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jeudi 19 janvier 2023

NOUVELLES ANECDOTES DE VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND AU PAYS BASQUE (dixième partie)

 

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC ROSTAND.


Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant des décennies.



pays basque autrefois cambo rostand
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND  EN 1902
PAYS BASQUE D'ANTAN
COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales Politiques et Littéraires, le 15 septembre 

1927, sous la plume de Paul Faure :




"Vingt ans d'intimité avec Edmond Rostand.


XVII. 1910-1912.


Après ces quelques mois de Paris, Rostand revint avec d'autant plus de plaisir à Arnaga qu'on avait mis à profit son absence pour pousser les travaux du jardin et la maison.



Il trouva le jardin terminé dans ce qui en est l'essentiel. Quant à la maison, une partie de la décoration en était faite, il allait activement la reprendre. C'était une de ses phrases favorites qu' "une maison n'est jamais terminée".



A Henri Martin, à Mlle Dufau, à Gaston La Touche, à Jean Veber, à Caro-Delvaille, à Georges Delaw, avait été confié le soin d'orner de peintures les principales pièces.



Le décorateur Henri Perret allait continuer les allées et venues de l'architecte Tournaire ; mais son règne devait durer plus longtemps, pour l'excellente raison que, la maison étant construite, il n'y avait guère plus à y toucher, tandis que tout ce qui serait le travail d'ameublement ne verrait jamais la fin.



La vraie vie de Rostand à Arnaga s'organisa maintenant. Il allait s'attacher à sa nouvelle demeure au point que, chaque fois qu'il lui faudrait s'en éloigner, ce serait avec regret.



Il commença d'habiter plus ou moins toutes les chambres du premier étage, pour finir par s'installer dans les deux petites pièces du pavillon collé à la grande maison et qui semble la protéger de son aile. C'est dans celle dont le cabinet de toilette a sa fenêtre un peu au-dessous du cadran solaire qu'il allait vivre désormais.



Je ne puis me le représenter que dans cette chambre. J'en vois la toile de Jouy à dessins mauves qui décorait les murs, le canapé toujours chargé de livres, la cheminée avec sa pendule Directoire. Dans un coin, sa canne à béquille d'ivoire. Aux murs, un portrait de sa mère, par Coraboeuf, et le      de Devéria. Quand on entrait, on apercevait Rostand sur son lit, qui était dans le coin à droite, face à la fenêtre ouverte sur le jardin, et dont l'appui était toujours garni d'un bouquet. Les yeux derrière de grosses lunettes d'écaille, il travaillait, couvrant de sa minuscule écriture les feuilles de carnets posés sur un cartable de cuir. Il se servait d'une plume très fine, ou d'un crayon dont il y avait toujours des tas dans un petit vase à fleurs posé à portée de sa main. Une odeur de toile et de tapis flottait dans cette chambre, qu'il ne quittait que pour descendre au jardin, dont il voyait de son lit les parterres et les arbres.



pays basque autrefois dessin écrivain
VICTOR HUGO
PAR DEVERIA



De la fenêtre de cette petite chambre, regardons-les, ces jardins d'Arnaga ; puis, nous descendrons, nous irons à eux. Et ne les regardons pas seulement avec nos yeux, mais aussi avec notre mémoire, où restent fixés les différents aspects qu'ils prennent selon les heures et les saisons.



