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lundi 9 janvier 2023

UN VOYAGE PAR LES CHEMINS DU PAYS BASQUE EN JANVIER 1934

PAR LES CHEMINS DU PAYS BASQUE EN 1934.


Depuis de très nombreuses années, pèlerins, touristes et journalistes parcourent le Pays Basque.




MASCARADE TARDETS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire des jeunes A la Page, le 11 janvier 1934, sous la 

plume de Lucien Henry :



"Par les chemins du Pays Basque.



Depuis longtemps cette province m’attirait. Elle occupe un tout petit coin sur la carte de France, entre les cimes des Pyrénées et l’océan Atlantique. Pourtant, sur cette parcelle, survit la race la plus ancienne, sans doute, que nous connaissions chez nous, — les Basques ne descendent-ils pas des Ibères qui peuplèrent la Gaule bien avant les Celtes ? Race fière et courageuse, attachée à ses traditions religieuses et familiales. — Mais surtout, l’on m’avait vanté les aspects variés, tour à tour riants et sauvages des provinces basques, le pittoresque des coutumes, l’entrain des fêtes villageoises où évoluent joueurs de pelote et danseurs de fandango



C’est pourquoi, un jour, ayant bouclé mon sac et chaussé de bons souliers, je suis parti pour le pays des Basques.



Arrivant des vallées béarnaises, Tardets fut ma première étape. La gracieuse Tardets, chère au bon Francis Jammes. "Tardets ! miroir du pays basque ! coin presque inconnu qui n’est que lumière..." La courbe gracieuse des montagnes, sa large vallée où s’éparpillent dix hameaux, ses blanches maisons alignées au bord du gave argenté, composent un admirable paysage de clarté.



Au delà, vers la frontière espagnole, la région est plus sauvage ; de la gorge profonde où le torrent écume, les pentes s’élèvent rapidement, couvertes de forêts, pour se terminer, là-haut, en une muraille fière et dénudée : pic d’Anie, pic d’Orhie, pic des Escaliers, que fréquentent les vautours. Parfois, la montagne est coupée d’une entaille gigantesque, crevasse de cent à deux cents mètres, large de quelques mètres, au fond de laquelle, dans un demi-jour verdâtre, vit une flore fantastique ; c’est Khakouetta, c’est Holçarte, abîmes mystérieux qu’un sentier audacieux et quelques passerelles permettent d’explorer. 



KAKOUETTA SOULE
PAYS BASQUE D'ANTAN



On rencontre, ici et là, quelques minuscules villages. Le dernier est Sainte-Engrâce. La route s’arrête — curieux symbole — à la porte du cimetière ; au milieu des tombes, s’élève la petite église où les Souletins viennent en pèlerinage chaque année à la Pentecôte. Quelques pauvres maisons groupées autour du fronton ; les portes sont closes ; passant dans les ruelles étroites, je n’ai rencontré personne ; pourtant, aucune de ces demeures ne paraît inhabitée.



Revenant de Sainte-Engrâce sous un soleil brûlant, je me suis arrêté à l’une de ces auberges dont la fraîcheur dédommage un peu de la boisson presque tiède que l’on y trouve trop souvent. Dans la pièce obscure, trois hommes discutent ; ils parlent en basque et je ne comprends naturellement pas un mot de leur conversation. Survient un commerçant de Bayonne en tournée de livraison, qui a arrêté sa camionnette devant la porte. Mes trois hommes se taisent, puis bientôt disparaissent silencieusement.



 — Ça, c’est de la contrebande, dit mon compagnon ; les gars ont bien senti que j’entendais le basque, et pis, que je ne suis pas d’ici. Alors, crainte d’être dénoncés, ils se taisent et filent. Si j’étais douanier, je surveillerais cette nuit, pendant l’orage, certain gué du torrent, et croyez que j’y trouverais un peu d’alcool. 


— Et les bonshommes ? 


— Assez malins pour ne pas se faire prendre. D’ailleurs, ça leur coûterait cher ; ils préfèrent abandonner la marchandise. 


— Le métier a des risques... 


