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mercredi 18 janvier 2023

LE COMPOSITEUR CHARLES BORDES ET LE PAYS BASQUE

LES TROIS VAGUES DE CHARLES BORDES.


Charles Bordes, né à Vouvray (Indre-et-Loire) le 12 mai 1863 et mort à Toulon (Var) le 8 novembre 1909 est un professeur et compositeur français.




compositeur france pays basque
COMPOSITEUR CHARLES BORDES



Voici ce que rapporta La Revue mondiale, le 15 octobre 1924, sous la plume de Gustave 

Samazeuilh  :



"La musique.


Un drame Basque inédit de Charles Bordes : Les Trois Vagues



Puisque, cette fois-ci encore, les théâtres et les concerts parisiens veulent bien nous laisser quelque répit, je voudrais vous dire quelques mots d’une œuvre hélas restée inachevée, mais qui mérite, par sa saveur pénétrante, par son accent direct d’être sauvée de l’oubli. Le souvenir de son auteur, prématurément disparu voici près de quinze ans, est reste vivant dans le culte des vrais musiciens. Nul artiste n’a, plus que Charles Bordes, aimé profondément la musique. Nul ne s’y est plus passionnément dévoué, laissant de côté son intérêt personnel, sacrifiant sans compter ses dons remarquables de producteur à la résurrection de tout le glorieux passé de notre art. Je ne vous rappellerai pas ici en détail l’œuvre multiple de cet infatigable animateur : la fondation des Chanteurs de Saint-Gervais de la Schola Cantorum, la diffusion, par éditions spéciales, du chant grégorien, de chefs-d’œuvre de Palestrina, Schutz, Roland de Lassus. Carissimi, Bach, Lulli, Rameau. C’est grâce à lui que le goût et la culture des artistes et du public se sont peu à peu libérés de l’emprise despotique du magnétisme ou du joug humiliant du judaïsme cosmopolite de l’opéra meyerbeerien. Absorbé entièrement par sa mission divulgatrice, arrêté trop fréquemment aussi par les misères d’une santé chancelante, surtout pendant les dernières années de sa vie, Charles Bordes oubliait qu’il nous devait la réalisation des espérances qu’avaient fait naître ses mélodies de jeunesse si librement expansives, si fraîches, sur des poèmes de Verlaine et de Francis Jammes, sa Suite, sa Rhapsodie Basque. Il oubliait surtout qu’il avait entrepris depuis 1896 un important drame musical, les Trois Vagues, dont l’idée première lui était venue pendant les fréquents séjours qu’il fit en pays basque afin d’y recueillir, sur le désir du Ministère des Beaux-Arts, une ample et superbe moisson de thèmes populaires. Le poème entier, auquel une curieuse légende euskarienne servait de dénouement, était écrit, et la musique suffisamment arrêtée dans son esprit, pour que Bordes ait pu dès 1900 donner à de nombreux amis, — et notamment aux directeurs de la Monnaie de Bruxelles Kufferath et Guidé, qui avaient aussitôt reçu l’ouvrage, — des auditions au piano des Trois Vagues dont le souvenir est resté ineffaçable dans la mémoire de ceux qui purent y assister. On avait d’abord espéré que l’esquisse de premier jet, dont Bordes se servait alors, avait pu être complétée par lui avant sa mort. Hélas ! les musiciens et hommes de lettres, amis de Charles Bordes, que son frère M. Lucien Bordes réunit l’hiver dernier à cet effet, durent constater que tout était resté en l’état. Il semblait dès lors presque impossible, même aux mains les plus pieuses et les plus habiles, de terminer une oeuvre d’un caractère aussi spécial que les Trois Vagues, avec des brouillons aussi sommaires et même fréquemment incomplets, — toute la fin du deuxième acte et d’importants fragments du troisième manquent entièrement —, sans s’exposer à la défigurer gravement. Deux compositeurs connus, de tendances très différentes, également admirateurs de Charles Bordes, MM. Guy Bopartz et Raoul Laparra, furent néanmoins pressentis, par scrupule de conscience. Après avoir individuellement et à loisir pris connaissance des ébauches diverses laissées par Bordes, ils se récusèrent successivement, pour les mêmes raisons et à leur vif regret, vu l’exceptionnelle valeur qu’ils reconnaissaient à l’œuvre: il apparut alors à tous que le meilleur moyen de sauver de l’oubli ces esquisses d’un si grand intérêt était de les déposer à la bibliothèque de l’Opéra, où elles seront mises incessamment à la disposition du public.



chanteurs musique schola cantorum
FONDATEURS DE LA SCHOLA
CHARLES BORDES
VINCENT D'INDY ET GUILMANT