J'ai dit que Rostand les planta de vieux arbres : platanes, cyprès, tilleuls, ifs taillés, d'une épaisseur de muraille, d'un noir d'ébène. Il les a disposés de telle manière qu'ils sont sertis par la montagne ; elle met leur architecture en valeur. Ils s'adaptent au paysage. Ayant planté les arbres, il creusa un miroir d'eau avec des marges de pierre et des escaliers qu'on ne se lasse pas de regarder à cause d'un je ne sais quoi de poétique et de doux qui vient peut-être de leur forme légèrement évasée et de leur pente. Ce miroir, motif central autour duquel s'entrelacent les lignes, les losanges dessinés avec du buis, avec des plantes, est la vie du jardin ; il reflète les nuages, les lueurs du ciel, change de teinte à chaque instant, se ternit quand le vent le touche ; des cygnes le parcourent, glissent, heurtent les bords de leur proue blanche ; perpétuellement, des oiseaux viennent à lui, fascinés par sa surface brillante, l'entourent, se posent sur les marches. Jardins d'Arnaga, jardins à la française, stricts, géométriques, mais avec d'adorables fantaisies, des coins qui rappellent les villas de la Toscane et de la campagne romaine ! La terrasse qui les commande est elle-même un jardin, une estrade fleurie, sur laquelle est posée la maison, une sorte d'enclos suspendu, plein d'héliotropes, de pétunias, de tubéreuses qui mettent sous les fenêtres les parfums de leurs calices, et de vases de Signa qui, rangés sur le dallage de pierres blanches et de briques roses reçoivent la poussière d'eau d'une fontaine. On descend quelques marches disposées en éventail, et à droite, sur un bord du plateau, s'ouvre la pergola ; chacun de ses piliers est dans un fourreau de fleurs : les grosses poutres de son toit ajouré sont enrubannées de pampres ; elle est comme la loge édifiée pour admirer la Rhune, qui se dresse en face et ennoblit l'horizon. Il faut aller lentement, très lentement, à travers ces jardins, car ils sont pleins de détails exquis et offrent des perspectives imprévues. Ils portent sur leurs côtés — ainsi que les églises, leurs petites chapelles—de plus petits jardins ou les fleurs, abritées par des murailles végétales, se pressent en plus grand nombre. Une large avenue bordée de citronniers met un espace net entre les parterres et le miroir et va de l'orangerie à un treillage dont les trois arcs encadrent les bustes de Shakespeare, Hugo, et Cervantès. Partout, au milieu, sur les côtés, ce sont les velours des gazons découpés en carrés ou en longues bandes unis, brodés de fleurs ou chamarrés de buis. Près d'un châtaignier séculaire, appuyé à des colonnettes reliées les unes aux autres par des chaînes fleuries, un banc en exèdre se déploie autour d'une roseraie. Devant la villa, au coeur des massifs et des plates-bandes, luit un bassin rond dont le centre est un groupe de marmousets qui offrent au ciel la vapeur mince et haute d'un jet d'eau. Rostand ne s'est pas contenté d'orner le sommet de la colline, il a aussi paré les pentes, les a enrichies de fleurs. Là où étaient quelques rares genêts, il planta les genêts par centaines, et choisis parmi ceux dont l'or est le plus vif ; sous les chênes, des hortensias bleus s'épanouissent en rondeurs de dômes, mettent dans l'ombre tombée des feuillages de petites flaques d'azur ; d'une prairie, des lis sortent, droits, légers, pareils à des quenouilles blanches. Un flanc de la colline est chargé de lauriers-roses, dont les pétales étendent sur le sol comme une jonchée de procession ; plus loin, les rhododendrons présentent, posées sur le feuillage, leurs houppes somptueuses. Ornant les plates-bandes incrustées en broderie sur les massifs, jetées comme par poignées, les fleurs brillent ; de quelque côté qu'on regarde, elles enluminent tout Arnaga. Après les parterres, après une grande pelouse unie, derrière un mur très bas, couvert de pensées et d'oeillets, se cache le potager, tout gai, tout rutilant sous la double parure des fruits et des légumes. La maison des jardiniers, avec son escalier extérieur, sa façade ornée, à la mode basque, de chapelets de piments, les écuries, la basse-cour, composent un décor rustique, se groupent en une sorte de hameau d'où partent des sentiers qui suivent les pentes, entrent sous la nef des chênes, s'insinuent dans les bruyères, descendent en lacets, débouchent au moulin, ermitage où règne la fraîcheur d'un ruisseau dont l'eau reçoit en passant le frôlement des arbres penchés.



pays basque autrefois moulin cambo rostand
MOULIN D'ARNAGA CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Du côté opposé aux jardins à la française, au delà de l'espèce de cloître formé par la pergola, c'est brusquement un grand vide. La colline tend sa proue à l'espace, s'avance en éperon vers un admirable paysage. Terrasse où l'on vient pour voir le décor qu'a posé la nature. Rostand a voulu qu'elle ne soit que cela. Plus de massifs, plus de parterres, rien qu'une pelouse dont la pente est inclinée dé telle façon qu'elle semble rejoindre les prairies de la vallée, se confondre avec les herbages qui bordent la rivière, rien que ce tapis et trois cyprès. Seulement, cette pelouse, Rostand l'a entourée d'une balustrade qui est merveilleuse, et qui, pourtant, n'est ni en pierre, ni en marbre, ni sculptée, ni chargée de statues ; elle est simplement une haie de buis, mais une haie de buis incrustée de roses, de petites roses pompons jetées par centaines, par milliers, dans le dur feuillage. Elle en est couverte, de ces roses, elle en est criblée à ce point qu'on la dirait poudrée d'une poussière de corail, d'une neige de duvets, étoilée de cristaux, de flocons qui seraient imprégnés de couleur rose ; la proue en est ornée comme d'une guirlande de fête. Terrasse incomparable pour regarder la vallée ! A droite, à gauche, les villages présentent à la lumière leurs façades blanches. La Nive passe au pied d'Arnaga, tourne, semble chercher sa route, puis se décide à courir en ligne droite ; aux endroits où des rochers l'attendent, elle mugit et se couvre d'écume ; aux endroits où rien ne l'arrête, elle est lisse et paisible. On la distingue longtemps, longtemps. Là-bas, tout au fond du paysage, elle n'est plus qu'une clarté.



pays basque autrefois maison rostand
MAISON ARNAGA CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN


De tels jardins conviennent à un poète, et il n'y a qu'un poète qui ait pu les créer. A notre époque de fièvre, qui aurait cette fantaisie, cette élégance, sinon un rêveur, un artiste, de décorer une colline, et uniquement pour soi, pour s'en donner l'enchantement ?



