BIARRITZ EN 1904.
Entre 1901 et 1906, la commune de Biarritz est en pleine expansion et sa population passe de 12 812 à 15 093 habitants.
BIARRITZ - MIARRITZE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
En 1904, la commune de Biarritz connaît 2 maires : Félix Moureu jusqu'au 8/05/1904 et Pierre
Forsans dont le mandat commence et va durer jusqu'en 1919.
Voici ce que raconta La Petite Gironde, dans son édition du 20 septembre 1904, sous la plume
de Gaston Deschamps :
"Au bord de la mer.
Biarritz, 18 septembre.
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C’est vraiment beau, cette plage de Biarritz, dans la fine et tendre atmosphère de rayons et de brume que lisse en automne l'harmonieux accord du ciel et de la mer. Dans cette aimable ville, décorative comme un panorama et machinée comme un théâtre, les belvédères abondent et sont disposés à souhait pour le plaisir des yeux. Ce ne sont que terrasses, plates-formes, kiosques, pavillons, gloriettes, tourelles, d'où l'on domine un horizon merveilleusement ondoyant et divers.
Vu de haut, ce paysage est d’une grandeur incomparable. Les lignes en sont amples, les contours spacieux, les perspectives profondes. On admire tout ensemble, sous une vaste coupole d'azur céleste, les larges houles de l’Océan, la brillante couleur des grèves dorées, quelques bois de pins qui mettent çà et là des bouquets de tiges sveltes et de panaches verts, — et plus loin, au fond du décor, la noble architecture des montagnes d’Espagne, les Trois-Couronnes, le Jaiszquivel, célébré par Victor Hugo dans la Légende des Siècles...
Laveuses qui, dès l'heure où l'horizon se dore,
Chantez, battant du linge aux fontaines d'Andorre,
Et qui faites blanchir des toiles sous le ciel ;
Chevriers, qui roulez sur le Jaiszquivel
Dans les nuages gris votre hotte isolée ;
Muletiers, qui poussez de vallée en vallée
Vos mules sur des ponts que César éleva,
Qu'est-ce donc que là-bas le vieux mont Corcova
Regarde par-dessus l'épaule des collines ?
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Ma foi ! dans cet enchantement de clarté pure, de terres diversement enluminées et d’eau divinement bleue, je ne me sens pas d’humeur à chicaner notre grand poète sur les notions d’ethnographie, de topographie et d’histoire que révèle ce petit morceau. Evidemment, Victor Hugo, en roulant sur le Jaiszquivel des huttes de chevriers, c’est moins souvenu de ses propres visions que de la Maison du Berger, de son ami Alfred de Vigny. Le val d’Andorre est bien loin du cap du Figuier. Et je ne sais trop ce que le vieux mont Corcova regarde par-dessus l’épaule des collines. Mais quoi! Les poètes apparemment n'ont pas besoin d’être topographes, ethnographes ni même historiens, ils sont poètes, et cela suffit à notre joie.
Tandis que je cède ainsi, en de délicieuses heures d’oisiveté émerveillée, à la pente d’une rêverie mollement bercée par la musique du Casino, le soleil, déjà incliné sur l’horizon, descend vers la mer resplendissante. Le spectacle qui s’offre à mes yeux est singulièrement composite. Quelle chose étrange que cette vie des plages ! La grande simplicité des forces naturelles s’associe, pendant tout l’été, à la complication des artifices humains. Le rythme régulier du flux et du reflux, la symphonie majestueuse des vagues accompagnent la grêle chanson des violons et le tintement clair des cymbales. De sorte que toute la quantité de terreur que suscitait jadis, dans l’âme de l’humanité, le fracas de la mer battant contre les roches se dissipe, pour ainsi dire, et s’évanouit peu à peu dans la langueur caressante des flots apprivoisés. Comment se méfier de ces houles câlines, qui sont en quelque sorte domestiquées, au point de venir lécher deux fois par jour les bras nus des baigneuses, Comme si de toute éternité, elles n'avaient pas autre chose à faire ? On dirait qu’ici la mer a été créée tout exprès pour la joie des enfants et la tranquillité des parents. Et l’on pourrait tirer de cette adaptation un argument en faveur de ce qu’on appelle, en philosophie, les "causes finales".