"C’est surtout de l’art populaire, art d’intuition et d’ingénuité qu’on a pu dire qu’il exprime fidèlement le caractère de la race, qu’il reflète avec clarté et profondeur les traits essentiels du pays où cette race a fixé sa vie." Ces paroles si pénétrantes extraites d’une communication que fit en 1897 Charles Bordes au Congrès d’ethnographie de Saint-Jean-de-Luz me semblent, mieux que toutes autres, aptes à vous faire comprendre l'esprit qui inspira la composition des Trois Vagues. comme je vous l'ai dit plus haut, le poème utilise en sa partie finale une légende populaire d’ailleurs librement interprétée, et que Bordes a su très habilement fondre dans une action émouvante et variée dont voici l’essentiel :


Le premier acte se déroule sur les falaises du Socoa, près de Saint-Jean-de-Luz, dans la maison du sandalier Ganis (Jean en basque) sans cesse ébranlée par le rude vent du large. Jean, malgré les douloureux reproches de sa femme Maïten, est passionnément épris de Maya, basquaise espagnole d’une grande beauté, être étrange, moitié femme, moitié sirène. Il ne peut dissimuler son trouble quand sa lamia — c’est ainsi qu’on nomme dans le pays ces créatures mystérieuses — reparaît, l’invite à venir la retrouver dans la montagne, et part, provocante, en compagnie du jeune Gracien pour Elizondo, où son père Récalt prépare, à l’occasion de la fête traditionnelle, une partie extraordinaire de pelote. Touché par la douleur silencieuse de Maïten, Jean cherche à retrouver la paix dans son travail solitaire, puis monte bientôt rejoindre sa femme au premier étage. La nuit est venue, et, sur la scène restée vide, Maya reparaît transformée en lamia, casquée d’un diadème en forme de coquillage. Elle proclame son pouvoir fatidique sur les êtres qui se laissent ensorceler par ses charmes, sur la Vague de la mer elle-même, qu’elle peut asservir à sa volonté. Elle disparaît enfin dans un nuage de soufre et d’encens... On voit bientôt Jean, d’un pas hésitant, comme appelé par une force supérieure, redescendre l’escalier du fond. Il trébuche dans un voile laissé par Maya, s’y noie fiévreusement le visage, et disparaît dans la nuit à la poursuite de l’enchanteresse. Rideau.



Au second acte, nous voici en plein pays basque espagnol, sur la place d’EIizondo, décrite par Bordes dans son poème avec la plus minutieuse saveur. C’est la fête de Saint-Michel. On voit redescendre de la montagne la procession solennelle, sous les rayons dorés du soleil couchant, au son des cloches, des fifres et des salves d’artillerie. La foule se précipite dans le jeu de pelote, dont l’entrée et une partie des gradins sont visibles de la place. Maya souhaite bonne chance à Gracien, qui va lutter contre Jean, champion du jeu. Elle lui donne rendez-vous après la partie, et embrasse longuement la main qu’elle veut victorieuse. Jean, survenu brusquement, a surpris le geste. Il lui reproche amèrement son infidélité et entraîne son partenaire au jeu. Mais le sort se déclare obstinément contre lui. Ulcéré, violemment hué par ses anciens admirateurs, il ne tarde pas à abandonner la partie. C’est en vain que Gracien, ayant pitié de sa détresse et resté malgré tout son ami, lui offre de quitter le pays dès le lendemain avec lui. Jean, resté seul, médite sur les déceptions successives que lui cause la poursuite de sa passion coupable. L’obscurité a grandi...



A la faveur d’un rayon de lune, il aperçoit Maya et Gracien enlacés devant la fontaine. D’un bond, il saisit son rival par les épaules, et lui brise les reins en le jetant sur le mur du rebot. Aux cris de Maya, les gens accourent. On emporte le corps dans l’église et Jean est conduit à la prison dont Maïten, survenue éplorée, se voit refuser l’entrée. Au moment où, restée seule, elle passe devant la fontaine elle y voit réapparaître le buste de Maya en lamia. Détournant la tête, elle disparaît, comme écrasée par la fatalité, tandis que la toile tombe lentement.



Le dernier acte se déroule à Guétaria, sur la côte du Guipuscoa. Jean dort sur la grève, auprès d’une barque autour de laquelle évoluent des lamias semblant, par leurs gestes, le vouer à une perdition certaine. L’aube paraît, Maïten en haillons sort de la cabane de pêcheurs voisine et supplie son mari bientôt réveillé de ne pas partir en mer, où un rêve lui a prédit qu’il trouverait sa perte. Jean refuse, car il appartient désormais tout à son devoir. Décidée au sacrifice pour sauver l’âme de Jean, Maïten l’accompagnera donc sur les flots et triomphera successivement avec lui des Trois Vagues terribles qui, au cours d’une scène saisissante de tragédie féerique, tentent d’engloutir la barque : la Vague de lait, la Vague de larmes, et la Vague de sang. Réfugiés au plus haut sommet d’un roc contre lequel est venu se briser leur frêle exquis, Jean et Maïten, enlacés célèbrent l’intensité de leur amour reconquis. tandis que le disque du soleil levant surgit des profondeurs de la mer, on entend les chants lointains des pêcheurs bretons qui apparaissent bientôt avec leurs barques aux voiles rouges et mauves. Ils viennent délivrer les naufragés, qui rendent grâce au Seigneur tandis qu’un chœur de génies tutélaires et une ample péroraison orchestrale concluent le drame "dans une polyphonie reposante et quasi-religieuse".



