EN BISCAYE EN PAYS CARLISTE EN 1899.
Après les trois guerres carlistes de 1833, 1846 et 1872, d'autres conspirations et tentatives de soulèvement carlistes ont lieu par la suite, notamment après la guerre hispano-américaine de 1898.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal des débats politiques et littéraires, le 8 février 1899,
sous la plume de Paul Combié :
"Au pays Carliste.
Guernica, janvier.
Guernica ! ce mot fait vibrer toute âme véritablement basque. Guernica, c'est le berceau de la patrie basque, la ville sainte où, depuis des temps inconnus de l'histoire, se prêtait, sous le vieux chêne "el arbol" (l'arbre), le serment d'observer fidèlement les fueros. Partout, dans les provinces basques la scène du jurement est reproduite ; dans les "palais de la Deputacion", des peintures, des vitraux la rappellent. Le poète-berger Iparraguirre a célébré l'arbre, vénéré et l'Arbole guemikako est devenu le chant national des Basques. "L'arbre de Guernica est un symbole sacré que tous les Basques aiment d'un amour sans borne." Et l'arbre répond : "Soyez prêts à tout événement... Nous ne désirons pas la guerre ; mais nous voulons vivre en paix à l'ombre de nos lois dont l'indépendance nous est chère".
L'ARBRE DE GUERNICA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aujourd'hui le chêne antique planté, dit-on, par le Seigneur lui-même qui créa le Basque libre, le chêne se meurt dans la châsse de verre et de fer qui le conserve et le soutient. Le chant patriotique n'a pas retenti dans la montagne faisant sortir de chaque vallon les défenseurs des libertés séculaires. L'arbre sacré ne rend-il plus d'oracles ou a-t-il seulement conseillé aux jeunes générations de rester en paix ?
Des hauteurs où nous transporte le souvenir des époques héroïques, des régions poétiques où nous promènent la légende et l'opéra, nous sommes ramenés à la prosaïque actualité par la vue des soldats cantonnés dans la ville sainte. Le fantassin andalou ne connaît pas, lui, l'Arbole guernikako et il donnerait toutes les traditions de Biscaye pour quitter ce pays de froid et de tempêtes. Il est là pour rappeler à ces populations ce que leur a coûté leur trop grand amour de l'indépendance, et comme une menace pour les libertés qu'on a laissées après la défaite. Comme le Guipuzcoa, la Biscaye et la Navarre sont occupées militairement ; de nombreux postes, reliés par de fréquentes patrouilles, surveillent les villages les plus suspects et gardent les passages importants. Les petites gares du chemin de fer de Biscaye sont transformées en corps do garde ; les hommes sont logés chez l'habitant ; à chaque train montent et descendent des officiers qui inspectent les cantonnements.. A la moindre alerte, Burgos et Pampelune peuvent envoyer rapidement de forts contingents. Les troupes se tiennent prêtes à partir au premier signal. Et, en parcourant ce pays sauvage et pittoresque, où les routes et la voie suivent des pentes formidables, bordées de ravins escarpés et dominées par des montagnes à pic, on se rend compte de ce qu'a pu être la dernière guerre civile dans ces régions et ce qu'il a fallu de ténacité et de courage pour venir à bout d'adversaires, braves eux aussi, et, de plus, si merveilleusement défendus par la nature. Les mesures du gouvernement sont bien prises et semblent avoir fait réfléchir les plus audacieux. Les gens qui ne veulent de révolte et de révolution à aucun prix, — et ils sont nombreux, — affirment que les carlistes ne peuvent rien devant ce déploiement de troupes. Les carlistes ne disent rien ; mais ils ne bougent pas non plus. On dit bien qu'il y a des fusils cachés en Biscaye ; mais il est bien douteux qu'ils puissent être distribués dans ce pays très bien gardé. Les charretiers des convois interceptés ont été jugés par une Cour martiale ; une quarantaine de personnes ont été compromises et arrêtées. Cet exemple a momentanément refroidi le zèle des convoyeurs et des détenteurs d'armes.
D'ailleurs, la lassitude dont je vous parlais dans ma première lettre est visible ici aussi. Depuis vingt ans, la Biscaye a été complètement transformée ; elle est aujourd'hui la plus industrieuse et la plus riche des provinces ; Bilbao est une ville de millionnaires et, depuis 1875, sa population a presque triplé. Les Espagnols ont suivi l'exemple donné par les étrangers et, à leur suite, ils ont exploité les richesses que les Anglais et les Français leur ont découvertes. Par la force des choses, les capitaux se sont unis, rapprochant ainsi les intérêts et, dans une certaine mesure les personnes. Tous comprennent que cette prospérité serait brusquement interrompue par une révolution et tous désirent la paix. Un fait, assez insignifiant en lui-même, montre bien, d'ailleurs, dans quel état d'esprit se trouvent les carlistes de Bilbao. Quand on leur notifia le décret de fermeture de leur Cercle, ils demandèrent l'autorisation de tenir une dernière assemblée générale. L'assemblée eut lieu, et il fut décidé que le Cercle resterait fermé provisoirement, mais que le bail ne serait pas résilié et que le mobilier resterait dans le local. C'est bien une preuve que les carlistes et le gouvernement considèrent ces mesures exceptionnelles comme tout à fait transitoires.
