UNE VISITE À EDMOND ROSTAND EN 1906.
Après avoir loué dès 1900 la villa Etchegorria à Cambo, Edmond Rostand se fait construire de 1903 à 1906 la villa Arnaga, où il écrira Chantecler.
EDMOND ROSTAND 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Temps, dans son édition du 20 septembre 1906, sous la
plume de Raoul Aubry :
"Choses d'aujourd'hui.
En visite : Chez Edmond Rostand.
...Il me dit son existence, qui est exempte de travail et d’inquiétude :
- Le climat est doux, le ciel bleu ; la race est fière, robuste, loyale ; une sorte de quiétude mystérieuse enveloppe les êtres et les choses, amollit les nerfs et berce la rêverie. Nous nous éveillons le matin, et aussitôt cette première question : Quel temps fait-il aujourd’hui ?
"C’est notre principal souci... Alors, avant midi, longue course à pied jusqu’au déjeuner ; ensuite promenade à bicyclette ou en voiture ; lecture et repos ; dîner, une heure au jardin, et coucher. On dort ici de dix heures du soir à sept heures du matin. Voilà la vie. Elle se traîne calme et monotone, cependant occupée et absorbante. Si je prends un feuillet, si j’écris quelques vers, je les abandonne, vite las. L'horizon féerique s’ouvre devant moi, et la plume tombe de mes doigts...Ma pensée est si loin qu’en vain je la voudrais ressaisir, et je m’abandonne à la volupté si douce de ne rien faire..."
Edmond Rostand ne suit même pas les journaux de Paris. La vie des théâtres et du boulevard l’importune, et son besoin de savoir se satisfait par la lecture, chaque matin, de deux confrères notoires du Sud-Ouest : il lit régulièrement la Dépêche de Toulouse et la Petite Gironde ; là, pas de potins qui l’énerveront, de nouvelles qui troubleront sa quiétude, mais des informations de l’Etranger et... de la franche politique ! Oui, beaucoup de politique : la séparation des Eglises et de l’Etat l’a passionné. Il me l’avoue en riant... Mme Rostand parcourt les feuilles parisiennes et signale parfois un article, un écho, que l’écrivain lit à son tour sans une excessive curiosité. C’est que la vie de Cambo l’a pris tout entier et ne paraît pas vouloir le lâcher de sitôt. Nous parlâmes de l’Académie, de Marcel Prévost qu’il affectionne et dont il avait eu des nouvelles le matin, de M. G. Lenotre, dont les pittoresques et si littéraires études historiques le ravissent... Mais son esprit ne dépassait pas, en réalité, les limites d’"Arnaga", et il attendait avec une anxiété véritable le coucher du soleil, parce qu’en ce pays le crépuscule apporte un moment grandiose, alors que la montagne se teint de rose et de violet, et que, vers l'Océan, le ciel s’embrase dans une poussière d’or.
ARNAGA CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Donc, M. Edmond Rostand a peu travaillé. Mme Rostand, qui est un poète si délicat, n’a pas écrit davantage. Seul, leur fils aîné s’adonne avec fureur à l’étude de la littérature anglaise ; sa culture intellectuelle est si vive qu’il a traduit, avant sa quinzième année, près de vingt volumes ! Ce surmenage l’a fatigué. C’est qu’il travaille pour ceux qui ne font rien, m’a dit son père en souriant. Mais nous aimerions peut-être mieux, nous autres, que chacun réclamât sa part du labeur familial.
Alors nous parlâmes de Chantecler. M. Rostand me rappela comment il avait conçu l’idée de cet ouvrage:
— "Je lus, un jour, le roman si peu connu que Gœthe a écrit d’après notre vieux Roman du Renard. Et je pensai qu’ainsi nous laissions souvent la littérature étrangère s’inspirer de nos chefs-d’œuvre, de nos légendes, de nos traditions, tandis que nous les ignorions presque nous-mêmes. Et je me mis à l’étude du Roman du Renard, où sont des parties admirables. En faire une pièce? Lorsque m’en vint l’idée, je l’écartai comme folle. Puis je réfléchis qu’Aristophane avait su passionner ses contemporains avec des dialogues dont on s’occupe encore. Certes, je n’étais pas Aristophane ; mais enfin la tentative était-elle donc si sotte ?
FILM LE ROMAN DE RENARD |
Je me dis encore que nous possédions aujourd’hui des moyens de traduction scénique que les anciens n’avaient pas, et que la réalisation matérielle de fantaisies autrefois injouables devenait possible. Je me pris à poursuivre cette idée. Elle me passionna... Le soir, je cherchais les moyens pratiques de représenter les scènes imaginées l’après-midi : le crayon à la main, je plaçais mes personnages, je les conduisais dans un décor ; et c’est ainsi que je composai Chantecler.
La fièvre d’inspiration tombée, je mis le manuscrit dans un tiroir, et je laissai le calme se rétablir, afin de reprendre mon œuvre avec sang-froid et d’en revoir les détails. J’en suis là... Qu’on me laisse juge de mon heure, et qu’on n’y pense pas plus que moi-même, — c’est-à-dire, pour l’instant, pas du tout..."
Il y a quelques semaines, M. Hertz, directeur de la Gaîté, écrivit au poète, lui faisant part de l’offre qu’un imprésario notoire de l’Amérique du sud adressait à Coquelin pour une tournée qui pouvait rapporter un million à l’artiste. Si M. Rostand donnait Chantecler, Coquelin renonçait à la fructueuse tournée. Le donnerait-il ?
COQUELIN AÎNE CHEZ ROSTAND A CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
C’est Mme Rostand qui répondit : un auteur ne saurait en conscience jamais empêcher un comédien de gagner pareille somme, s’il lui en est proposé le moyen ; et, dans ce cas particulier, le poète ne voulait prendre aucun engagement quant à la date où Chantecler serait achevé. Il ne savait encore à quel moment il se sentirait prêt à le présenter au public... Il attendait...Telle est aujourd’hui la situation vraie : il attend encore, indécis.
Quant au sujet même de Chantecler, on en a déjà trop parlé pour qu’il ne me soit pas permis d’en dire ici la puissante conception.
C’est, sous la forme d’un dialogue d’animaux, un satire extrêmement vive et, par endroits, d’une grande éloquence. Le premier et le second acte — le second acte surtout — sont d’une beauté que le théâtre de M. Rostand, de si haute inspiration cependant, n’a pas atteinte encore, et les morceaux qui semblent d’une représentation scénique difficile apparaissent surtout dans la partie finale de l’ouvrage ; la conclusion ne satisfait pas son auteur, qui est sévère à lui-même.
Il est évident que le poète a voulu tenter une satire de ces vaniteux qui prétendent peser de leur action sur les destinées du monde. Un coq, dans la cour d’une ferme, persuade à ses compagnons que, s’il ne chantait plus, le soleil cesserait de paraître ; il devient amoureux, ne chante plus, et le soleil monte à l’horizon, majestueusement.
L GUITRY LE COQ CHANTECLER PAYS BASQUE D'ANTAN |
C DERAISY POULE BLANCHE CHANTECLER PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le vers de M. Edmond Rostand épuise ici la gamme des harmonies : il étincelle, s'enfle, sonne comme une fanfare, puis s’estompe de mélancolie, s'attarde à des paysages délicats, raille, disserte, s’amuse aux ironies, fait des grâces, et soudain resplendit aux cimes dans un puissant coup d’ailes.
Entendrons-nous Chantecler au théâtre ?
CHANTECLER D'EDMOND ROSTAND PAYS BASQUE D'ANTAN |
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