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jeudi 5 janvier 2023

PIERRE LOTI "CHEZ LES BASQUES" EN 1897 (première partie)

PIERRE LOTI CHEZ LES BASQUES EN 1897.


C'est en 1891 que Julien Viaud, plus connu sous le nom de Pierre Loti, découvre le Pays Basque, lorsqu'il est nommé pour commander le Javelot, canonnière stationnée à Hendaye.



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PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, le 21 mars 1897, sous la plume de Gaston 

Deschamps :



"La vie littéraire.

Pierre Loti chez les Basques.

Ramuntcho par Pierre Loti, de l’Académie française, ...gr. in-18, Paris, Calmann Lévy, 1897. 



Le président de la République, sur la proposition du ministre de la marine, enjoignit naguère à l’académicien Pierre Loti, lieutenant de vaisseau, d’aller prendre le commandement du Javelot, chaloupe-canonnière, qui est, de toute éternité (l'"Annuaire est là pour le prouver), "en mission dans la Bidassoa". 



Quel est, au juste, l’objet de cette mission ? 



Les voyageurs qui vont de Hendaye à Saint-Sébastien se posent cette question les uns aux autres, lorsqu’ils voient le Javelot perpétuellement embossé devant l’île des Faisans, sous le pont du chemin de fer. 


euskal herria lehen itsas-untzia zubia lapurdi
NAVIRE LE JAVELOT 
PAYS BASQUE D'ANTAN


Les uns disent : "C’est pour la contrebande". Les autres insinuent : "C’est pour surveiller la côte". Les malins pensent qu’il s’agit peut-être de régler certaines questions de frontières, qui sont irrésolues depuis le traité des Pyrénées, et pour lesquelles une commission diplomatique (voyez l'Annuaire des affaires étrangères) "fonctionne" encore à Paris. 



Je croirais plutôt que M. le président et M. le ministre, en signant et en contresignant cet ordre ingénieux, ont obéi à une arrière-pensée de littérature. Ils ont pensé sans doute que le paisible Javelot est un observatoire commode pour étudier l’âme basque. Pourvu de ce commandement, qui n’exige pas une application soutenue ni une attention de toutes les heures, Loti, dans sa chaloupe, a pu rêver, méditer, écrire, corriger des épreuves. Et il nous a donné ce qui nous manquait : un livre sur la Biscaye



Une femme d’esprit me disait récemment : 


— Quel dommage qu’un écrivain n’aille pas s’installer à Saint-Jean-de-Luz, à Urrugne ou aux environs de Hendaye, afin de substituer aux sèches nomenclatures du Guide Joanne ou du Manuel Bædeker, la peinture vivante de ce divin pays !.. Ou décrit la Bretagne, encore la Bretagne, toujours la Bretagne. Personne, ou presque personne ne songe à ce pauvre coin de Biscaye. 


— Et le Voyage aux Pyrénées de Taine, insinuai-je. 



pays basque autrefois livre voyage pyrénées
LIVRE VOYAGE AUX PYRENEES
PAR HIPPOLYTE TAINE



— Taine ? Eh bien ! franchement, ses descriptions sont trop violentes, trop forcenées. Il n’a vu, à Saint-Jean-de-Luz, que des spectacles épouvantables. Evidemment, il y est arrivé par un mauvais jour... 



Ma gracieuse interlocutrice avait raison. Jusqu’ici, la plupart des prosateurs et des poètes n’ont parlé de la Biscaye qu’en passant, en courant, d’un ton hâtif et d’une haleine essoufflée.



Théophile Gautier, en 1840, eut à peine le temps de remarquer (bien qu’il eût de fort bons yeux) le chapeau pointu, la veste brune, les guêtres de peau et la ceinture rouge du mayoral qui conduisait la voiture de Bayonne à Madrid. Il dessina, sur son carnet, deux ou trois contrebandiers qui n’étaient peut-être que d’honnêtes bouviers en béret. Aux relais, avant de payer avec des réaux, pleins de couleur locale, le propriétaire de la posada, le bon Théo improvisait des vers picaresques sur 

Urrugne

Nom rauque, dont le son à la rime répugne



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EGLISE D'URRUGNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Victor Hugo, le 23 juillet 1843, par un après-midi de pesante chaleur, fut cahoté de Dax à Bayonne sur l’impériale d’une diligence dont la sellette lui parut aussi dure que les cailloux du chemin. Quelques jours après, il vit rapidement Biarritz, "village blanc à toits roux et à contrevents verts". Se promenant, à marée basse, parmi les coquillages et les crabes, il vit "une belle jeune fille qui nageait vêtue d’une chemise blanche et d’un jupon court dans une petite crique fermée par deux écueils à l’entrée d’une grotte". En nageant, cette baigneuse chantait Gastibelza, l’homme à la carabine... 



