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samedi 27 juin 2020

UN CRIME À SARE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN MARS 1869 (première partie)


UN CRIME À SARE EN 1869.


Un fait divers sordide secoue le village de Sare, habituellement paisible, en mars 1869.


pays basque autrefois pelote
PARTIE DE REBOT  A SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta Le Petit Journal, dans son édition du 8 août 1869 :



"Tribunaux.




Cour d'Assises Basses-Pyrénées. 




Présidence de M. de Bordenave-d'Abère, conseiller à la Cour impériale de Pau.




Audience du 6 août.




Affaire Murillo et consorts. 



Un drame à minuit dans la maison d'un médecin. -Assassinat et vol.

(Correspondance particulière du Petit Journal).




Les circonstances mystérieuses et tragiques qui ont entouré cette affaire vont enfin se révéler au grand jour de l'audience. Voici les faits qui résultent de l'acte d'accusation.




Le 19 mars 1869, trois Espagnoles, les nommés Manuel-Parceval Murillo, Esteban Erremundéguy, dit Ciripa et Francisco Rios, se présentaient vers une heure de l'après-midi chez le sieur Meynier, aubergiste à Saint-Jean-de-Luz.


PEINTRE BAYONNE
ST JEAN DE LUZ EN 1870
PAR LEON BONNAT


Après y avoir pris leur repas, ils sortaient ensemble, et ils ne tardaient pas à se diriger du côté de Sare, où ils arrivaient dans la soirée. 




Parmi les habitations qui composent ce village, on remarque à l'extrémité orientale une vaste maison à deux étages appartenant au docteur Dithurbide, ancien maire de Sare. La façade principale est située à l'ouest, sur le bord de la grande route dont elle n'est séparée que par un petit jardin de quelques mètres de longueur et entouré de murs à hauteur d'appui.




La façade est de la maison donne sur une cour suivie d'un grand jardin mais de ce côté, le sol étant plus bas, les caves se trouvent au niveau de la cour, et au lieu de soupiraux on a pu y ouvrir deux portes et une petite fenêtre.




Le rez-de-chaussée de la maison est divisé par deux corridors, qui se coupent à angle droit et aboutissent à quatre portes extérieures. Deux pièces donnent sur la façade ouest, du côté de la route ; ce sont à gauche de la porte d'entrée, la cuisine à droite, la salle à manger. Sur la façade est, du côté du grand jardin, quatre chambres deux au nord ; dans l'une couchaient les deux servantes de M. Dithurbide, Dominine Duhalde et Jeannette Lamarque ; l'autre était inoccupée ; deux au midi l'une servant à la cuisinière Françoise Etchigaray ; l'autre aux deux domestiques, Martin Dargaïts et Jean Ospital.




Le premier étage reproduit les mêmes divisions que le rez-de-chaussée, et l'appartement occupé par le propriétaire se trouve au-dessus de la chambre de la cuisinière Françoise Etchegaray. 




Arrivés à Sare, à l'entrée de la nuit, et après avoir attendu le moment favorable pour l'exécution de leurs coupables projets, les trois Espagnols se rapprochèrent de la maison Dithurbide. Vers minuit et demi, plusieurs jeunes gens, en rentrant chez eux, remarquèrent en passant devant cette maison, trois individus arrêtés auprès de la porte du petit jardin ; ils les saluèrent, mais ne reçurent aucune réponse. Ils avaient fait deux cents pas à peine, lorsqu'ayant entendu des cris et supposant que c'était quelqu'un de leurs camarades qui les appelaient, ils revinrent sur leurs pas ; les trois inconnus arrêtés devant la maison Dithurbide avaient disparu. C'est à ce moment, sans doute, qu'ils se préparaient à commettre leurs crimes. Tout semblait en favoriser l'exécution la nuit, était des plus sombres, le vent et l'orage allaient bientôt empêcher les cris d'être entendus. 


pays basque autrefois sare
SARE 1869
PAYS BASQUE D'ANTAN



Les accusés essayèrent d'abord de s'introduire dans la maison du docteur Dithurbide, en forçant l'une des portes qui donnent accès dans les caves, car des traces d'effraction ont été constatées sur la porte elle-même et sur les pierres qui l'entourent. N'ayant pas réussi dans ce premier essai, les malfaiteurs firent le tour de la maison et s'arrêtèrent devant la façade ouest ; ils commencèrent à scier les barreaux de fer qui garnissaient l'un des soupiraux de la cave.




