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dimanche 20 mai 2018

LES LAZARETS D'IRUN ET DE FONTARRABIE EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN OCTOBRE 1884 (première partie)


LES LAZARETS EN GUIPUSCOA EN 1884.


A la fin des années 1900, le choléra sévit en Espagne et des deux côtés de la frontière, pour éviter la propagation de cette maladie mortelle, sont mis en place des lazarets, c'est-à-dire des établissements où s'effectue un contrôle sanitaire.



urun hendayantes
IRUN VUE D'HENDAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que raconta la presse dans plusieurs journaux :


  • La Petite Gironde, dans son édition du 1 octobre 1884 :

"Notre correspondant particulier nous écrit de Hendaye, 28 septembre : 


Tenant à ce que les lecteurs de la Gironde et de la Petite Gironde puissent savoir la vérité vraie sur le confort des lazarets d’Irun et de Fontarabie, après les lettres contradictoires qui ont paru à ce sujet, je me suis transporté à Hendaye. J'ai eu des conférences avec une collection de bateliers, d'aubergistes, de douaniers, etc., etc., desquelles il résulte ce qui suit : 


pais vasco antes
CARABINIERS DOUANE FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Il y a six lazarets ; celui de la Lonza, tout au bord de la Bidassoa, à gauche avant d’entrer à Fontarabie. On y est remarquablement mal. Endroit humide, nourriture épouvantable. Il y a ensuite le lazaret de la Plata baza, qui servait d'écuries à M. Dupressoir, l’ancien directeur du Casino. Ceux qui font leur quarantaine à la Lonza ou à Plata baza ont tout intérêt à sortir lorsqu’il pleut; il fait plus mauvais temps dedans que dehors. 


Le troisième lazaret de Fontarabie est installé à l'ancien Casino. On y est très bien; on respire les émanations des eucalyptus du parc mêlées a celles de l'Océan et les microbes les plus résistants ne sauraient y vivre. La cuisine est faite par M. Tellechea, d'Irun, et ne laisse rien à désirer. Chacun de ces trois lazarets contient de 35 à 40 personnes. 


fuenterrabia antes
CASINO MIRAMAR FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Pour ce qui concerne les lazarets d'Irun, le plus important, qui contient cent personnes, est situé dans les bâtiments de la future Douane. 


C’est Barnechea qui fait la cuisine, très bonne; mais le matériel de ce restaurateur est beaucoup trop restreint. La promenade est nulle dans une cour étroite encombrée de démolitions. La grande distraction consiste à se faire photographier. 


Le second lazaret est à Santiago, un peu en aval de la gare, dans un ancien cuartel de carabineros, où tout ce qu'on peut rêver de sale a été réuni à plaisir. C'est un supplice épouvantable de passer huit jours au lazaret de Santiago. 


Le troisième est à Béhobie, à droite après le pont, sur la route de Vera à Irun, toujours au bord de la Bidassoa. Celui-là ne le cède en rien à ceux où on est le plus mal : mauvaise installation, mauvaise cuisine."


behobia antes
CARABINIERS BIDASSOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


  • Le Figaro, sous la signature d'Albert Millaud, dans son édition du 2 octobre 1884 :

"Figaro au lazaret.


Hendaye, 28 septembre.


Nous arrivons à Hendaye, frontière d'Espagne, à une heure de l'après-midi. Le train entre tristement en gare avec sept ou huit voyageurs qui ont le courage d'aller jusqu'à Madrid. L'heure de la quarantaine a sonné. A l'horizon s'élèvent les premiers contre-forts des Pyrénées, de l'autre côté de la Bidassoa. On aperçoit de loin les collines de Fontarabie. Là est la terre promise. Pour la toucher du pied, il faut rester prisonniers pendant sept jours. Nous nous informons. On n'entre pas au lazaret avant six heures du soir. Jusque-là, nous avons le droit de nous promener dans Hendaye, non sans avoir été au préalable faire une visite au consul d'Espagne, qui nous donnera un numéro d'embarquement pour l'un des lazarets échelonnés sur la côte espagnole.