De là, le poète des Feuilles d'automne se rendit à Saint-Jean-de-Luz, qui lui parut "un village cahoté dans les anfractuosités de la montagne". La Bidassoa lui sembla une jolie rivière, mais il observa que, "dans l'île des Faisans, il y a des canards". Irun ne lui plut guère. "Irun, dit-il, ressemble aux Batignolles." Toutefois, en regardant la carte du Guipuzcoa, il remarqua de beaux noms aux syllabes étranges ; et il se promit de leur faire un sort. Déjà, il avait illustré le village d’Hernani, troupeau de huttes, perdu sur la frontière d’Espagne. Plus tard, en écrivant la Légende des siècles, il se souvint de ce mont Jaïzquivel, auquel les touristes de Saint-Sébastien ne manquent jamais d’accorder un coup d’œil entre deux courses de taureaux

Laveuses, qui, dès l’heure où l’Orient se dore, 

Chantez, battant du linge, aux fontaines d’Andorre, 

Et qui faites blanchir des toiles sous le ciel ; 

Chevriers, qui roulez, sur le Jaisquivel,

Dans les nuages gris votre hutte isolée ; 

Muletiers, qui poussez de vallée en vallée 

Vos mules sur les ponts que César éleva, 

Sait-on ce que là-bas le vieux mont Corcova 

Regarde par-dessus l’épaule des collines ! 



pais vasco antes donostia toros
NOUVELLE PLAZA DE TOROS
SAINT-SEBASTIEN 1932


Ainsi, la Biscaye, effleurée par des incursions brèves, n’avait pas encore été annexée à la littérature. C’est à ce moment que Loti vint. Il était temps, grand temps. Car les Basques subtils exploitent déjà les curiosités de leur beau pays, comme s’ils étaient Suisses. Victor Hugo avait prédit ces appétits de lucre et cette invasion des Barbares. "Un jour viendra, disait-il, où Biarritz, ce village si honnête, sera pris du mauvais appétit de l’argent, sacra fames. Biarritz mettra des peupliers sur ses mornes, des rampes à ses dunes, des escaliers à ses précipices, des kiosques à ses rochers, des bancs à ses grottes, des pantalons à ses baigneuses !... On lira la gazette à Biarritz ; on jouera le mélodrame et la tragédie à Biarritz. Le soir, on ira au concert, et un chanteur en i chantera des cavatines de soprano à quelques pas de ce vieil océan qui chante la musique éternelle des marées, des ouragans et des tempêtes..." 



Hélas ! cette sinistre prophétie est maintenant réalisée. Biarritz et Hendaye sont des "plages". Les casinos, les hôtels (de premier ordre), les cabines, les cafés, les villas se multiplient dans les vallées de la Bidouze, de la Nive et de la Nivelle. Des chalets trop confortables guettent les voyageurs au sommet de la Rhune. Le bourg d’Ascain, où Loti aimerait à planter sa tente, ne sera bientôt plus qu’une colonie d’auberges cosmopolites. L’état lamentable de ce pays dévasté n’a pas découragé Loti. L’auteur des Japoneries d'automne est un grand conquérant. Il est sûr de vaincre, parce qu’il ne voit pas l’ennemi. Il lit les Guides, il les sait par cœur, mais il n’a, de sa vie, entrevu M. Perrichon. Heureux homme ! Son imagination l’enveloppe d’un nuage doré qui dérobe à ses yeux toutes les vulgarités et toutes les platitudes. Il est doué d’une puissance d’illusion divinement enfantine. Le pèlerin du Désert a mis un burnous pour monter au Sinaï, et là-haut il n’a pas été offusqué par la table d’hôte, établie pour les clients de l’agence Cook, à l’endroit même d’où Moïse rapporta les tables de la Loi. Pareillement, le commandant du Javelot, "en mission dans la Bidassoa", élimina d’instinct tout ce qui pouvait gêner sa vue. Il se fit Basque, comme il s’était déjà fait Turc, Nippon et Bédouin. Son initiation, commencée en l’automne de 1891, par une châtelaine du pays "escualdanac" (c’est ainsi qu’il faut appeler le pays bas» que), vient d’aboutir à une manière de chef-d’œuvre : Ramuntcho