Cette révolution économique a fait descendre sur les chantiers les habitants des villages environnants. Et, comme partout, quelques-uns de ces ouvriers sont devenus socialistes ; les autres, tout comme les capitalistes, désirent le repos qui leur permet de gagner leur vie. Ils savent, d'ailleurs, que le parti carliste manque d'argent et, si beaucoup conservent une fidélité profonde et sincère pour leur prince, ils ne souhaitent pas un soulèvement qui les laisserait probablement sans pain.
AFFICHE BILBAO 1900 PAYS BASQUE D'ANTAN |
En me conduisant à travers une des plus importantes exploitations des environs de Bilbao, l'aimable chef des travaux me montra deux de ses contremaîtres, officiers dans l'année carliste. "Je suis depuis longtemps avec eux, me dit-il, je les estime et ils ont pour moi un véritable attachement. Lorsque le bruit courut que don Carlos était à la frontière, je leur demandai s'ils allaient me quitter." "Nous ne pouvons rien", répondirent-ils d'abord. Comme j'insistais en leur demandant s'ils se défiaient de moi, l'un me dit : "C'est vrai, nous ne savons rien. Et que ferions- nous ? La dernière fois, on nous avait promis notre autonomie, si nous étions vainqueurs, et que, même vaincus, on récompenserait notre dévouement. Nous avons perdu nos fueros et nous sommes restés plus pauvres qu'avant. Aujourd'hui, il n'y a plus d'argent ; nous perdrions notre situation, et sans compensation." Sans doute, tous les officiers carlistes ne pensent pas comme leurs deux confrères, ceux sur tout des campagnes n'hésiteraient pas à répondre à l'appel de leur chef ; mais on ne saurait nier que le bel enthousiasme et la belle unité de jadis n'existent plus dans le parti.
"Cependant, me disait un Français, établi depuis vingt ans dans ce pays, et qui confirmait mes premières impressions, avec les Espagnols il ne faut jurer de rien : les sautes d'humeur sont brusques chez eux et je crois que le gouvernement agit sagement en ayant l'œil ouvert sur nos environs."
VUE DEPUIS ARCHANDA BILBAO 1900 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et, en effet, comme je le disais tout à l'heure, le socialisme compte de nombreuses recrues parmi les mineurs de Somorastro et si un mouvement avait lieu à Madrid, carlistes et socialistes se mettraient peut-être en campagne, chaque parti espérant tirer profit du soulèvement.
Don Carlos s'est toujours proclamé l'ennemi de la révolution. La révolution éclatant, il considérerait comme son devoir de s'offrir à l'Espagne pour lui rendre la tranquillité et ouvrir une ère nouvelle de prospérité sous le régime des libertés provinciales toujours promises par lui. Il est probable qu'en cette occurrence ce serait la guerre civile pour un temps indéfini. Moins que tout autre la France aurait à y gagner. C'est bien ce qu'il faut dire à ceux qui ne voient l'Espagne qu'à travers l'opéra-comique, et font de tous les aventuriers de galants capitaines. Nous avons en Espagne des colonies qui heureusement ne ressemblent en rien à nos possessions d'outre-mer ; si nous n'y possédons pas de vastes espaces, nous y trouvons, en revanche, des Français, qui comme presque partout où ils ne sont pas protégés par notre sacro-sainte administration, travaillent et gagnent de l'argent. Sans parler des capitaux français engagés dans les chemins de fer espagnols, des Compagnies françaises, à capitaux français en majeure partie, exploitent des mines ; ce sont des Français qui ont l'énorme entreprise des travaux du port de Portugalete, et les résultats qu'obtiennent les uns et les autres sont de nature à attirer de plus en plus l'argent et les entrepreneurs français dans cette Espagne, qui jusqu'à ces dernières années ignorait ses vraies richesses. Ceux-là ont le même intérêt que les capitalistes et les travailleurs espagnols, dont je parlais plus haut, à ce que le pays reste tranquille, politiquement et économiquement.
Il semblerait que cette façon d'envisager la situation dût être celle de toutes les nations qui travaillent dans cette ruche autour de Bilbao. On m'affirme cependant, ici, et des côtés les plus divers, mais également bien informés, que l'Angleterre observe une étrange attitude. Elle note soigneusement, en les exagérant, toutes les fautes, toutes les maladresses que commet l'administration espagnole. Celle-ci, d'ailleurs, offre, paraît-il, large matière à la médisance. Les Anglais ne laissent échapper aucune occasion de faire remarquer l'impuissance du gouvernement espagnol à sauvegarder les intérêts étrangers engagés chez lui, et même les siens propres, ou plutôt ceux de la province. Leurs réclamations ne restent pas sans écho dans le monde des entrepreneurs et des capitalistes : l'esprit fédéraliste de la Biscaye n'a pas besoin d'être réveillé ; mais ces remarques confirment les Basques dans leur appréciation sur le gouvernement central. Déjà ils se plaignent assez de travailler pour nourrir des fonctionnaires dont ils se passeraient fort bien, de verser au Trésor des sommes qui servent à tout autre chose qu'à remplir le but pour lequel elles sont perçues, bref de payer pour les provinces qui ne font rien et ne rendent rien. Et, de plus en plus, l'idée d'un gouvernement provincial autonome s'enracine dans ces populations.
HAUTS FOURNEAUX BIBLAO 1900 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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