LE DROIT D'ASILE DE LA SOUVERAINETÉ DE BIDACHE AUTREFOIS.
La notion de droit d'asile est une notion qui a évolué au cours de l'Histoire, passant d'un privilège de protecteur à un devoir de protection.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Bulletin du Musée Basque N°45 de 1969, sous la plume d'Alain
Noyer, Magistrat :
"Le droit d'asile de la souveraineté de Bidache.
Une des marques les plus célèbres de la Souveraineté de Bidache, sous l'Ancien Régime, est indiscutablement le droit d'asile. Les malfaiteurs qui craignaient la justice royale se réfugiaient à Bidache, principauté des ducs de Gramont, pour se soustraire aux poursuites.
Nous sommes assez bien renseignés sur l'étendue de ce droit, et sur ses abus, par une ordonnance du duc de Gramont à son sujet en 1719, par la correspondance de l'Intendance d'Auch, et par les mémoires qui ont précédé le rattachement de Bidache à la France. C'est, en effet, une des raisons, probablement la raison principale, qui milita pour ce rattachement.
Comment s'exerçait ce droit d'asile ? Quelles ont été les conséquences de cette pratique ? Telles sont les questions qui viennent naturellement à l'esprit et auxquelles nous tâcherons de répondre sur des documents authentiques.
I. — L'Exercice de droit d'asile.
Le droit d'asile à Bidache a duré tout le temps de la Souveraineté.
Il est acquis, sans discussion possible, que Bidache s'est constitué officiellement en état souverain à partir de 1570. Le 21 octobre 1570, Antoine de Gramont, président du corps de ville de Bayonne, en tant que maire, s'opposait aux privilèges revendiqués par la ville de Bayonne sur le port de Bidache "combien que le dict lieu de Vidaxen soit tenu par lui en souveraineté, sauf toutefois que le Roy de Navarre, ainsi que la Reyne, de puissance absolue, en puissent autrement disposer à cause de leur grandeur".
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PORTRAIT D'ANTOINE 1ER DE GRAMONT ATELIER DE FRANCOIS CLOUET |
La réserve faite par Antoine de Gramont au sujet des droits éventuels des Rois de Navarre sur Bidache se comprend tout à fait si l'on remarque que les seigneurs de Gramont prêtaient encore hommage aux rois de Navarre pour Bidache en 1434. Ils ne l'ont plus prêté depuis. Et la conquête de la Navarre espagnole par les Rois Catholiques en 1512 permettait, en effet, aux Gramont d'en tirer profit pour leur résidence principale.
Par la suite, Antoine de Gramont "souverain de Bidache" ne se soucie plus du Roi de Navarre. Dès le 13 novembre 1570, il rendait sans réserve aucune, une ordonnance sur l'organisation de la justice à Bidache. Deux juges étaient institués ; le "bayle" jugeait en premier ressort ; l'autre "juge des appellations" présidait la Cour souveraine. En 1575, Antoine de Gramont "souverain de Bidache" promulguait la Coutume de Bidache.
Or, dès la fin du XVIe siècle, le droit d'asile s'est exercé à Bidache. Il est utilisé, lors des guerres de religion, d'abord par des huguenots, en 1569, après la défaite de Jarnac. Antoine de Gramont avait adhéré un temps à la Réforme. Mais à partir de 1572, il se distingue comme un des chefs du parti catholique en Navarre et en Béarn, et Catherine de Médicis en fait son lieutenant général en Béarn pour le rétablissement de la religion catholique. Bidache servit encore de refuge à des officiers de l'armée catholique.
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1569 BATAILLE DE JARNAC |
A partir du XVIIe siècle, le droit d'asile profite, non plus à ceux qui obéissent à un idéal religieux, mais à ceux qui désobéissent aux règles élémentaires de morale. Il prend une telle ampleur qu'il est à l'origine d'un dicton populaire de la région d'Orthez "Qu'ha touchât lou marteig de Bidache".
Le droit d'asile dont bénéficiaient les malfaiteurs à Bidache était-il absolu ? Il ne l'était pas en principe ; mais les tentatives pour le réglementer se sont révélées assez vaines.
L'Intendance d'Auch déclare : "Le lieu de Bidache est un refuge pour les malfaiteurs qui y sont reçus sous la sauvegarde du seigneur et on ne peut les aller prendre que par sa permission".
Tous les crimes bénéficiaient-ils du droit d'asile ? Il faut distinguer à cet égard ; car "l'ordre de cette sauvegarde n'est que pour les cas susceptibles de lettres de grâce".
Faut-il admettre que les cas non graciables s'entendaient des crimes de lèse-majesté ? Il ne semble pas. "Les criminels qui veulent être reçus sous cette sauvegarde présentent leur requête au juge, dans laquelle ils exposent le cas, pour lequel ils réclament la protection du souverain, on leur lit les ordonnances qui n'admettent à cette sauvegarde que pour les cas graciables et en excluent ceux qui sont dans d'autres cas."
Ces ordonnances malheureusement nous font défaut. Du reste cela n'a aucune importance. "La seule précaution que prend le juge pour être instruit du cas de celui qui demande est de recevoir son serment, par lequel il affirme que le cas dont il est prévenu est susceptible de la faveur."
C'est évidemment une curieuse façon d'instruire les affaires. Mais les officiers de la justice royale ne doivent pas s'en laisser conter. "Quand il est nécessaire de faire arrêter quelqu'un des réfugiés, on doit recourir au souverain pour avoir un ordre pour prendre le criminel qu'on demande et qui n'est pas dans le cas privilégié et de grâce."
On possède en effet un modèle de décision de ce genre. Au début de l'année 1719, trois voleurs entrent de nuit et par effraction dans diverses boutiques de marchands drapiers de Bayonne, s'emparent de plusieurs pièces de drap, les emmènent à Bidache, s'y réfugient et vendent ces effets. Les voleurs sont arrêtés sur place et les effets saisis en vertu d'une information faite à Bidache même.
Les échevins de Bayonne ne sont pas d'accord et le procureur syndic demande au duc de Gramont que les criminels et les pièces saisis lui soient livrés.
Le 27 mars 1719, Antoine Charles, duc de Gramont, "souverain de Bidache" rend en effet une ordonnance par laquelle "lesdits criminels emprisonnés avec les pièces de drap et effets saisis seront livrés et remis sur les limites de notre dite Souveraineté à ceux qui seront envoyés et préposés par les échevins, jurats et procureur syndic de la ville de Bayonne pour les recevoir".
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PORTRAIT D'ANTOINE IV CHARLES DE GRAMONT PAR AUTEUR INCONNU |
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