XVIII. 1912-1914.


Contrairement à ce que certains, après Chantecler, croient ou affectent de croire, Rostand n'est rien moins que fatigué. Ou, s'il l'est, c'est d'une surabondance d'idées. Deux choses viennent sans cesse, chez lui, paralyser les essors de sa pensée : son sens critique et sa santé, qui, sans être mauvaise, n'est tout de même qu'une demi-santé.


— Ah ! que j'envie, me disait-il hier, ceux qui peuvent travailler des journées entières sans fatigue, qui ont cette nature vigoureuse qui favorise les besognes fécondes ! Ceux-là qui me croient heureux, qui voudraient être à ma place, ne connaissent pas mon supplice. Car c'en est un que de sentir remuer en soi une infinité de choses, des foules de personnages, et de ne pouvoir, faute d'énergie physique, leur donner la vie.



Rien que de fort simple dans la vie de Rostand. Travail, et, vers cinq heures en été, si le temps est beau, promenade au jardin. C'est à peu près tout. Il jaillit de sa chambre, dégringole quatre à quatre l'escalier qui mène au dehors ; et quand, le vestibule franchi, il arrive d'un pas bondissant sur la terrasse, il a toujours un cri d'enthousiasme devant son beau jardin. Il s'arrête, le regarde, puis va à lui, la promenade commence.



Cette promenade quotidienne de Rostand dans son jardin n'a rien du classique tour du propriétaire ! Ce n'est pas pour discuter du prix des graines, du fumier, du mètre cube de gravier, qu'il s'arrête avec ses jardiniers. Ce qu'il leur explique quand on les voit avec lui, penchés sur le sol, attentifs aux dessins qu'il y trace avec sa canne, ou suivant de l'oeil le lent geste dont il indique les points du jardin qu'il veut modifier, ce sont des projets d'embellissements, d'ornementation. Et chaque jour, il en a de nouveaux : ces lis qui font une haie à l'escalier, il faut qu'ils descendent plus bas; il n'y a pas assez d'hortensias sous les chênes qui bordent la grande allée.




pays basque autrefois jardins rostand labourd
JARDINS D'ARNAGA CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN





— N'hésitez pas, dit-il, à planter des rosiers sur l'éperon qui regarde la vallée, je tiens à ce qu'au printemps il soit absolument rouge de roses. N'hésitez pas non plus à planter des cyprès sur les pentes. Je vous avais dit d'en commander trente ; ce ne serait pas suffisant, commandez-en cent. Et ne vous arrêtez pas à cette idée (c'est là un préjugé de chez nous) que les cyprès sont funèbres, qu'ils ne sont bons qu'à orner les cimetières. C'est absurde. Je vous montrerai des photos de jardins d'Italie. Vous verrez que les plus beaux, les plus célèbres, en sont couverts.



Et cela continue pendant longtemps. Les jardiniers écoutent, regardent les dessins de Rostand, et ne demandent pas mieux que de le contenter ; mais ce n'est pas toujours commode. Lui, si patient pour toutes choses, ne l'est plus quand il s'agit d'embellir sa maison ou son jardin. A peine a-t-il conçu, que, vite, il faut réaliser.



Rostand ne se presse pas de quitter son jardin. Il ne sait jamais l'heure, Une chose, quelquefois, lui en donne la notion : la lente et grave cloche d'Espelette, qui sonne l'angélus du soir. Mais, le plus souvent, il faut, pour le faire rentrer, l'insistance de quelqu'un de son entourage. Et encore doit-on s'y prendre à plusieurs fois, car à peine a-t-il répondu : "J'arrive", que quelque chose de nouveau le replonge dans ses extases de jardin. Ce n'est qu'à la troisième ou quatrième fois qu'il se décide à aller dîner. Il se console, d'ailleurs, d'abandonner sa promenade quand le couvert est mis sur la terrasse.



Tel est le Rostand du soir.



Le Rostand de la journée n'est guère visible. Enfermé dans sa chambre, il travaille. Et toute la maison semble obéir à la même intention de faire du silence autour de lui."



A suivre...




  


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