L'effroyable récit d'un journaliste anglais sur "ce raid sans parallèle dans l'histoire militaire" : malades éventrés dans un hôpital, un prêtre mitraillé au moment où il sauvait un enfant, l'amas des corps déchiquetés de cinquante femmes dans une rue.
On lira plus loin l'hallucinant compte rendu que publie le correspondant du Times en Biscaye, sur la tragédie de Guernica. Le fascisme italien et le fascisme allemand nous avaient habitués à des horreurs sans nom. Se souvenir de Badajoz, se souvenir de Malaga et des descriptions que conte le livre si puissant de M. Arthur Koestler, L'Espagne ensanglantée. Le Times et tous les journaux anglais commentent les événements dans des articles extrêmement sévères dont, hélas, nous ne trouvons pas l'équivalent dans la presse française. Le Times parle des "avions allemands de Mola".
AVION HEINKEL HE 111
Le gouvernement français sait que les antifascistes du monde entier ont parfaitement discerné les responsables du massacre de Guernica. Le massacre n'a été possible que parce que la politique de la non-intervention a été, en fait, celle de l'intervention fasciste tolérée.
Des femmes et des enfants ont péri dans les flammes parce que la France et la Grande-Bretagne ont laissé Hitler et Mussolini transporter en Espagne des bombes incendiaires.
Et comme le Duce veut venger la défaite de Guadalajara, ces transports se poursuivront. La décision en a été prise formellement ces jours-ci par Goering et Mussolini au cours de leur rencontre. A Guernica, l'ordre de bombardement a été donné par l'état-major allemand. Il a été exécuté par 120 avions allemands.
M. Delbos s'imagine-t-il qu'il lui suffira tout à l'heure, pour justifier sa politique devant la commission des affaires étrangères, de dire que le contrôle fonctionne sur les côtes d'Espagne ?
Le gouvernement français, si tant est qu'il l'ait pu jusqu'ici, ne peut plus plaider l'ignorance.
Mola a annoncé hier que l'armée rebelle et interventionniste était décidée à raser Bilbao comme elle a incendié Guernica.
L'Allemagne hitlérienne veut transformer la Biscaye en un monceau de ruines.
Il y a quinze jours, del Vayo a annoncé — mais M. Delbos et M. Eden ont fait semblant de ne pas entendre — que l'Italie et l'Allemagne utiliseraient les navires contrôleurs et les gaz asphyxiants contre les villes républicaines. Une note du gouvernement espagnol confirme que les hydravions des navires contrôleurs coopèrent ouvertement avec les unités rebelles, et le sous-marin allemand U. 35 arrête les navires gouvernementaux. Très exactement, comme nous en avions avisé par avance M. Delbos !
YVON DELBOS MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES DU 4 JUIN 1936 AU 13 MARS 1938
Si placées devant ces menaces, si prévenues de ce plan infernal, la France et la Grande-Bretagne se croisent les bras, elles mériteront d'être accusées de complicité. On dira : la Biscaye est en flammes parce que des gouvernements ont eu la lâcheté d'être complices des incendiaires, comme on a dit : Mussolini a vaincu Addis-Abeba parce que la complicité de la France de Laval a appuyé l'action de l'ypérite.
Le récit d'un témoin oculaire.
"La destruction de Guernica par les avions allemands est sans précédent dans l'histoire militaire" déclare l'envoyé spécial du Times.
Le carnage de Guernica a soulevé une très vive indignation en Angleterre. Le Times consacre un éditorial et un long récit de son envoyé spécial qui fut témoin oculaire des bombardements. Nous publions ci-dessous de larges extraits de sa description :
... Par la forme de son exécution et l'ampleur de la destruction ainsi que par le choix de son objectif, le raid sur Guernica n'a pas de parallèle dans l'histoire militaire. Guernica n'était pas un objectif militaire. Une usine de matériel de guerre, qui s'élève aux environs de la ville, n'a pas été touchée. De même, deux casernes situées à quelque distance de la cité sont restées intactes.
L'objet du bombardement fut, semble-t-il de démoraliser la population civile et de détruire le berceau de la race basque. Tous les faits confirment cette opinion, à commencer par le jour où l'acte fut perpétré.
Lundi est le jour de marché habituel à Guernica, pour tous les gens des alentours. A 16h30, au moment où, dans le marché plein de monde, des paysans continuaient à affluer, les cloches de l'église sonnèrent l'alarme, annonçant l'approche des avions. La population chercha refuge dans des caves et dans les abris qu'on avait préparés à la suite du bombardement de la population civile de Durango, le 31 mars, bombardement qui ouvrit l'offensive du général Mola dans le Nord.
Cinq minutes après, un seul avion allemand de bombardement parut, décrivit des cercles au-dessus de la ville à une faible hauteur, puis laissa tomber six bombes lourdes, visant apparemment la gare. Les bombes, avec une averse de grenade, tombèrent sur un ancien institut et sur des maisons et des rues autour. Puis l'avion s'éloigna. Après cinq minutes, arriva un deuxième avion de bombardement, qui jeta le même nombre de bombes au milieu de la ville. Environ un quart d'heur plus tard, trois junkers survinrent pour continuer l'oeuvre de destruction et puis la bombardement augmenta en intensité et devint permanent. Il ne cessa qu'à l'approche de la nuit, à 19 heures 45. Toute la ville de 7 000 habitants, plus 3 000 réfugiés, fut lentement et systématiquement mise en morceaux.