pays basque autrefois écrivain ramuntcho
LIVRE RAMUNTCHO DE PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN



C’est du Loti, du vrai Loti, de l’ancien. Cette histoire, très belle, se passe autour du clocher massif d’Etchezar, planté comme un donjon de forteresse au tournant d’un chemin, en face de la haute muraille des Pyrénées... Occasion, pour Loti, de nous dépeindre, avec cette précision émue dont il est coutumier, le décor des montagnes basques. Hauteurs peu élevées, mais dont les crêtes découpent sur le ciel un zigzag de lignes très nettes. Silhouettes lointaines de vieilles villes, Fontarabie, Irun, dont la physionomie âpre s’adoucit dans les vapeurs bleuâtres de l’horizon. Eglises "qui ressemblent à des mosquées, avec leurs grands vieux murs farouches, percés tout en haut seulement de minuscules fenêtres", Cimetières dont les cyprès se massent, en assemblées sombres, au milieu des hameaux disséminés. Petits sentiers de chèvres, qui semblent ramper au flanc des coteaux. Chemins ombreux et solitaires sous les vieux chênes qui s’effeuillent, entre des talus richement feutrés de mousses et de fougères. Ravins où bruissent des torrents. Pelouses inclinées, où les fleurs de digitale s’élancent partout comme de longues fusées roses. Gorges d’ombre, où se tassent de grands chênes, et au-dessus, partout, un lourd amoncellement de montagnes, d’une couleur rousse, brûlée de soleil... Et la Bidassoa tantôt encaissée comme un gave entre deux falaises de roches, tantôt élargie en estuaire, bleue comme un lac aux heures de marée haute, ou devenue un mince filet d’argent, à l’étale de basse mer. Tous les aspects du ciel, de la terre et des eaux, tous les moments du jour et de la nuit, tous les changements des saisons pourraient se refléter en images fixes sur les plaques sensibles que Pierre Loti, merveilleux photographe en couleurs, offre aux impressions de la fantasmagorie universelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de feuilleter cet album-ci. 



pays basque autrefois écrivain ramuntcho
PIERRE LOTI
PAYS BASQUE D'ANTAN



Journées de novembre, "dans un tiède rayonnement de ce soleil, qui s’attarde longtemps sur les pentes pyrénéennes. Au bord des chemins, montent de hautes graminées, comme au mois de mai, et de grandes fleurs en ombelles, qui se trompent de saison ; dans les haies, des troènes, des églantiers ont refleuri, au bourdonnement des dernières abeilles, et l’on voit voler de persistants papillons, à qui la mort a fait grâce de quelques semaines." 



Crépuscules d’arrière-saison, où "l’automne s’indique par la chute hâtive du jour, avec tout à coup une fraîcheur montant des vallées d’en-dessous, une senteur de feuilles mourantes et de mousse ; les brumes tristes apparaissant avec le soir, les Pyrénées confondues parmi des vapeurs d’un gris d’encre, ou bien, par places, découpées en noires silhouettes sur un pâle ciel d’or".



Après-midis limpides d’hivers attiédis par les brises d’Afrique. Le relief des montagnes s’avive de lumière et d’ombre. Les Pyrénées semblent s’avancer, écraser le village... Les cimes espagnoles ou les cimes françaises sont là, toutes proches, comme plaquées les unes sur les autres, exagérant leurs bruns calcinés, leurs violets intenses et sombres... Par instants, la clarté du jour est éclipsée par de grandes nuées opaques, déployées en forme d’arc. Çà et là, le voile se déchire. Et, par la déchirure, frangée de vif-argent, on aperçoit la profondeur d’un ciel bleu, presque vert..."




A suivre...




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