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Je me souviens d’un philosophe qui faisait admirer à ses disciples la structure d’un melon : "Voyez, disait-il, comme la nature fait bien tout ce qu'elle fait ! Le melon est côtelé de manière à être découpé eu tranches dans les familles !" Ce philosophe, s’il était ici, comparerait sans doute les petites choses aux grandes, et jugerait que l’Océan, malgré ses caprices et ses fougues, s’arrange bonnement de façon à venir au-devant des cabines de bain...
Et pourtant, la Côte des Basques fut jadis redoutée par les navigateurs. On en parlait, surtout au temps de la marine à voiles, comme d’un lieu terrible plein d’épaves, hérissé d’écueils, lamentablement fertile en désastres. Un officier anglais, qui guerroya dans ce pays en 1814, nous a laissé le poignant récit d’un naufrage dont il fut le témoin impuissant et navré. C’était par un terrible coup de vent ouest. Un brick en détresse, à un ou deux milles du rivage, essayait vainement de lutter contre l’ouragan furieux qui le rejetait sut la Côte des basques. A travers la brume et les embruns, sous un amoncellement de gros nuages noirs sillonnés d'éclairs, ce navire désemparé ressemblait à un vaisseau-fantôme. Le capitaine, à peine visible sur la passerelle, essayant de rester debout au milieu d'une rafale de pluie, de houle et de tonnerre, tentait une manœuvre désespérée : il voulait, évidemment, virer au vent, afin de doubler le promontoire et de chercher un refuge au havre de Socoa ; il avait perdu toutes ses voiles de misaine et d'artimon ; avec sa simple voile de grande hune, gonflée par la tempête, il dérivait d'une façon effroyable... Tout à coup, la voile, prise par une brusque bourrasque, céda au choc, fut déchirée en mille morceaux ; le malheureux brick, entraîné par les lames et désormais incapable de se défendre, fut précipité contre les rochers avec une violence inouïe et se brisa. Cette scène épouvantable dura, au dire du narrateur, à peine dix minutes... Le navire, au moment de sombrer, fit entendre un coup de canon d’alarme. Mais qui donc aurait pu porter secours aux naufragés, parmi cette furie des éléments déchaînés ? "Nous n'avions pas de bateaux, dit l’auteur de cette relation. Et d'ailleurs, il nous eût été impossible de les mettre à la mer. Nous dûmes nous résigner à suivre le drame des yeux jusqu'au moment où les débris du navire eurent complètement disparu au milieu des vagues enragées."
Nul ne survécut pour dire d'où venait ce vaisseau. Un seul corps fut rejeté à terre par la marée montante. C'était une jeune femme, encore belle dans cette horrible mort. On l'ensevelit dans la campagne, non loin des tombes improvisées où gisaient les soldats français ou anglais récemment tués. L'officier à qui j'emprunte ces sombres tableaux ajoute à son récit quelques réflexions mélancoliques. "L'impression que fit ce naufrage, dit-il, est une des plus cruelles que j'ai éprouvées dans tout le cours d'une vie d'aventures. Pendant plusieurs jours, je ne pus penser à autre chose, et la nuit je rêvais constamment d'hommes noyés et de navires battant les rochers, tant la mort est effrayante quand elle se présente sous une forme qu'on n'est pas habitué à voir.
Oh! combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon ne sont évanouis ;
Combien ont disparu, dure et triste fortune,
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !
Ô flots, que vous savez de lugubres histoires.
Flots profonds. redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées.
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez, le soir, quand vous venez vers nous.
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Rien ne s’efface plus vite que la trace d’un naufrage. La terre met longtemps à recouvrir les ruines de nos maisons et les restes de ceux ou de celles que nous avons aimés. Elle a bonne mémoire, en somme. Elle répond à nos douloureuses questions lorsque nous l’interrogeons sur les énigmes du passé. La mer ne sait rien, ne se souvient de rien ; elle oublie tout, elle n’a pas de mémoire. Son inconscience, volontiers souriante, semble ignorer le nombre prodigieux de victimes qu’elle recèle en ses innombrables replis.
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Nul ne sait votre nom, pauvres têtes perdues ;
Vous errez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
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