hendaye autrefois
BAC DE SANTIAGO HENDAYE - HENDAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Ce n'est pas une mince faveur, car il y a cent cinquante voyageurs qui attendent leur tour de captivité, et il n'en part guère que trente-cinq à quarante par jour. Les uns restent à Hendaye par nécessité, les autres par volonté : pour obtenir un bon lazaret. Il y a, en effet, de bons et de mauvais lazarets. Sur les six qui ont été établis, deux sont réputés passables, c'est le casino de Fontarabie, et le lazaret de Santiago au-dessous d'Irun. On y trouve des chambres et une espèce de jardinet dans lequel on peut se promener. Après ces deux là, il y a la douane d'Irun, qui manque d'agrément, puis trois autres établissements où il n'y a pas de chambres, mais d'affreux dortoirs. Les gens privilégiés obtiennent un rideau pour se cacher de leurs voisins. Les femmes et leurs enfants ont un dortoir spécial, également agrémenté de médiocres rideaux et ridiculement peuplé de punaises, qui, pour être espagnoles, n'en sont pas moins envahissantes.



Le Consul nous a très bien reçus. Nous lui sommes recommandés par le gubernador d'une province voisine. Il nous fera partir aujourd'hui même. Il nous donne rendez-vous à quatre heures et demie sur la jetée d'Hendaye où aura lieu l'embarquement. En attendant, nous allons au Grand-Hôtel d'Hendaye. Ce Grand-Hôtel est une mystification à trois étages, dont le premier est occupé par le Cercle de la Ville et les autres sont des chambres qui n'ont pas été faites depuis Roland à Roncevaux. On y retrouve des vestiges du moyen-âge et des couvertures apportées par les Sarrazins. On s'y débarbouille comme on peut et l'on y déjeune assez convenablement. Quoiqu'en France, il est déjà assez difficile de s'expliquer. On nous offre du poisson.


hendaye avant
HOTEL IMAZ HENDAYE - HENDAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

- Quel poisson? demandons-nous?


- Des muges! dit la servante, une Basquaise au large sourire et à la peau brune.


- Qu'est-ce que c'est que ça, des muges? demandons-nous. A quoi ça ressemble-t-il? A du turbot, à des soles, à du saumon?


- Ça ressemble à des corogones.


- Fort bien. Et les corogones, à quoi ça ressemble-t-il?


- C'est une espèce de toubine, répond la servante.


Cela pouvait durer longtemps. Nous prenons le parti de commander le poisson, quand même. On nous en apporte.


-- Mais ce sont des truites ! disons-nous.


- Oh ! vous appelez ça des truites, vous ! riposte la Basquaise avec le plus profond dédain pour ce mot peu harmonieux.


A quatre heures et demie, nous nous rendons sur la jetée, c'est-à-dire sur une espèce de digue en pierre qui conduit à la Bidassoa où flottent trois ou quatre barques mal pontées.





hendaye autrefois
BAC DE SANTIAGO HENDAYE - HENDAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le coup d'oeil y est pittoresque. Une cinquantaine de voyageurs sont là pêle-mêle, avec leurs bagages étagés sur les marches d'un escalier en ruines. Ce sont les pensionnaires du lazaret de Santiago, où nous devons nous rendre tout à l'heure. Il y a des femmes, des enfants, des malades portés sur des chaises, deux Anglais (il y en a toujours), trois Allemands, beaucoup de Français et fort peu d'Espagnols. Ce n'est qu'à cinq heures et demie que le consul d'Espagne s'est montré, escorté de son chancelier.