— Evidemment. Remarquez que, par ici, tout le monde est douanier ou contrebandier, et que l’une des professions complétant l’autre, les deux sont également honorables. C’est ce que pensait un curé de la région qui donnait, il y a quelques années, ce conseil à ses ouailles : "Faites de la contrebande si vous le voulez, mais, de grâce, ne faites pas de mal aux douaniers !" 



Ce qui m’a rappelé que, dans certains villages, on sonnait la cloche de l’église pour avertir de l’arrivée des gendarmes les paroissiens qui braconnaient. Essayez donc de faire comprendre à un Souletin qu’un permis est nécessaire pour chasser les palombes que le bon Dieu lui envoie en octobre, ou qu’il existe une frontière entre la France et l'Espagne, alors que des Basques vivent des deux côtés, parlant la même langue qui n’est pas celle du Paris lointain où se font les lois.



Revenons vers la France par la lumineuse vallée qui va de Tardets à Mauléon. Plus rien ne subsiste ici de la montagne farouche; les prés et les champs alternent, en larges ondulations, jusqu'à l'écran bleu des Hautes-Pyrénées. Mauléon, tranquille et coquette cité, capitale de la Soule. Qu’il fait bon se reposer sous les platanes, auprès du fronton où les garçons, en ce moment, s’entraînent au jeu de la pelote. J’admire la souplesse et la décision des joueurs, poursuivant et relançant à main nue la balle de cuir ; autour d’eux, un jeune public très connaisseur apprécie et critique. 



La pelote est "jeu national" en pays basque ; à main nue ou à chistera, on y joue à tous les âges et dans tous les lieux ; le moindre village a son fronton, et l’on ne s’étonne pas de trouver sur les murs des monuments publics, notamment de la cathédrale de Bayonne, au lieu du traditionnel "Défense d’afficher", cette autre inscription : "Défense de jouer à la pelote".



La route du col d’Osquich conduit de Soule en Navarre française. C’est une tout autre province. Passé le col, le contraste est frappant : montagnes de roches aux teintes violacées, draperies claires des pentes piquées des points blancs des chalets ; sur les habitations dispersées loin de la route, et que l’on rejoint par des chemins creux ombragés de noyers, le large toit de tuiles brunes remplace le toit d’ardoises ; le paysage se colore et vibre sous le soleil. Je me suis arrêté à Saint-Jean-Pied-de-Port, affairée de ses changeurs, bureaux de tourisme et boutiques de souvenirs. 



Au delà des remparts, après une "posada" devant laquelle sont attachées quelques mules aux grelots sonores, s’en va la route d’Espagne. La gorge qu’elle franchit s’appelle en basque Ibaneta ; pour nous, c’est Roncevaux, la tragique vallée où périt le paladin Roland, loin de Luz et d’Argelès, comme le voulait Vigny. Là-bas, en terre espagnole, dans la solitude des bois, un monastère perpétue ce souvenir. 



Parce qu’elle est bourgade plus discrète, j’ai préféré Saint-Etienne-de-Baïgorry. N’est-elle pas aussi la porte de cette belle vallée des Aldudes que ne connaissent pas encore les touristes ? Plus loin est Quintoa, cette cité indépendante dont les habitants ne sont ni français ni espagnols, mais tout simplement basques. Leur histoire vaut d’être contée. 



Prétextant des privilèges remontant à je ne sais quelle époque reculée, les Quintoains sont affranchis des impôts et de toutes les obligations des citoyens de France et d’Espagne, mais, évidemment, ne bénéficient d’aucun des avantages de nos gouvernements. Disons tout de suite qu’ils ne s’en portent pas plus mal. En réalité, Quintoa est en territoire espagnol, ce qui n’empêche pas ses habitants d’envoyer leurs enfants à l’école de Saint-Etienne et d’y venir eux-mêmes aux offices religieux, mais ils se font enterrer chez eux... Ils ont pris l’habitude de régler leurs différends et de s’administrer euxmêmes. Pour vivre heureux, pensent-ils, vivons cachés... Demandez-leur s’ils désirent quelque chose. 

"Une route qui nous rapprochera des vallées françaises. 

— Mais si l’on s’occupe de vous, il faudra payer des impôts, faire le service militaire... 

—- Alors, mieux vaut se passer de route !" 