JUNKER JU 52
Sur un rayon d'environ huit kilomètres, la technique des assaillants fut de bombarder des fermes isolées. Dans la nuit, ces dernières brûlèrent comme de petites chandelles sur les coteaux. Tous les villages des environs furent bombardés avec la même intensité que la ville elle-même et, à Mugica, petit pâté de maisons à l'entrée du chemin de Guernica, la population fut soumise au feu des mitrailleuses pendant un quart d'heure.
Le rythme de la mort.
Il est encore impossible d'établir le nombre des victimes. Dans la presse de Bilbao, on écrit ce matin que leur nombre est heureusement petit, mais on craint que ce ne soit une sous-estimation dans le but de ne pas créer de panique parmi le grand nombre de réfugiés de Bilbao. Dans l'hôpital "Joséfinas", qui fut le premier à être bombardé, tous les 42 miliciens blessés qui y étaient en traitement, furent tués sur le coup. Dans une rue descendant de la place de la "Casa de la Juntas", je vis un endroit où cinquante personnes, presque toutes des femmes et des enfants, furent bloquées dans un abri, sous une masse de débris fumants. Beaucoup de gens furent tués dans les champs et, au total, on peut estimer le nombre des morts à plusieurs centaines. Un vieux prêtre, du nom d'Aronatégui, fut tué par une bombe alors qu'il était en train de sauver des enfants d'une maison en feu.
La tactique des assaillants, qui peut intéresser les étudiants de la nouvelle science militaire (sic) fut la suivante : d'abord de petits groupes d'avions jetèrent de lourdes bombes et des grenades à main sur toute la ville, choisissant endroit après endroit en ordre précis. Ensuite, vinrent des avions de combat qui volèrent bas pour mitrailler ceux qui, pris de panique, s'enfuyaient des abris, dont certains avaient déjà été pénétrés par des bombes de 1 000 livres, faisant des trous de huit mètres de profondeur. Beaucoup de ces gens furent tués dans leur fuite. Un fort troupeau de moutons, qui avait été amené au marché, fut anéanti complètement. Le but de cette manoeuvre fut, apparemment, de pousser la population à se réfugier de nouveau sous terre, car, ensuite, douze avions de bombardement jetèrent de lourdes bombes incendiaires sur les ruines. Le rythme de ce bombardement d'une ville ouverte fut, par conséquent, logique : d'abord des grenades à mains et de bombes lourdes pour créer la panique parmi la population, puis l'emploi des mitrailleuses pour pousser les gens sous terre, ensuite le jet de lourdes bombes incendiaires pour démolir les maisons et les incendier au-dessus de leurs victimes.
LA PLACE DU MARCHE ET LA TAVERNE BASQUE INCENDIEES GUERNICA 26 AVRIL 1937
Lorsque je pénétrai dans Guernica après minuit, des maisons s'écroulaient de chaque côté et il fut impossible absolument, même pour les pompiers, d'entrer dans le centre de la ville. Les hôpitaux de "Joséfinas" et du "Convento de Santa Clara" étaient des monceaux de cendres fumantes ; toutes les églises, sauf celle de "Santa Maria" furent détruites et le peu de maisons qui restaient encore debout menaçaient de s'écrouler. Quand je visitai de nouveau Guernica cet après-midi, la plus grande partie de la ville brûlait encore et de nouveaux incendies avaient éclaté. Près de trente morts étaient allongés dans un hôpital détruit.
Hitler avait offert une paix séparée au Gouvernement Basque.
"Il y a un mois et demi qu'un représentant autorisé du chancelier Hitler a fait à plusieurs reprises, au représentant du gouvernement basque des offres de paix séparée. L'homme de confiance de Hitler a accompagné ces offres de la menace de faire une guerre impitoyable contre le pays basque, en cas de refus. Nous avons refusé. Les entretiens ont eu lieu à Paris.
Ces révélations sensationnelles ont été faites aujourd'hui par M. Piccavea, président de la délégation basque de Paris, au cours d'une conférence de presse qui a eu lieu à l'ambassade d'Espagne. Elles furent corroborées par M. Bastarrerea, juge au tribunal constitutionnel de la république espagnole.
DON RAFAEL PICAVEA DEPUTE DE SAINT-SEBASTIEN PHOTO AGENCE MEURISSE GALLICA
M. Piccavea déclara que l'offensive des insurgés dans le pays basque est dirigée par un état-major allemand, auquel sont adjoints quelques officiers italiens, et qui a son siège à Deva, la frontière de la province du Guipuzcoa.
"C'est une guerre de l'Allemagne contre le pays basque, dit M. Piccavea, une guerre qui a pour but la mainmise allemande sur nos richesses, nos minerais de fer, les plus purs de l'Europe. Il ajouta que les Allemands veulent prendre Bilbao sans lutte et sans destruction, afin de s'emparer des usines de guerre qui sont concentrées dans cette ville. Pour parvenir à ce but, pour forcer Bilbao à se rendre, pour effrayer la population, l'état-major allemand fait bombarder sans pitié les villes et les villages des environs, et fait mitrailler la population civile et même les paysans, les attaquant pendant leur paisible labeur. M. Piccavea tint à souligner que cette tactique de l'état-major allemand n'aboutira pas. Nous sommes prêts à mourir dans les dernières tranchées, plutôt que de nous rendre."
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