Mais ils s'aperçurent, sans doute, que ce travail allait leur demander beaucoup de temps et d'efforts ; aussi, renonçant bientôt à cette difficile opération, ils songèrent à un autre moyen. Ils découvrirent non loin de là et devant la maison d'un charpentier, des chevalets en bois qu'ils transportèrent dans le jardin de M. Dithurbide, et ils les placèrent contre l'une des fenêtres. 




Munis alors d'une lime et d'un levier, ils forcèrent le contrevent, brisèrent l'un des carreaux, détachèrent un treillis en fer qui se trouvait dans l'intérieur, et ouvrirent la croisée.




Après s'être introduits dans la cuisine et avoir refermé le contrevent qu'ils avaient ouvert, ils allumèrent des bougies, se noircirent le visage avec la suie de la cheminée, quittèrent leurs chaussures.




Ils essayèrent d'abord de pénétrer dans là chambre où couchait la cuisinière ; heureusement pour cette femme, contre son habitude, elle s'était, ce soir là, fermée à clef. Ils sa dirigèrent alors vers la salle à manger, dont ils ouvrirent la porte, et continuant leurs recherches, ils arrivèrent dans la chambre qu'occupaient Martin Dargaïts et Jean Ospital.




Dès leur entrée ils se précipitent sur le lit, où dormaient les deux domestiques, et découvrant Martin Dargaïts, l'un des accusés lui plongea son poignard dans le ventre avec tant de force que le corps fut traversé et que la lame meurtrière put percer encore le drap du lit et le matelas. Martin Dargaïts s'éveillait au moment où il se sentit frappé, et malgré la gravité de sa blessure qu'il avait reçu, il eut la force et le courage de sauter à bas de son lit et de s'élancer vers le fusil suspendu à la muraille. Une lutte terrible s'engage alors entre les assassins et leur malheureuse victime : les lumières s'éteignent, un coup de feu retentit. Dargaïts, saisissant l'un des malfaiteurs, malgré les coups dont il est encore frappé, se renverse à terre, lui étreint fortement la gorge et appelle au secours.




Pendant ce temps, le jeune Ospital réveillé par ces cris et ces plaintes terribles, s'était glissé hors de son lit ; Dargaïts lui demanda d'ouvrir la fenêtre de la chambre ; le jeune enfant parvint à le faire et courut aussitôt se cacher dans une armoire de la cuisine.




Les autres domestiques de la maison sont réveillés a leur tour ; le docteur Dithurbide est averti par sa cuisinière que des voleurs se sont introduits dans sa maison ; tous appellent leurs voisins à leur aide. A ces cris, deux des malfaiteurs s'étaient hâtés de prendre la fuite.




Dargaïts tient toujours sous son étreinte énergique celui qui l'a frappé ; mais bientôt il sent que ses forces l'abandonnent ; il voit que personne ne répond à ses cris. Il se relève, et saisissant son agresseur dans un suprême effort, il le jette par la croisée.




Cela fait, le malheureux blessé, dont les entrailles sortaient par une plaie béante, dont le corps était criblé de coups, rassemble ses dernières forces pour monter au premier étage et frapper à la porte de son maître. Le docteur Dithurbide, terrifié par les cris qui sont arrivés jusqu'à lui, était en ce moment à la fenêtre occupé à demander des secours. L'appel de Dargaïts n'arrive pas jusqu'à lui, et son infortuné domestique, après avoir inondé de sang les escaliers et les corridors, se traîne jusque dans une chambre voisine et se jette sur un lit.




Le vent, l'orage avaient empêché les cris d'être entendus du dehors cependant vers trois heures et demie du matin, les voisins arrivent ; on s'empresse autour de la victime, mais après avoir raconté la scène terrible qui vient d'avoir lieu, la lutte qu'il a eu à soutenir, Dargaïts ne tarda pas à expirer.