Cette analyse malheureusement trop sommaire, où je n’ai pu qu’à peine utiliser les multiples indications scéniques si suggestives que Bordes a prodiguées en marge d’un texte dont il comptait mettre au point certains détails, est cependant suffisante, me semble-t-il, pour vous permettre d’apprécier en quoi 1e poème des Trois Vagues se distingue nettement de la médiocrité courante des livrets d’opéra. Avec son allure en quelque sorte improvisée de vaste chan populaire, qui était tellement dans la nature de son auteur, il nous frappe par son lyrisme intense, la variété évocatrice de ses épisodes, et ce mélange continu de féerie et de vie réelle qui est au fond même de l’âme d’une race mystérieuse, unique sans doute au monde par la singularité de sa langue, par son caractère concentré et fier, très différent du tempérament méridional français ou de la furia espagnole. Et la partition s'annonçait comme d’une qualité égale. Musique libre et mélodique où revit, au deuxième acte surtout, quelque chose de l’esprit de Carmen, musique capable tour à tour des accents les plus contenus et des plus frénétiques élans, .le me souviens de l’émotion directe des scènes initiales entre Maïten et Jean, de la méditation pénétrée du sandalier à son établi, des sinueuses vocalises de la scène fantastique de Maya. Je me souviens surtout de la couleur intense, de l’originalité poétique du tableau d’Elizondo, où les épisodes locaux, tous établis sur de savoureux thèmes populaires basques, se mêlent si heureusement à l’action. Je me souviens aussi de la grandeur pathétique de la vision finale, de l'apparition successive des trois Vagues, des voix enjôleuses ou désespérées des laminas, de l’hymne d’amour reconquis de Jean et de Maïten, du lever glorieux du soleil sur l’Océan, tandis que monte le chant des pêcheurs...



Je m’en souviens mieux encore, dans cette maison familière aux murs blancs, juchée sur le coteau de Bordagain, dominant toute la baie de Saint-Jean-de-Luz et la vallée d’Urrugne, presque mitoyenne de celle qui vit naître la majeure partie des Trois Vagues. Je vois, après vingt-cinq ans, comme si elle datait d’hier, l’audition que Bordes voulut bien m’y donner de cette œuvre prenante. C’était à la fin d’une de ces miraculeuses journées de la fin de septembre où, de même qu’elle éclaire aujourd'hui de ses rayons dorés ma table de travail, la lumière incomparable que vous savez répandait sur la ligne souple des Pyrénées finissantes et l’immensité glauque de la mer sa griserie chantante. Je revois mon ami heureux de se sentir revivre dans ce pays qu’il aimait, qu’il comprenait si bien. Je l’entends, jouant, chantant, mimant, improvisant même parfois ces trois actes avec un enthousiasme si spontané, un emballement si juvénile, une expression si communicative que la nuit nous trouva tous réunis autour de lui au piano. Les Trois Vagues semblaient ainsi frémissantes de vie, et entièrement réalisées dans son cerveau de créateur. Celui-là même qui suivait des yeux l’esquisse sommaire suffisante à Bordes pour retrouver le fil de sa pensée, était tenté d’oublier le travail matériel considérable, l’expérience consommée de l’orchestre et du théâtre, le temps qu’eût exigé la mise au point définitive de l’ouvrage d’après des éléments aussi incertains et parfois même inexistants ! Le lendemain, malgré les reproches amicaux de ses auditeurs, Bordes était le premier à n’y plus penser, repris tout entier par son "idée" du jour, que ce fût la création d’une école de danse à Tardets, dans l’intérieur du pays basque, ou l’exhumation de quelque opéra-ballet méconnu de Lulli ou de Rameau ! Les Trois Vagues pouvaient toujours attendre... Hélas !... le destin — souvent complaisant à tant de faux artistes, affamés d’intrigues, uniquement préoccupés de faire au mieux leurs affaires sur le dos d’autrui et de nous encombrer sans relâche des spécimens de leur industrie fortunée —, n’a pas permis à Charles Bordes de vivre assez longtemps pour songer à lui, et terminer l’œuvre maîtresse qui l’eût révélé tout entier au public, et qu’évoquent bien imparfaitement ces quelques souvenirs... Mais le rare exemple de désintéressement et d’amour de ce Saint-François d’Assise de la musique nous reste. Il nous rappelle utilement, en l’époque d’arrivisme et d’égoïsme féroces où nous avons la tristesse de vivre, que l’art véritable n’est jamais le reflet d’une âme basse, et qu’il ne vaut, le plus souvent, que par ce qu’elle a valu elle-même."



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