CONTREBANDE EN 1946.
Je vous ai parlé à plusieurs reprises de douaniers et contrebandiers, des douaniers en 1931, voici aujourd'hui un article sur les contrebandiers en 1946.
A LA FRONTIERE 1946 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Qui ?, dans son édition du 12 septembre 1946 :
Des deux côtés de la frontière les envoyés spéciaux de "Qui" ont vécu avec les contrebandiers
des Pyrénées :
"C’est un petit Corse de Paris, Luigi Lucciano, qui m’avait mis sur la voie.
Nous prenions un pastis dans un café de la rue Myrha, en parlant de trafics clandestins et, particulièrement, de cette frontière espagnole, tantôt ouverte, tantôt fermée, tantôt entrouverte — ce qui ne change pas grand’chose, comme on va le voir, à l’activité des passeurs — quand Luigi, de sa voix nonchalante, me dit :
— Ça a l’air de vous intéresser cette "débrouille". Alors, descendez donc à Saint-Jean-de-Luz. Je vous donnerai un petit mot pour Bob, qui est chef barman dans une boîte. Il est à la coule. Il vous tuyautera. Et puis, à Saint-Jean, vous serez au centre du truc : c’est la capitale de la contrebande... de la Côte d’Argent.
ST JEAN DE LUZ 1946 PAYS BASQUE D'ANTAN |
A Saint-Jean-de-Luz, je trouvai Bob en plein travail. Minuit. La "boîte", comme disait Lucciano, est archi-comble. Une foule bigarrée où voisinent les smokings avec les chemisettes, les fourreaux de soie noire avec les robes courtes en cotonnades imprimées, des Parisiens et des Anglais en vacances, des gens du cru, aussi, anciens riches qui se cramponnent aux épaves de leur fortune, trafiquants qui comptent la leur en millions. L’orchestre joue et rejoue Besame Mucho, un tango qui est toujours en vogue sur la côte basque. On chante des refrains de Paris, des "frivolas" espagnoles. Le flamenco succède au tango. A quatre heures du matin, cinq ou six couples s’obstinent encore à danser, les corsages moites des femmes collés sur les aisselles. Au bar, deux types, genre cossu, boivent une dernière coupe de champagne, serrent la main de Bob et s’engouffrent dans un radoter dernier cri. Bob m’explique :
— Ils vont "travailler". Oh ! Pas eux-mêmes. Eux ne se mouillent jamais. Ils vont seulement passer des commandes à quelque pêcheur qui les attend, planqué dans un coin du port, et qui se risquera à aller chercher la camelote à Saint-Sébastien, parfois plus loin, jusqu’à Bilbao ou Santander, si le rafiau tient la mer. S’ils s’embarquent, parfois, le moins souvent possible, ce n’est que pour aller à Saint-Sébastien, pas plus loin, relancer un fournisseur, ou faire une bonne bringue avec lui.
— Et quelle camelote... importent-ils ?
— De tout, de n’importe quoi, pourvu que ça se vende plus cher ici que là-bas : des étoffes, de l’huile, des pneus, du film vierge, de l’or...
— Pas de trafic d’armes ?
— Si, mais en sens contraire. C’est de France que, parfois, un chargement file vers l’Espagne.
— Et la coco ?
— Une bonne blague ! Ça n’existe pas. Ça n’ existe plus !... D’ailleurs, le négoce de ces "messieurs" est généralement en déclin. Demain, si vous voulez, on vous expliquera pourquoi. Un glas ? Je suis vanné. Allons nous coucher.
CONTREBANDE 1946 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le lendemain, deux "amis" sûrs avaient relayé Bob. Il s’agissait de me prouver que, malgré les interdictions officielles, grâce à une connaissance du pays approfondie, pas mal d’audace et une certaine vigueur, passer de France en Espagne et vice versa, à pied, était sinon un jeu, du moins un sport, assez rude sans doute, où il ne s’agissait que de savoir se "démarquer" habilement et s’infiltrer parmi les les patrouilleurs de la douane.
Flanqué d’un contrebandier et d’un "passeur" des temps héroïques, de ces années de guerre où l’on avait à la fois charge d’homme et charge d’âme en guidant vers la terre promise, à la barbe des Allemands, ceux qu’il fallait sauver, j’étais d’abord descendu de Saint-Jean jusqu’à Sare, dernier village français, poste frontière limite, avant l’expédition et l’aventure.
Devant nous, en enclave dans l’Espagne, une sorte de gigantesque triangle, d’une quinzaine de kilomètres de base, versant français, de sept à huit kilomètres de côtés, taillé en pleines Pyrénées, avec un tohu-bohu d’à-pics et de ravins, un entrelacs de routes en épingle à cheveux, de chemins muletiers, de sentiers et de pistes à peine tracées, le tout coiffé d’une végétation hirsute, taillis, halliers, fougères arborescentes, bruyères, au bout de quoi, tout au fond, est lové, comme un cordage sur le pont d’un bateau, le charmant petit village espagnol d’Echalar.
CONTREBANDE 1946 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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