On cherche alors de tous côtés ; la chambre dans laquelle le crime avait été commis offrait le spectacle le plus affreux ; au milieu du plus grand désordre on trouva un long poignard ensanglanté, un couteau-poignard fraîchement aiguisé, une courroie en cuir, une casquette de drap, des débris de bougie et d'allumettes chimiques de fabrication espagnole. Sur la muraille on aperçut la trace d'un coup de feu ; dans la cour, au-dessus de la fenêtre, on retrouva une seconde casquette, et plus loin des empreintes de pieds nus.




Aussitôt, l'éveil est donné, l'autorité est avertie on se met à la poursuite des assassins, et quelques heures après le crime, Pascal Murillo, qui s'était blessé à l'orteil en tombant de la fenêtre, qui avait marché toute la nuit, les pieds nus, à travers les broussailles, brisé de fatigue, grelottant de froid, fut obligé de demander un asile dans une maison de Saint-Pée, où il ne tarda pas à être arrêté par l'autorité locale. 




Interpellé sur la cause de ses blessures et le désordre de ses vêtements, il prétendit qu'il avait été arrêté et dépouillé par des malfaiteurs ; mais bientôt comprenant qu'il ne pouvait se défendre en présence des charges qui pesaient sur lui, il se décida à entrer dans la voie des aveux. 




Comme on devait s'y attendre, Murillo a cherché à rejeter sur ses complices la plus grande part de responsabilité dans les crimes qui ont été commis.




Il a prétendu qu'avant la soirée du 19 mars, il n'était jamais venu dans la commune de Sare, que sa rencontre avec Estiban, Erremundéguy et Francisco Rios, à Saint-Jean-de Luz, avait été toute fortuite ; que ce sont ces jeunes gens qui ont eu les premiers la pensée de commettre un vol, et qu'il n'a pas su résister à leurs sollicitations ; que ses deux compagnons seuls ont frappé l'infortuné Dargaïts et qu'il est resté étranger à ce meurtre.




Malheureusement pour lui, l'information est venue montrer combien ses allégations étaient mensongères.




Peu de temps avant le crime, Murillo a été vu à plusieurs reprises, et sous des costumes différents, implorant la charité dans le bourg de Sare et dans les habitations isolées, préparant sans doute, dès ce moment, la réalisation de ses criminels et audacieux projets, étudiant les chemins, les maisons, les habitudes.




De plus, les médecins ont constaté que, sur les dix blessures que présentait le corps de la victime, huit avaient été faites à l'aide d'une arme aiguë comme le poignard ensanglanté trouvé dans la chambre où le crime avait été commis. Murillo a soutenu que ce poignard ne lui appartenait pas ; mais deux ou trois jours après le crime et à six cents mètres de la maison Dithurbide, au milieu d'un champ qu'il a dû nécessairement traverser pour aller rejoindre la route de Saint-Pée, on a relevé le fourreau du poignard que Murillo seul a pu laisser tomber, car ses complices avaient pris la fuite dans une direction tout opposée.




Enfin Dargaïts a déclaré, avant de mourir, qu'aussitôt après avoir été frappé il s'était jeté sur les agresseurs, et c'est Murillo qui, à ce moment, se trouvait le plus à portée de lui, car c'est avec Murillo qu'a eu lieu cette lutte terrible dans laquelle la malheureuse victime a montré tant de courage et d'énergie.




Et maintenant, si on se rappelle les antécédents de cet homme, condamné déjà en Espagne, en 1850, à cinq années d'emprisonnement pour vol commis avec effraction, si on compare son âge à celui de ses compagnons, si on se rappelle ses deux tentatives d'évasion dans la maison d'arrêt de Bayonne, l'arme redoutable qu'il avait préparée pour frapper ceux qui oseraient l'arrêter dans sa fuite, ses menaces réitérées contre ses gardiens, il n'est pas possible de douter que Murillo ait été l'organisateur du crime et que sa main ait porté au malheureux Dargaïts les coups nombreux qui lui ont donné la mort.




Quant à ses complices, leur culpabilité est aussi certaine ; mais ils ont réussi jusqu'à ce jour à se soustraire à toutes les poursuites.




En conséquence, etc.



L'audience continue."



A suivre...





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