente de celle à laquelle nous sommes habitués en France ; il y est question de tyrannie fasciste et le peuple est incité à se lever en masse "pour écraser la vague noire de la réaction".
Mais le préposé à ces panneaux doit être un personnage fort négligent, car il laisse ses affiches mourir de vétusté et tomber en lambeaux ; au beau milieu d’un panneau poussiéreux, je découvre la note suivante tapée à la machine et datée du 7 février !
"Un autre gouvernement Impérialiste qui s’effondre."
"Le ministère Daladier a démissionné."
Pauvre M. Daladier ! Son gouvernement traité d’impérialiste à trente kilomètres de la frontière française. Si MM. Paul-Boncour, Frot et Cot voyaient cela !
C’est ainsi que s’écrit l’histoire du voisin de l’autre côté des frontières et je ne m’étonne plus qu’en France on se figure le pays basque espagnol à feu et à sang, alors que le calme règne à Saint-Sébastien, que la vieille église qui est là, à côté, voit affluer les fidèles et que le seul indice que l’on ait des événements du jour est le nombre considérable de vendeurs de journaux et l’empressement des acheteurs à se plonger dans les colonnes de La Voz del Guipuzcoa, de La Prensa ou du Pueblo Vazco.
JOURNAL EL PUEBLO VASCO 21 MARS 1936 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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