J’ai ensuite descendu la vallée de la Nive, par la route, puis par un joli sentier, courant parmi roches et fougères, dans la solitude. Sur mon chemin, je n’ai rencontré qu’un douanier et quelques serpents. ltxassou, Espelette, Cambo, charmants villages ! mais trop proches du littoral ; déjà les étrangers viennent troubler votre quiétude ! 



Et j’entre dans Bayonne



Capitale d’une région où abondent les beautés naturelles, le voyageur qui arrive à Bayonne se trouve sollicité de telle façon qu’il ne songera pas à connaître la ville. Et pourtant, combien avons-nous en France de joyaux comparables au cloître de sa cathédrale, merveilleux chef-d’œuvre du XIIIe siècle ? Quelles douces promenades à faire sur les vieux remparts que construisit Vauban, le long des Allées marines, sur les bords de l’Adour et de la Nive... 



Mais le touriste est pressé, il court à Biarritz, plage luxueuse et bruyante, et ne vous avouera pas sa déception d’y avoir trouvé plus de monde que sur les boulevards de Paris. 



Tout snobisme mis à part, cette côte est unique en France. Du haut des falaises de granit, à travers les pins clair semés, sur une longueur de vingt-cinq kilomètres, l’océan apparaît dans sa sauvage majesté. Un orage brassant les flots avec tumulte, la paix infinie d’un crépuscule sur la mer assagie, la vision nocturne de l’immensité où étincellent les phares, sont là-bas des spectacles magnifiques qui font tout l’attrait des plages au sable d’or de la côte basque : Bidart, Guéthary, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye



La Bidassoa franchie, c’est l’Espagne, mais c’est encore la côte basque : Fontarabie, dont la Calle Mayor aux vieilles demeures blasonnées et le château féodal ressuscitent à nos yeux le moyen âge espagnol, la baie de Pasajes, Saint-Sébastien, plage royale où j’avais la candeur de me croire loin de la France, lorsqu’un camelot se mit à crier les journaux de Paris.  



Avant de quitter la région, j’ai voulu monter à la Rhune. Du sommet, à neuf cents mètres d’altitude, on découvre trente villages et vingt montagnes des pays basques français et espagnol, des vallées de la Soule au Monte-lgueldo qui domine Saint-Sébastien, de l’embouchure de la Bidassoa à la plage d’Hossegor, au bord des sombres forêts landaises, des toits rouges d’Ascain, où naquit "Ramuntcho", aux flèches de la cathédrale de Bayonne, des eaux de l’Adour aux glaciers du Vignemale. Voilà le pays basque en ses aspects divers. Et comme je disais mon admiration à un homme de là-bas qui redescendait avec moi de la montagne, il me demanda : "Que pensez-vous de l’habitant de ces pays ?" — Je dus lui avouer avoir constaté chez les Basques beaucoup de réserve et même de la froideur à l’égard des étrangers, rien qui ne transperce de leurs sentiments. "Une race qui ne se livre pas, m’a-t-il répondu, sans doute, mais de la froideur, non. Nous vivons comme nous avons toujours vécu, comme vivaient nos ancêtres il y a des siècles, pâtres, cultivateurs ou pêcheurs, attachés à notre terre et à notre maison. Ceux qui sont en surnombre — j’ai été un de ceux-là — s’en vont aux Amériques. Après trente ans d’Argentine, je suis rentré et, croyez-moi, le vieux pays basque n’avait pas changé. Mais, comme les autres, j’ai peur qu’il change. Nous voyons les étrangers s’intéresser à nos montagnes et à nos villages, assister à nos jeux et à nos fêtes. Qu’il y ait un peu plus d’étrangers encore, et notre province ne sera plus ce qu’elle était. Nous sommes jaloux de ce patrimoine, il ne faut pas nous en vouloir si nous faisons notre possible pour le conserver..." 



Autour de nous, c’était l’heure exquise du crépuscule ; l’ombre gagnait peu à peu les vallées et les cimes et aussi l’immense océan que la brume voilait ; doucement, l’Angélus tintait au clocher d’Ascain... 



SORTIE DE MESSE EGLISE D'ASCAIN
PAYS BASQUE D'ANTAN



Je reprochai alors à mon compagnon de vouloir jouir seul de tant de beauté. "Eh bien ! dites-leur qu’ils peuvent venir au pays basque, ils seront toujours bien reçus."






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