Celui-ci, muni d'une liste, fait l'appel nominal. Je suis parmi les élus sous le nom de don Alberto Millaud. C'est flatteur. On a l'air de jouer un rôle dans le roman de Gil-Blas. Je me précipite dans l'embarcation la plus rapprochée. Elle ne tarde pas à se remplir. Le consul, grave et solennel, monte le dernier et, tout aussitôt, la grande bringue de barque, conduite par trois rameurs, remonte la Bidassoa dans la direction d'Irun.


fontarrabie avant
DEBARCADERE FONTARRABIE - HONDARRIBIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

La Bidassoa est une jolie rivière, très historique, mais à peu près à sec. II faut décrire trente circuits autour des bancs de sable, dont elle est émaillée, pour arriver à Santiago. Nous passons devant le casino de Fontarabie où nous apercevons nos frères en lazaret, qui y sont depuis mardi dernier et attendent leur délivrance en se promenant sous les platanes. Jusqu'ici, tous les voyageurs se regardent avec défiance. Aura-t-on des chambres ? N'en aura-t-on pas ? Sera-t-on forcé à une promiscuité déplorable ou restera-t-on isolé ? Un grand silence règne dans la galère capitane. Nous traversons le pont international sur lequel passe le chemin de fer du Midi et qui nous a semblé d'une médiocre architecture. Nous entrons dans les eaux espagnoles. Sur la rive gauche de la Bidassoa, commencent à s'étager de cinquante en cinquante mètres des guérites peuplées de gendarmes espagnols, remarquables par leurs chapeaux d'arlequin et leur éternelle cigarette. A une centaine de mètres du pont, s'élève le bourg de Santiago, cinq ou six maisons dont une est le lazaret où nous allons descendre.




fontarrabie autrefois
DOUANIERS ET SERGENTS DE VILLE FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN


La barque aborde comme elle peut, le long d'un escarpement pierreux, humide et glissant. On se précipité vers le lazaret, où nous attendent le directeur, le docteur et les gens de service, assistés de deux soeurs de Saint-Vincent-de-Paul qui nous accueillent par le sourire le plus engageant. Pendant une bonne heure, c'est le chaos, le bruit, le désordre le plus complet. Chacun veut une chambre pour lui tout seul. Les escaliers retentissent de cris proférés dans toutes les langues. Les serviteurs du lazaret perdent la tête. On se bouscule aux portes. Finalement tout s'arrange. Chacun se case comme il peut et bientôt sera satisfait.



Le lazaret de Santiago, c'est la caserne des carabiniers de mer. Le réfectoire, c'est le corps de garde, les chambres de soldats ont été transformées en chambres d'hôtel : lits de fer, toilettes idem, pas de table, une chaise de paille, objets de propreté absolument élémentaires. Imaginez-vous une cellule de couvent, aux murs blanchis à la chaux et sans le moindre rideau aux fenêtres. Quand il fait du soleil, on est cuit littéralement.


fuenterrabia antes
CASINO FONTARRABIE - HONDARRIBIA
PAYS BASQUE D'ANTAN

La plupart de ces cellules ont deux et trois lits. On y parque les familles. Ma demeure spéciale n'a qu'un lit, mais elle a un mètre cinquante de large sur deux mètres de long. Quand je m'habille, je suis obligé d'ouvrir ma porte pour enfiler mon pantalon. Impossible d'obtenir sa malle. D'abord, elle n'entrerait pas, ensuite il faut la fumiger. Cette opération n'aura lieu que demain matin. Après quoi, on me laissera user de la médiocre valise que j'ai apportée.


Il est six heures et demie. En attendant le dîner, qui est forcément en retard, nous descendons au jardin. Il fait un temps splendide et l'horizon est magnifique.


Notre jardin a sept mètres de long sur quatre de profondeur. C'est maigre pour quarante habitants. Au nord, nous sommes bornés par la Bidassoa. Aux trois autres côtés, des palissades nous enferment, à hauteur d'appui. A quatre mètres, parallèlement, court une autre palissade destinée à empêcher les habitants d'Irun de communiquer avec nous. Entre les deux palissades, des gendarmes, doux et bienveillants, montent leur garde avec philosophie. Tout ce qui vient de la ville nous est remis par l'intermédiaire dudit gendarme, qui, malgré son jeune âge, mérite d'être appelé un vrai père.


IRUN ANTES
DOUANE IRUN
PAYS BASQUE D'ANTAN

Tout à l'heure, Gayarre, qui habite Irun, où demeure la famille de sa femme, est venu nous rendre une visite. Nous avons causé à quatre mètres de distance. Le gendarme s'amusait beaucoup."



A suivre...






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